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Le duc et la comtesse se regardèrent: ce mot leur rappelait un souvenir récent.

– Ma foi! prince, dit la comtesse, puisque vous parlez de miracle, je vous avouerai franchement une chose, c’est que je suis bien aise de rencontrer un prince de l’Église pour lui demander s’il y croit.

– À quoi, madame?

– Aux miracles, parbleu! dit le duc.

– Les Écritures nous en font un article de foi, madame, dit le cardinal essayant de prendre un air croyant.

– Oh! je ne parle pas des miracles anciens, repartit la comtesse.

– Et de quels miracles parlez-vous donc, madame?

– Des miracles modernes.

– Ceux-ci, je l’avoue, sont plus rares, dit le cardinal. Cependant…

– Cependant, quoi?

– Ma foi! j’ai vu des choses qui, si elles n’étaient pas miraculeuses, étaient au moins fort incroyables.

– Vous avez vu de ces choses-là, prince?

– Sur mon honneur.

– Mais vous savez bien, madame, dit Richelieu en riant, que Son Éminence passe pour être en relation avec les esprits, ce qui n’est peut-être pas fort orthodoxe.

– Non, mais ce qui doit être fort commode, dit la comtesse.

– Et qu’avez-vous vu, prince?

– J’ai juré le secret.

– Oh! oh! voilà qui devient plus grave.

– C’est ainsi, madame.

– Mais, si vous avez promis le secret sur la sorcellerie, peut-être ne l’avez vous point promis sur le sorcier?

– Non.

– Eh bien! prince, il faut vous dire que, le duc et moi, nous sommes sortis pour nous mettre en quête d’un magicien quelconque.

– Vraiment?

– D’honneur.

– Prenez le mien.

– Je ne demande pas mieux.

– Il est à votre service, comtesse.

– Et au mien aussi, prince?

– Et au vôtre aussi, duc.

– Comment s’appelle-t-il?

– Le comte de Fœnix.

Madame du Barry et le duc se regardèrent tous deux en pâlissant.

– Voilà qui est bizarre! dirent-ils ensemble.

– Est-ce que vous le connaissez? demanda le prince.

– Non. Et vous le tenez pour sorcier?

– Plutôt deux fois qu’une.

– Vous lui avez parlé?

– Sans doute.

– Et vous l’avez trouvé?…

– Parfait.

– À quelle occasion?

– Mais…

Le cardinal hésita.

– À l’occasion de ma bonne aventure, que je me suis fait dire par lui.

– Et a-t-il deviné juste?

– C’est-à-dire qu’il m’a raconté des choses de l’autre monde.

– Il n’a point un autre nom que celui de comte de Fœnix?

– Si fait: je l’ai entendu appeler encore…

– Dites, monseigneur, fit la comtesse avec impatience.

– Joseph Balsamo, madame.

La comtesse joignit les mains en regardant Richelieu. Richelieu se gratta le bout du nez en regardant la comtesse.

– Est-ce bien noir, le diable? demanda tout à coup madame du Barry.

– Le diable, comtesse? Mais je ne l’ai pas vu.

– Que lui dites-vous donc là, comtesse? s’écria Richelieu. Voilà, pardieu! une belle société pour un cardinal.

– Est-ce que l’on vous dit la bonne aventure sans vous montrer le diable? demanda la comtesse.

– Oh! certainement, dit le cardinal; on ne montre le diable qu’aux gens de peu; pour nous, on s’en passe.

– Enfin, dites ce que vous voudrez, prince, continua madame du Barry; il y a toujours un peu de diablerie là-dessous.

– Dame! je le crois.

– Des feux verts, n’est-ce pas? des spectres, des casseroles infernales qui puent le brûlé abominablement?

– Mais non, mais non; mon sorcier a d’excellentes manières; c’est un fort galant homme, et qui reçoit très bien, au contraire.

– Est-ce que vous ne vous ferez pas tirer votre horoscope par ce sorcier-là, comtesse? demanda Richelieu.

– J’en meurs d’envie, je l’avoue.

– Faites, madame.

– Mais où cela se passe-t-il, demanda madame du Barry espérant que le cardinal allait lui donner l’adresse qu’elle cherchait.

– Dans une belle chambre fort coquettement meublée.

La comtesse avait peine à cacher son impatience.

– Bon! dit-elle; mais la maison?

– Maison décente, quoique d’architecture singulière.

La comtesse trépignait de dépit d’être si peu comprise.

Richelieu vint à son secours.

– Mais vous ne voyez donc pas, monseigneur, dit-il, que madame enrage de ne point savoir encore où demeure votre sorcier?

– Où il demeure, avez-vous dit?

– Oui.

– Ah! fort bien, répliqua le cardinal. Eh! ma foi, attendez donc… non… si… non… C’est au Marais, presque au coin du boulevard, rue Saint-François, Saint-Anastase… non. C’est un nom de saint, toujours.

– Mais quel saint, voyons, vous qui devez les connaître tous?

– Non, ma foi! au contraire; je les connais fort peu, dit le cardinal; mais attendez donc, mon drôle de laquais doit savoir cela, lui.

– Justement, dit le duc, on l’a pris derrière. Arrêtez, Champagne, arrêtez.

Et le duc tira le cordon qui correspondait au petit doigt du cocher.

Le cocher arrêta court sur leurs jarrets nerveux les chevaux frémissants.

– Olive, dit le cardinal, es-tu là, drôle?

– Oui, monseigneur.

– Où donc ai-je été un soir, au Marais, bien loin?

Le laquais avait parfaitement entendu la conversation, mais il n’eut garde de paraître instruit.

– Au Marais…? dit-il ayant l’air de chercher.

– Oui, près du boulevard.

– Quel jour, monseigneur?

– Un jour que je revenais de Saint-Denis.

– De Saint-Denis? reprit Olive, pour se faire valoir et se donner un air plus naturel.

– Eh! oui, de Saint-Denis; la voiture m’attendit au boulevard, je crois.

– Fort bien, monseigneur, fort bien, dit Olive; un homme vint même jeter dans la voiture un paquet fort lourd, je me rappelle maintenant.

– C’est possible, répondit le cardinal; mais qui te parle de cela, animal?

– Que désire donc monseigneur?

– Savoir le nom de la rue.

– Rue Saint-Claude, monseigneur.

– Claude, c’est cela! s’écria le cardinal. J’eusse parié pour un nom de saint.

– Rue Saint-Claude! répéta la comtesse en lançant à Richelieu un regard si expressif, que le maréchal, craignant toujours de laisser approfondir ses secrets, surtout lorsqu’il s’agissait de conspiration, interrompit madame du Barry par ces mots:

– Eh! comtesse, le roi.