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Andrée lut la lettre, qui était ainsi conçue:

«Je sais, et l’on remarque, ma chère Andrée, que vous ne tenez pas à Trianon l’état que votre rang vous commande impérieusement d’avoir; il vous faudrait deux femmes et un valet de pied, comme il me faudrait, à moi, vingt bonnes mille livres de revenu; cependant, comme je me contente de mille livres, imitez-moi et prenez Nicole, qui vaut à elle seule tout le domestique qui vous serait nécessaire.

«Nicole est agile, intelligente et dévouée; elle prendra vite le ton et les manières de la localité; vous aurez le soin, non de stimuler, mais d’enchaîner sa bonne volonté. Gardez-la donc, et ne croyez pas que je fasse un sacrifice. Au cas où vous le croiriez, souvenez-vous que Sa Majesté, qui a eu la bonté de penser à nous en vous voyant, a remarqué, ceci m’est confié par un bon ami, que vous manquez de toilette et de représentation. Songez à cela, c’est d’une haute importance.

Votre affectionné père.»

Cette lettre jeta Andrée dans une perplexité douloureuse.

Ainsi elle allait être poursuivie jusque dans sa prospérité nouvelle par une pauvreté que seule elle ne sentait pas être un défaut, lorsque tout la lui reprochait comme une tache.

Elle fut sur le point de briser sa plume avec colère et de déchirer la lettre commencée, pour répondre au baron quelque belle tirade pleine d’un désintéressement philosophique que Philippe eut signée des deux mains.

Mais il lui sembla voir le sourire ironique du baron lorsqu’il lirait ce chef-d’œuvre, et aussitôt toute sa résolution s’évanouit. Elle se contenta donc de répondre à ce factum du baron par un paragraphe annexé aux nouvelles qu’elle lui mandait de Trianon.

«Mon père, ajouta-t-elle, Nicole arrive à l’instant même, et je la reçois sur votre désir; mais ce que vous m’avez écrit à son sujet m’a désespérée. Serai-je moins ridicule, avec cette petite villageoise pour femme de chambre, que je ne l’étais seule au milieu de ces opulents de la cour? Nicole sera malheureuse de me voir humiliée; elle m’en saura mauvais gré; car les valets sont fiers ou humbles pour eux du luxe ou de la simplicité de leurs maîtres. Quant à la remarque de Sa Majesté, mon père, permettez-moi de vous dire que le roi a tant d’esprit, qu’il ne peut m’en vouloir de mon impuissance à faire la grande dame, et que Sa Majesté, en outre, a trop de cœur pour avoir remarqué ou critiqué ma misère, au lieu de la changer en une aisance que votre nom et vos services légitimeraient aux yeux de tous.»

Telle fut la réponse de la jeune fille, et il faut avouer que cette candide innocence, que cette noble fierté avaient bien facilement raison contre l’astuce et la corruption de ses tentateurs.

Andrée ne parla plus de Nicole. Elle la garda, en sorte que celle-ci, enthousiasmée et joyeuse, elle savait bien pourquoi, dressa, séance tenante, un petit lit dans le cabinet de droite, donnant sur l’antichambre, et se fit toute petite, tout aérienne, tout exquise, pour ne gêner en rien sa maîtresse par sa présence dans ce réduit si modeste; on eût dit qu’elle voulait imiter la feuille de rose que les savants de Perse avaient laissé tomber sur le vase plein d’eau, pour montrer qu’on y pouvait ajouter quelque chose sans faire déborder le contenu.

Andrée partit pour Trianon vers une heure. Jamais elle n’avait été plus vite et plus gracieusement parée. Nicole s’était surpassée: complaisances, attentions et intentions, rien n’avait manqué à son service.

Lorsque mademoiselle de Taverney fut partie, Nicole se sentit maîtresse de la place et en fit la revue exacte. Tout passa par son examen, depuis les lettres jusqu’aux derniers colifichets de toilette, depuis la cheminée jusqu’aux plus secrets recoins des cabinets.

Et puis on regarda par la fenêtre pour prendre l’air du voisinage.

En bas, une vaste cour où les palefreniers pansaient et étrillaient les chevaux de luxe de madame la dauphine. Des palefreniers, fi donc! Nicole détourna la tête.

À droite, une rangée de fenêtres sur le rang de la fenêtre d’Andrée. Quelques têtes y apparurent, têtes de femmes de chambre et de frotteurs. Nicole passa dédaigneusement à un autre examen.

En face, des maîtres de musique faisaient répéter, dans une vaste chambre, des choristes et des instrumentistes pour la messe de Saint-Louis.

Nicole s’amusa, tout en époussetant, à chantonner à sa manière, de telle sorte qu’elle donna des distractions aux maîtres et que les choristes chantèrent faux impunément.

Mais ce passe-temps ne pouvait longtemps suffire aux ambitions de mademoiselle Nicole; lorsque maîtres et écoliers se furent suffisamment querellés et trompés, la petite personne passa la revue de l’étage supérieur. Toutes les fenêtres étaient fermées; d’ailleurs, c’étaient des mansardes.

Nicole se remit à épousseter; mais, un moment après, une de ces mansardes était ouverte sans qu’on eût pu voir par quel mécanisme, car personne ne paraissait.

Quelqu’un cependant l’avait ouverte, cette fenêtre; ce quelqu’un avait vu Nicole et ne restait pas à la regarder; c’était un quelqu’un bien impertinent.

Voilà du moins ce que pensa Nicole. Aussi, pour ne pas manquer, elle qui étudiait si consciencieusement, d’étudier un visage d’impertinent, elle s’attacha, au moindre tour qu’elle faisait dans la chambre d’Andrée, à revenir près de la fenêtre donner un coup d’œil à la mansarde, c’est-à-dire à cet œil ouvert qui lui manquait de respect en la privant de son regard, faute de prunelles. Une fois, elle crut remarquer qu’on avait fui lorsqu’elle approchait… Cela n’était pas croyable, elle ne le crut pas.

Une autre fois, elle en fut à peu près sûre, ayant vu le dos du fugitif, surpris par un retour plus prompt qu’il ne s’y attendait.

Alors Nicole usa de ruse: elle se cacha derrière le rideau, en laissant la fenêtre toute grande ouverte, afin de ne donner aucun soupçon.

Elle attendit longtemps; mais enfin des cheveux noirs apparurent, puis des mains craintives qui soutenaient en arc-boutant un corps penché avec précaution; enfin la figure se montra distinctement à découvert: Nicole faillit tomber à la renverse et chiffonna tout le rideau.

C’était la figure de M. Gilbert, qui regardait là du haut de cette mansarde.

Gilbert, en voyant le rideau trembler, comprit la ruse et ne reparut plus.

Bien mieux, la fenêtre de la mansarde se ferma.

Nul doute, Gilbert avait vu Nicole; il avait été stupéfait. Il avait voulu se convaincre de la présence de cette ennemie, et, se voyant découvert lui même, il avait fui, plein de trouble et de colère.

Voilà du moins comment Nicole interpréta la scène, et elle avait bien raison: c’était bien ainsi qu’il convenait de l’interpréter.

En effet, Gilbert eût mieux aimé voir le diable que de voir Nicole; il se forgea mille terreurs de l’arrivée de cette surveillante. Il avait contre elle un vieux levain de jalousie; elle savait son secret du jardin de la rue Coq-Héron.

Gilbert s’enfuit avec trouble, non pas seulement avec trouble, mais avec colère, mais en se mordant les doigts de rage.

– Que m’importe à présent, se disait-il, ma sotte découverte dont j’étais si fier!… Que Nicole ait eu là-bas un amant, le mal est fait, et on ne la renverra pas pour cela ici; tandis qu’elle, si elle dit ce que j’ai fait rue Coq-Héron, peut me faire chasser de Trianon… Ce n’est pas moi qui tiens Nicole, c’est Nicole qui me tient… O rage!