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– J’avais prévu ce désir, Lorenza, dit Balsamo en lui prenant la main, et depuis longtemps, vous le savez, ce désir est le mien.

– Alors!… s’écria Lorenza.

– Mais, reprit Balsamo, vous m’avez prévenu vous-même; comme un insensé que j’étais, et tout homme qui aime est un insensé, je vous ai laissée pénétrer une partie de mes secrets en science et en politique. Vous savez qu’Althotas a trouvé la pierre philosophale et cherche l’élixir de vie: voilà pour la science. Vous savez que moi et mes amis conspirons contre les monarchies de ce monde: voilà pour la politique. L’un des deux secrets peut me faire brûler comme sorcier, l’autre peut me faire rouer comme coupable de haute trahison. Or, vous m’avez menacé, Lorenza; vous m’avez dit que vous tenteriez tout au monde pour recouvrer votre liberté, et que, cette liberté une fois reconquise, le premier usage que vous en feriez serait de me dénoncer à M. de Sartine. Avez-vous dit cela?

– Que voulez-vous! parfois je m’exaspère, et alors… eh bien, alors, je deviens folle.

– Êtes-vous calme? Êtes-vous sage à cette heure, Lorenza, et pouvons nous causer?

– Je l’espère.

– Si je vous rends cette liberté que vous demandez, trouverai-je en vous une femme dévouée et soumise, une âme constante et douce? Vous savez que voilà mon plus ardent désir, Lorenza.

La jeune femme se tut.

– M’aimerez-vous enfin? acheva Balsamo avec un soupir.

– Je ne veux promettre que ce que je puis tenir, dit Lorenza; ni l’amour ni la haine ne dépendent de nous. J’espère que Dieu, en échange de ces bons procédés de votre part, permettra que la haine s’efface et que l’amour vienne.

– Ce n’est malheureusement pas assez d’une pareille promesse, Lorenza, pour que je me fie à vous. Il me faut un serment absolu, sacré, dont la rupture soit un sacrilège, un serment qui vous lie en ce monde et dans l’autre, qui entraîne votre mort dans celui-ci et votre damnation dans celui là.

Lorenza se tut.

– Ce serment, voulez-vous le faire?

Lorenza laissa tomber sa tête dans ses deux mains, et son sein se gonfla sous la pression de sentiments opposés.

– Faites-moi ce serment, Lorenza, tel que je le dicterai, avec la solennité dont je l’entourerai, et vous êtes libre.

– Que faut-il que je jure, monsieur?

– Jurez que jamais, sous aucun prétexte, rien de ce que vous avez surpris relativement à la science d’Althotas ne sortira de votre bouche.

– Oui, je jurerai cela.

– Jurez que rien de ce que vous avez surpris relativement à nos réunions politiques ne sera jamais divulgué par vous.

– Je jurerai encore cela.

– Avec le serment et dans la forme que j’indiquerai?

– Oui; est-ce tout?

– Non, jurez – et c’est là le principal, Lorenza, car aux autres serments ma vie seulement est attachée; à celui que je vais vous dire est attaché mon bonheur -, jurez que jamais vous ne vous séparerez de moi, Lorenza. Jurez, et vous êtes libre.

La jeune femme tressaillit, comme si un fer glacé eût pénétré jusqu’à son cœur.

– Et sous quelle forme ce serment doit-il être fait?

– Nous irons ensemble dans une église, Lorenza; nous communierons ensemble avec la même hostie. Sur cette hostie entière, vous jurerez de ne jamais rien révéler de relatif à Althotas, de ne jamais rien révéler de relatif à mes compagnons. Vous jurerez de ne jamais vous séparer de moi. Nous couperons l’hostie en deux, et nous en prendrons chacun la moitié, en adjurant le Seigneur Dieu, vous que vous ne me trahirez jamais, moi, que je vous rendrai toujours heureuse.

– Non, dit Lorenza, un tel serment est un sacrilège.

– Un serment n’est un sacrilège, Lorenza, reprit tristement Balsamo, que lorsqu’on fait ce serment avec intention de ne point le tenir.

– Je ne ferai point ce serment, dit Lorenza. J’aurais trop peur de perdre mon âme.

– Ce n’est point, je vous le répète, en le faisant que vous perdriez votre âme, dit Balsamo: c’est en le trahissant.

– Je ne le ferai pas.

– Alors prenez patience, Lorenza, dit Balsamo sans colère, mais avec une tristesse profonde.

Le front de Lorenza s’assombrit, comme on voit s’assombrir une prairie couverte de fleurs quand passe un nuage entre elle et le ciel.

– Ainsi vous me refusez? dit-elle.

– Non pas, Lorenza, c’est vous, au contraire.

Un mouvement nerveux indiqua tout ce que la jeune femme comprimait d’impatience à ses paroles.

– Écoutez, Lorenza, dit Balsamo, voici ce que je puis faire pour vous, et c’est beaucoup, croyez-moi.

– Dites, répondit la jeune femme avec un sourire amer. Voyons jusqu’où s’étendra cette générosité que vous faites si fort valoir.

– Dieu, le hasard ou la fatalité, comme vous le voudrez, Lorenza, nous ont liés l’un à l’autre par des nœuds indissolubles; n’essayons donc pas de les rompre dans cette vie, puisque la mort seule peut les briser.

– Voyons, je sais cela, dit Lorenza avec impatience.

– Eh bien, dans huit jours, Lorenza, quoi qu’il m’en coûte et quelque chose que je risque en faisant ce que je fais, dans huit jours vous aurez une compagne.

– Où cela? demanda-t-elle.

– Ici.

– Ici! s’écria-t-elle, derrière ces barreaux, derrière ces portes inexorables, derrière ces portes d’airain? Une compagne de prison? Oh! vous n’y pensez pas, monsieur, ce n’est point là ce que je vous demande.

– Lorenza, c’est cependant tout ce que je puis accorder.

La jeune femme fit un geste d’impatience plus prononcé.

– Mon amie! mon amie! reprit Balsamo avec douceur, réfléchissez-y bien, à deux vous porterez plus facilement le poids de ce malheur nécessaire.

– Vous vous trompez, monsieur; je n’ai jusqu’à présent souffert que de ma propre douleur et non de la douleur d’autrui. Cette épreuve me manque et je comprends que vous vouliez me la faire subir. Oui, vous mettrez auprès de moi une victime comme moi, que je verrai maigrir, pâlir, expirer de douleur comme moi; que j’entendrai battre, comme je l’ai fait, cette muraille, porte odieuse que j’interroge mille fois le jour, pour savoir où elle s’ouvre quand elle vous donne passage; et, quand la victime, ma compagne, aura comme moi usé ses ongles sur le bois et le marbre en essayant de l’enfoncer ou de le disjoindre; quand elle aura, comme moi, usé ses paupières avec ses pleurs; quand elle sera morte comme je suis morte et que vous aurez deux cadavres au lieu d’un, dans votre bonté infernale vous direz: «Ces deux enfants se divertissent; elles se font société; elles sont heureuses.» Oh! non, non, mille fois non!

Et elle frappa violemment du pied le parquet.

Balsamo essaya encore de la calmer.

– Voyons, dit-il, Lorenza, de la douceur, du calme; raisonnons, je vous en supplie.