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La chambre d’Andrée était la première à gauche dans ce corridor. Elle était assez spacieuse, bien éclairée sur la grande cour des écuries, et précédée d’une petite chambre flanquée de deux cabinets à droite et à gauche.

Cette chambre, insuffisante si l’on considère le train ordinaire des commensaux d’une cour brillante, devenait une charmante cellule, très habitable et très riante comme retraite, après les agitations du monde qui peuplait le palais. Là pouvait se réfugier une âme ambitieuse pour dévorer les affronts ou les mécomptes de la journée; là aussi pouvait se reposer, dans le silence et la solitude c’est-à-dire dans l’isolement des grandeurs, une âme humble et mélancolique.

En effet, plus de supériorité, plus de devoirs, plus de représentation, quand on avait une fois franchi ce perron et gravi cet escalier de la chapelle. Autant de calme qu’au couvent, autant de liberté matérielle que dans la vie de prison. L’esclave au palais rentrait maître dans sa chambre des communs.

Une âme douce et fière comme celle d’Andrée trouvait son compte en tous ces petits calculs, non pas qu’elle vint se reposer d’une ambition déçue ou des fatigues d’une fantaisie inassouvie; mais Andrée pouvait penser plus à l’aise dans l’étroit quadrilatère de sa chambre que dans les riches salons de Trianon, sur ces dalles que son pied foulait avec tant de timidité qu’on eût dit de la terreur.

De là, de ce coin obscur où elle se sentait bien à sa place, la jeune fille regardait sans trouble toutes les grandeurs qui pendant le jour avaient ébloui ses yeux. Au milieu de ses fleurs, avec son clavecin, entourée de livres allemands, qui sont une si douce compagnie aux gens qui lisent avec le cœur, Andrée défiait le sort de lui envoyer un chagrin ou de lui ôter une joie.

– Ici, disait-elle, lorsque, le soir, après ses devoirs accomplis, elle revenait prendre son peignoir à larges plis et respirer de toute son âme comme de tous ses poumons, ici je possède à peu près tout ce que je posséderai jusqu’à ma mort. Peut-être me verrai-je un jour plus riche, mais jamais je ne me trouverai plus pauvre; il y aura toujours des fleurs, de la musique et une belle page pour recréer les isolés.

Andrée avait obtenu la permission de déjeuner chez elle lorsque bon lui semblait. Cette faveur lui était précieuse. Elle pouvait, de cette façon, demeurer jusqu’à midi dans sa chambre, à moins que la dauphine ne la fît demander pour quelque lecture ou quelque promenade matinale. Ainsi libre, dans les beaux jours elle partait le matin avec un livre et traversait seule les grands bois qui vont de Trianon à Versailles, puis, après deux heures de promenade, de méditation et de rêverie, elle rentrait pour déjeuner, n’ayant aperçu souvent ni un seigneur, ni un laquais, ni un homme, ni une livrée.

La chaleur commençait-elle à filtrer sous les épais ombrages, Andrée avait sa petite chambre si fraîche, avec le double air de la fenêtre et de la porte du corridor. Un petit sofa recouvert d’étoffe d’indienne, quatre chaises pareilles, son chaste lit à ciel rond, d’où tombaient des rideaux de la même étoffe que le meuble, deux vases de Chine sur la cheminée, une table carrée à pieds de cuivre: voilà de quoi se composait ce petit univers, aux confins duquel Andrée bornait toutes ses espérances, limitait tous ses désirs.

Nous disions donc que la jeune fille était assise dans sa chambre et s’occupait d’écrire à son père lorsqu’un petit coup, discrètement frappé à la porte du corridor, éveilla son attention.

Elle leva la tête en voyant la porte s’ouvrir, et poussa un léger cri d’étonnement lorsque le visage radieux de Nicole apparut sortant de la petite antichambre.

Chapitre XCV Comment la joie des uns fait le désespoir des autres

– Bonjour, mademoiselle; c’est moi, dit Nicole avec une joyeuse révérence qui cependant, d’après la connaissance que la jeune fille avait du caractère de sa maîtresse, n’était pas exempte d’inquiétude.

– Vous! et par quel hasard? répliqua Andrée en déposant sa plume pour mieux suivre la conversation qui s’engageait ainsi.

– Mademoiselle m’oubliait; moi, je suis venue.

– Mais, si je vous oubliais, mademoiselle, c’est que j’avais mes raisons pour cela. Qui vous a permis de venir?

– M. le baron, sans doute, mademoiselle, dit Nicole en rapprochant d’un air assez mécontent les deux beaux sourcils noirs qu’elle devait à la générosité de M. Rafté.

– Mon père a besoin de vous à Paris, et, moi, je n’ai aucun besoin de vous ici… Vous pouvez donc retourner, mon enfant.

– Oh! mais, dit Nicole, mademoiselle n’a guère d’attache… Je croyais avoir plu bien davantage à mademoiselle… Aimez donc, ajouta philosophiquement Nicole, pour qu’on vous le rende de la sorte!

Et ses beaux yeux firent tous leurs efforts pour attirer une larme à leurs paupières.

Il y avait assez de cœur et de sensibilité dans le reproche pour exciter la compassion d’Andrée.

– Mon enfant, dit-elle, ici l’on me sert, et je ne puis me permettre de surcharger la maison de madame la dauphine d’une bouche de plus.

– Bon! comme si cette bouche était bien grande! dit Nicole avec un charmant sourire.

– Il n’importe, Nicole, ta présence ici est impossible.

– À cause de cette ressemblance? dit la jeune fille. Vous n’avez donc pas regardé ma figure, mademoiselle?

– En effet, tu me parais changée.

– Je le crois bien; un beau seigneur, celui qui a fait donner un grade à M. Philippe, est venu chez nous hier, et, comme il a vu M. le baron triste de vous laisser ici sans femme de chambre, il lui a conté que rien n’était plus facile que de me changer du blanc au noir. Il m’a emmenée, m’a fait coiffer comme vous voyez; et me voici.

Andrée sourit.

– Tu m’aimes donc bien, dit-elle, que tu veux à tout prix t’enfermer à Trianon, où je suis presque prisonnière?

Nicole jeta un rapide mais intelligent regard autour d’elle.

– Cette chambre n’est pas gaie, dit-elle; mais vous n’y restez pas toujours?

– Moi, sans doute, répliqua Andrée; mais toi?

– Eh bien, moi?

– Toi qui n’iras pas dans le salon, près de madame la dauphine; toi qui n’auras ni le jeu, ni la promenade, ni le cercle; toi qui resteras toujours ici, tu risques de mourir d’ennui.

– Oh! dit Nicole, il y a bien quelque petite fenêtre; on pourra bien voir un coin de ce monde, ne fût-ce que par l’embrasure d’une porte. Si l’on voit, on peut être vue… Voilà tout ce qu’il me faut; ne vous inquiétez pas de moi.

– Je le répète, Nicole, non, je ne puis te recevoir sans un ordre exprès.

– De qui?

– De mon père.

– C’est votre dernier mot?

– Oui, c’est mon dernier mot.

Nicole tira de sa gorgerette la lettre du baron de Taverney.

– Alors, dit-elle, puisque mes prières et mon dévouement ne font pas d’effet, voyons si la recommandation que voici aura plus de pouvoir.