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Gilbert approuva de la tête.

– Et pourquoi ai-je refusé cela? continua Rousseau avec véhémence, parce que l’homme ne peut être double, parce que la main qui a écrit que la royauté était un abus, ne peut pas aller demander à un roi l’aumône d’une faveur; parce que moi qui sais que toute fête enlève au peuple un peu de ce bien-être dont il lui reste à peine pour ne pas se révolter, je proteste par mon absence contre toutes ces fêtes.

– Monsieur, dit Gilbert, je vous prie de croire que j’ai compris tout ce qu’il y a de sublime dans votre philosophie.

– Sans doute; cependant, puisque vous ne la pratiquez pas, permettez-moi de vous dire…

– Monsieur, dit Gilbert, je ne suis pas philosophe.

– Dites au moins ce que vous allez faire à Saint-Denis.

– Monsieur, je suis discret.

Le mot frappa Rousseau: il comprit qu’il y avait quelque mystère caché sous cet entêtement, et il regarda le jeune homme avec une espèce d’admiration que lui inspirait ce caractère.

– À la bonne heure, dit-il, vous avez un motif. J’aime mieux cela.

– Oui, monsieur, j’ai un motif, et qui ne ressemble en rien, je vous jure, à la curiosité que l’on a d’un spectacle.

– Tant mieux, ou peut-être tant pis, car votre regard est profond, jeune homme, et j’y cherche en vain la candeur et le calme de la jeunesse.

– Je vous ai dit, monsieur, répliqua tristement Gilbert, que j’avais été malheureux, et que, pour les malheureux, il n’y avait pas de jeunesse. Ainsi c’est convenu, vous me donnez le jour de demain?

– Je vous le donne, mon ami.

– Merci, monsieur.

– Seulement, dit Rousseau, à l’heure où vous regarderez passer toutes les pompes du monde, je développerai un de mes herbiers et je passerai en revue toutes les magnificences de la nature.

– Monsieur, dit Gilbert, n’eussiez-vous point abandonné tous les herbiers de la terre, le jour où vous allâtes pour revoir mademoiselle Galley après lui avoir jeté un bouquet de cerises dans son sein?

– Voilà qui est bien, dit Rousseau; c’est vrai, vous êtes jeune. Allez à Saint-Denis, mon enfant.

Puis, lorsque Gilbert tout joyeux fut sorti refermant la porte derrière lui:

– Ce n’est pas de l’ambition, dit-il, c’est de l’amour!

Chapitre XLVII La femme du sorcier

Au moment où Gilbert, après sa journée si bien remplie, grignotait dans son grenier son pain trempé d’eau fraîche et humait de tous ses poumons l’air des jardins d’alentour, en ce moment, disons-nous, une femme vêtue avec une élégance un peu étrange, ensevelie sous un long voile, après avoir suivi au galop d’un superbe cheval arabe cette route de Saint-Denis, déserte encore, mais qui devait le lendemain s’encombrer de tant de monde, mettait pied à terre devant le couvent des carmélites de Saint-Denis et heurtait de son doigt délicat au barreau du tour, tandis que son cheval, dont elle tenait la bride passée à son bras, piaffait et creusait le sable avec impatience.

Quelques bourgeois de la ville s’arrêtèrent par curiosité autour de l’inconnue. Ils étaient attirés à la fois, nous l’avons dit, d’abord par l’étrangeté de sa mine, ensuite par son insistance à heurter.

– Que désirez-vous, madame? lui demanda l’un d’eux.

– Vous le voyez, monsieur, répondit l’étrangère avec un accent italien des plus prononcés, je désire entrer.

– Alors, vous vous adressez mal. Ce tour ne s’ouvre qu’une fois le jour aux pauvres, et l’heure à laquelle il s’ouvre est passée.

– Comment fait-on alors pour parler à la supérieure? demanda celle qui heurtait.

– On frappe à la petite porte au bout du mur, ou bien on sonne à la grande porte.

Un autre s’approcha.

– Vous savez, madame, dit-il, que maintenant la supérieure est Son Altesse royale Madame Louise de France?

– Je le sais, merci.

– Vertudieu! le beau cheval! s’écria un dragon de la reine regardant la monture de l’étrangère. Savez-vous que, si ce cheval n’est pas hors d’âge, il vaut cinq cents louis, aussi vrai que le mien vaut cent pistoles?

Ces mots produisirent beaucoup d’effet sur la foule.

En ce moment, un chanoine, qui, tout au contraire du dragon, regardait la cavalière sans s’inquiéter du cheval, se fraya un sentier jusqu’à elle, et, grâce à un secret connu de lui, ouvrit la porte du tour.

– Entrez, madame, dit-il, et tirez après vous votre cheval.

La femme, pressée d’échapper aux regards avides de cette foule, regards qui semblaient effroyablement lui peser, se hâta de suivre le conseil et disparut derrière la porte avec sa monture.

Une fois seule dans la vaste cour, l’étrangère secoua la bride de son cheval, lequel agita si brusquement tout son caparaçon et battit si vigoureusement le pavé de son fer, que la sœur tourière, qui avait quitté un instant son petit logement placé près de la porte, s’élança de l’intérieur du couvent.

– Que voulez-vous, madame? s’écria-t-elle, et comment vous êtes-vous introduite ici?

– C’est un bon chanoine qui m’a ouvert la porte, dit-elle; quant à ce que je veux, je veux, si c’est possible, parler à la supérieure.

– Madame ne recevra pas ce soir.

– On m’avait dit cependant qu’il était du devoir des supérieures de couvent de recevoir celles de leurs sœurs du monde qui viennent leur demander secours, à toute heure du jour et de la nuit.

– C’est possible dans les circonstances ordinaires; mais Son Altesse, arrivée d’avant-hier seulement, est à peine installée et ce soir tient chapitre.

– Madame! Madame! reprit l’étrangère, j’arrive de bien loin, j’arrive de Rome. Je viens de faire soixante lieues à cheval, je suis à bout de mon courage.

– Que voulez-vous! l’ordre de Madame est formel.

– Ma sœur, j’ai à révéler à votre abbesse des choses de la plus haute importance.

– Revenez demain.

– Impossible… Je suis restée un jour à Paris, et déjà, pendant cette journée… d’ailleurs, je ne puis pas coucher à l’hôtellerie.

– Pourquoi cela?

– Parce que je n’ai point d’argent.