– Je n’en veux pas, Nicole. Je te rendrai service sans intérêts, au contraire.
– Ah! c’est bien beau à vous, monseigneur, et du fond de mon cœur je vous en remercie.
– Ne me remercie pas encore. Tu ne sais rien. Que diable! attends que tu saches.
– Tout me sera bon, monsieur le duc, pourvu que mademoiselle Andrée ne me chasse pas.
– Ah! mais tu tiens donc énormément à rester à Trianon?
– Par-dessus tout, monsieur le duc.
– Eh bien, Nicole, ma jolie fille, raye ce premier point de dessus tes tablettes.
– Mais, si je ne suis pas découverte, cependant, monsieur le duc?
– Découverte, oui ou non, tu ne partiras pas moins.
– Oh! pourquoi cela?
– Je vais te le dire: parce que, si tu es découverte par madame de Noailles, il n’y a pas de crédit, même celui du roi, qui puisse te sauver.
– Ah! si je pouvais voir le roi!
– Eh bien, petite, en vérité, il ne manquerait plus que cela. Ensuite, parce que, si tu n’es pas découverte, c’est moi qui te ferai partir.
– Vous?
– Sur-le-champ.
– En vérité, monsieur le maréchal, je n’y comprends rien.
– C’est comme j’ai l’avantage de te le dire.
– Et voilà votre protection?
– Si tu n’en veux pas, il est temps encore; dis un mot, Nicole.
– Oh! si fait, monsieur le duc, je la veux, au contraire.
– Je te l’accorde.
– Eh bien?
– Eh bien, je ferai donc ceci, écoute.
– Parlez, monseigneur.
– Au lieu de te laisser chasser et emprisonner, je te ferai libre et riche.
– Libre et riche?
– Oui.
– Et que faut-il faire pour devenir libre et riche? Dites vite, monsieur le maréchal.
– Presque rien.
– Mais encore…
– Ce que je vais te prescrire.
– Est-ce bien difficile?
– Une besogne d’enfant.
– Ainsi, dit Nicole, il y a quelque chose à faire?
– Ah! dame!… tu sais la devise de ce monde, Nicole: rien pour rien.
– Et ce qu’il y a à faire, est-ce pour moi? est-ce pour vous?
Le duc regarda Nicole.
– Tudieu! dit-il, la petite masque, est-elle rouée!
– Enfin, achevez, monsieur le duc.
– Eh bien, c’est pour toi, répondit-il bravement.
– Ah! ah! dit Nicole, qui déjà, comprenant que le maréchal avait besoin d’elle, ne le craignait plus, et dont l’ingénieuse cervelle fonctionnait pour découvrir la vérité au milieu des détours dont, par habitude, l’enveloppait son interlocuteur; que ferai-je donc pour moi, monsieur le duc?
– Voici: M. de Beausire vient à sept heures et demie?
– Oui, monsieur le maréchal, c’est son heure.
– Il est sept heures dix minutes.
– C’est encore vrai.
– Si je veux, il sera pris.
– Oui, mais vous ne voulez pas.
– Non: tu iras le trouver et tu lui diras…
– Je lui dirai?…
– Mais, d’abord, l’aimes-tu, ce garçon, Nicole?
– Puisque je lui donne des rendez-vous…
– Ce n’est pas une raison; tu peux vouloir l’épouser: les femmes ont de si étranges caprices!
Nicole partit d’un éclat de rire.
– Moi, l’épouser? dit-elle. Ah! ah! ah!
Richelieu demeura stupéfait; il n’avait pas, même à la cour, rencontré beaucoup de femmes de cette force là.
– Eh bien, soit, tu ne veux pas épouser; mais tu aimes alors: tant mieux.
– Soit. J’aime M. de Beausire, mettons cela, monseigneur, et passons.
– Peste! quelle enjambeuse!
– Sans doute. Vous comprenez, ce qui m’intéresse…
– Eh bien?
– C’est de savoir ce qui me reste à faire.
– Nous disons d’abord que, puisque tu l’aimes, tu fuiras avec lui.
– Dame! si vous le voulez absolument, il faudra bien.
– Oh! oh! je ne veux rien, moi; un moment, petite!
Nicole vit qu’elle allait trop vite, et qu’elle ne tenait encore ni le secret ni l’argent de son rude antagoniste.
Elle plia donc, sauf plus tard à se relever.
– Monseigneur, dit-elle, j’attends vos ordres.
– Eh bien, tu vas aller trouver M. de Beausire et tu lui diras: «Nous sommes découverts; mais j’ai un protecteur qui nous sauve, vous de Saint Lazare, moi de la Salpêtrière. Partons.»
Nicole regarda Richelieu.
– Partons, répéta-t-elle.
Richelieu comprit ce regard si fin et si expressif.
– Parbleu! dit-il, c’est entendu, je pourvoirai aux frais du voyage.
Nicole ne demanda pas d’autre éclaircissement; il fallait bien qu’elle sût tout puisqu’on la payait.
Le maréchal sentit ce pas fait par Nicole et se hâta, de son côté, de dire tout ce qu’il avait à dire, comme on se hâte de payer quand on a perdu, pour n’avoir plus le désagrément de payer.
– Sais-tu à quoi tu penses, Nicole? dit-il.
– Ma foi, non, répondit la jeune fille; mais, vous qui savez tant de choses, monsieur le maréchal, je parie que vous l’avez deviné?
– Nicole, dit-il, tu songes que, si tu fuis, ta maîtresse pourra, ayant besoin de toi, par hasard, t’appeler dans la nuit, et, ne te trouvant pas, donner l’alarme, ce qui t’exposerait à être rattrapée.
– Non, dit Nicole, je ne pensais point à cela, parce que, toute réflexion faite, voyez-vous, monsieur le maréchal, j’aime mieux rester ici.
– Mais si l’on prend M. de Beausire?
– Eh bien, on le prendra.
– Mais s’il avoue?
– Il avouera.
– Ah! fit Richelieu avec un commencement d’inquiétude, tu seras perdue, alors.
– Non; car mademoiselle Andrée est bonne et, comme elle m’aime au fond, elle parlera de moi au roi; et, si l’on fait quelque chose à M. de Beausire, on ne me fera rien, à moi.
Le maréchal se mordit les lèvres.
– Et moi, Nicole, reprit-il, je te dis que tu es une sotte; que mademoiselle Andrée n’est pas bien avec le roi, et que je vais te faire enlever tout à l’heure si tu ne m’écoutes pas comme je veux que tu m’écoutes; entends-tu, petite vipère?
– Oh! oh! monseigneur, je n’ai la tête ni plate ni cornue; j’écoute, mais je fais mes réserves.
– Bien. Tu vas donc aller de ce pas ruminer ton plan de fuite avec M. de Beausire.
– Mais comment voulez-vous que je m’expose à fuir, monsieur le maréchal, puisque vous me dites vous-même que mademoiselle peut se réveiller, me demander, m’appeler, que sais-je? toutes choses auxquelles je n’avais pas songé d’abord, mais que vous avez prévues, vous, monseigneur, qui êtes un homme d’expérience.
Richelieu se mordit une seconde fois les lèvres, mais plus fort cette fois que la première.