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– Où?

– Là-bas.

– Le roi, le roi! s’écria la comtesse. À gauche, Champagne, à gauche, que Sa Majesté ne nous voie pas.

– Et pourquoi cela, comtesse? dit le cardinal effaré. Je croyais, au contraire, que vous me conduisiez près de Sa Majesté.

– Ah! c’est vrai, vous avez envie de voir le roi, vous.

– Je ne viens que pour cela, madame.

– Eh bien, l’on va vous conduire au roi.

– Mais vous?

– Nous, nous restons ici.

– Cependant, comtesse…

– Pas de gêne, prince, je vous en supplie; chacun à son affaire. Le roi est là-bas, sous ce bosquet de châtaigniers, vous avez affaire au roi, à merveille. Champagne!

Champagne arrêta court.

– Champagne, laissez-nous descendre, et menez Son Éminence au roi.

– Quoi! seul, comtesse?

– Vous demandiez l’oreille du roi, monsieur le cardinal.

– C’est vrai.

– Eh bien, vous l’aurez tout entière.

– Ah! cette bonté me comble.

Et le prélat baisa galamment la main de madame du Barry.

– Mais vous-même, où vous retirez-vous, madame? demanda-t-il.

– Ici, sous ces glandées.

– Le roi vous cherchera.

– Tant mieux.

– Il sera fort inquiet de ne pas vous voir.

– Et cela le tourmentera, c’est ce que je désire.

– Vous êtes adorable, comtesse.

– C’est justement ce que me dit le roi quand je l’ai tourmenté. Champagne, quand vous aurez conduit Son Éminence, vous reviendrez au galop.

– Oui, madame la comtesse.

– Adieu, duc, fit le cardinal.

– Au revoir, monseigneur, répondit le duc.

Et le valet ayant abaissé le marchepied, le duc mit pied à terre avec la comtesse, légère comme une échappée de couvent, tandis que le carrosse voiturait rapidement Son Éminence vers le tertre où Sa Majesté Très Chrétienne cherchait, avec ses mauvais yeux, cette méchante comtesse que tout le monde avait vue, excepté lui.

Madame du Barry ne perdit pas de temps. Elle prit le bras du duc, et, l’entraînant dans le taillis:

– Savez-vous, dit-elle, que c’est Dieu qui nous l’a envoyé, ce cher cardinal!

– Pour se débarrasser un instant de lui, je comprends cela, répondit le duc.

– Non, pour nous mettre sur la trace de notre homme.

– Alors nous allons chez lui?

– Je le crois bien. Seulement…

– Quoi, comtesse?

– J’ai peur, je l’avoue.

– De qui?

– Du sorcier, donc. Oh! je suis fort crédule, moi.

– Diable!

– Et vous, croyez-vous aux sorciers?

– Dame! je ne dis pas non, comtesse.

– Mon histoire de la prédiction…

– C’est un fait. Et moi-même…, dit le vieux maréchal en se frottant l’oreille.

– Eh bien! vous?

– Moi-même, j’ai connu certain sorcier…

– Bah!

– Qui m’a rendu un jour un très grand service.

– Quel service, duc?

– Il m’a ressuscité.

– Ressuscité! vous?

– Certainement, j’étais mort, rien que cela.

– Contez-moi la chose, duc.

– Cachons-nous, alors.

– Duc, vous êtes horriblement poltron.

– Mais non. Je suis prudent, voilà tout.

– Sommes-nous bien ici?

– Je le crois.

– Eh bien, l’histoire, l’histoire.

– Voilà. J’étais à Vienne. C’était du temps de mon ambassade. Je reçus le soir, sous un réverbère, un grand coup d’épée tout au travers du corps. C’était une épée de mari, chose malsaine en diable. Je tombai. On me ramassa, j’étais mort.

– Comment, vous étiez mort?

– Ma foi, oui, ou peut s’en fallait. Passe un sorcier qui demande quel est cet homme que l’on porte en terre. On lui dit que c’est moi. Il fait arrêter le brancard, il me verse trois gouttes de je ne sais quoi sur la blessure, trois autres gouttes sur les lèvres: le sang s’arrête, la respiration revient, les yeux se rouvrent, et je suis guéri.

– C’est un miracle de Dieu, duc.

– Voilà justement ce qui m’effraye, c’est qu’au contraire je crois, moi, que c’est un miracle du diable.

– C’est juste, maréchal. Dieu n’aurait pas sauvé un garnement de votre espèce: à tout seigneur, tout honneur. Et vit-il, votre sorcier?

– J’en doute, à moins qu’il n’ait trouvé l’or potable.

– Comme vous, maréchal? Vous croyez donc à ces contes?

– Je crois à tout.

– Il était vieux?

– Mathusalem en personne.

– Et il se nommait?

– Ah! d’un nom grec magnifique, Althotas.

– Oh! que voilà un terrible nom, maréchal.

– N’est-ce pas, madame?

– Duc, voilà le carrosse qui revient.

– À merveille.

– Sommes-nous décidés?

– Ma foi, oui.

– Nous allons à Paris?

– À Paris.

– Rue Saint-Claude?

– Si vous le voulez bien… Mais le roi qui attend!…

– C’est ce qui me déciderait, duc, si je n’étais déjà décidée. Il m’a tourmentée; à ton tour de rager, La France!

– Mais on va vous croire enlevée, perdue.

– D’autant mieux qu’on m’a vue avec vous, maréchal.

– Tenez, comtesse, je vais être franc à mon tour: j’ai peur.

– De quoi?

– J’ai peur que vous ne racontiez cela à quelqu’un, et que l’on ne se moque de moi.

– Alors on se moquera de nous deux, puisque j’y vais avec vous.

– Au fait, comtesse, vous me décidez. D’ailleurs, si vous me trahissez, je dis…

– Que dites-vous?

– Je dis que vous êtes venue avec moi, en tête à tête.

– On ne vous croira pas, duc.

– Eh! eh! comtesse si Sa Majesté n’était pas là…

– Champagne! Champagne! ici, derrière ce buisson, qu’on ne nous voie pas. Germain, la portière. C’est cela. Maintenant, à Paris, rue Saint-Claude, au Marais, et brûlons le pavé.

Chapitre LXXXIII Le courrier

Il était six heures du soir.

Dans cette chambre de la rue Saint-Claude, où nous avons déjà introduit nos lecteurs, Balsamo était assis près de Lorenza éveillée, et essayait par la persuasion d’adoucir cet esprit rebelle à toutes les prières.

Mais la jeune femme le regardait de travers, comme Didon regardait Énée prêt à partir, ne parlait que pour faire des reproches, et n’étendait la main que pour repousser.