La sœur tourière parcourut d’un œil stupéfait cette femme couverte de pierreries et maîtresse d’un beau cheval, qui prétendait n’avoir point d’argent pour payer son gîte d’une nuit.
– Oh! ne faites point attention à mes paroles, non plus qu’à mes habits, dit la jeune femme; non, ce n’est point la vérité exacte que j’ai dite en disant que je n’avais point d’argent, car dans toute hôtellerie, on me ferait crédit sans doute. Non! non! ce que je viens chercher ici, ce n’est point un gîte, c’est un refuge.
– Madame, ce couvent n’est point le seul qu’il y ait à Saint-Denis, et chacun de ces couvents a son abbesse.
– Oui, oui, je le sais bien; mais ce n’est point à une abbesse vulgaire que je puis m’adresser, ma sœur.
– Je crois que vous vous tromperiez en insistant. Madame Louise de France ne s’occupe plus des choses de ce monde.
– Qu’importe! Annoncez-lui toujours que je veux lui parler.
– Il y a un chapitre, vous dis-je.
– Après le chapitre.
– Le chapitre commence à peine.
– J’entrerai dans l’église et j’attendrai en priant.
– Je suis désespérée, madame.
– Quoi?
– Vous ne pouvez pas attendre.
– Je ne puis pas attendre?
– Non.
– Oh! je me trompais donc! je ne suis donc pas dans la maison du bon Dieu? s’écria l’étrangère avec une telle énergie dans le regard et dans la voix, que la sœur, n’osant prendre sur elle de résister plus longtemps, répliqua:
– S’il en est ainsi, je vais essayer.
– Oh! dites bien à Son Altesse, ajouta l’étrangère, que j’arrive de Rome; que je n’ai pris, l’exception de deux haltes que j’ai faites, l’une à Mayence, l’autre à Strasbourg, que je n’ai pris en chemin que le temps nécessaire pour dormir, et que, depuis quatre jours surtout, je ne me suis reposée que pour retrouver la force de me tenir sur mon cheval, et pour donner à mon cheval la force de me porter.
– Je le dirai, ma sœur.
Et la religieuse s’éloigna.
Un instant après, une sœur converse parut.
La tourière marchait derrière elle.
– Eh bien? demanda l’étrangère provoquant la réponse, tant elle était impatiente de l’entendre.
– Son Altesse royale a dit, madame, répondit la sœur converse, que ce soir il était de toute impossibilité qu’elle vous donnât audience, mais que l’hospitalité ne vous en serait pas moins offerte au couvent, puisque vous pensiez avoir un si urgent besoin de trouver un asile. Vous pouvez donc entrer, ma sœur, et, si vous venez d’accomplir cette longue course, si vous êtes aussi fatiguée que vous le dites, vous n’avez qu’à vous mettre au lit.
– Mais mon cheval?
– On en aura soin; soyez tranquille, ma sœur.
– Il est doux comme un mouton. Il s’appelle Djérid et vient à ce nom quand on l’appelle. Je vous le recommande instamment, car c’est un merveilleux animal.
– Il sera traité comme le sont les propres chevaux du roi.
– Merci.
– Maintenant, conduisez madame à sa chambre, dit la sœur converse à la sœur tourière.
– Non, pas à ma chambre, à l’église. Je n’ai pas besoin de dormir, j’ai besoin de prier.
– La chapelle vous est ouverte, ma sœur, dit la religieuse en montrant du doigt une petite porte latérale donnant dans l’église.
– Et je verrai madame la supérieure? demanda l’étrangère.
– Demain.
– Demain matin?
– Oh! demain matin, ce sera encore chose impossible.
– Et pourquoi cela?
– Parce que demain matin il y aura grande réception.
– Oh! qui peut être reçu qui soit plus pressé ou plus malheureux que moi?
– Madame la dauphine nous fait l’honneur de s’arrêter deux heures en passant demain. C’est une grande faveur pour notre couvent, une grande solennité pour nos pauvres sœurs; de sorte que vous comprenez…
– Hélas!
– Madame l’abbesse désire que tout soit ici digne des hôtes royaux que nous recevons.
– Et en attendant, dit l’étrangère regardant avec un frisson visible autour d’elle, en attendant que je puisse voir l’auguste supérieure, je serai en sûreté ici?
– Oui, ma sœur, sans doute. Notre maison est un asile même pour les coupables, à plus forte raison pour les…
– Fugitifs, dit l’étrangère; bien. De sorte que personne n’entre ici, n’est-ce pas?
– Sans ordre, non, personne.
– Oh! et s’il obtenait cet ordre, mon Dieu, mon Dieu, dit l’étrangère, lui qui est si puissant, que sa puissance m’épouvante parfois.
– Qui, lui? demanda la sœur.
– Personne, personne.
– Voilà une pauvre folle, murmura la religieuse.
– L’église, l’église! répéta l’étrangère comme pour justifier l’opinion que l’on commençait à prendre d’elle.
– Venez, ma sœur, je vais vous y conduire.
– C’est qu’on me poursuit, voyez-vous; vite, vite, l’église!
– Oh! les murailles de Saint-Denis sont bonnes, fit la sœur converse avec un sourire compatissant, de sorte que, si vous m’en croyez, fatiguée comme vous l’êtes, vous vous en rapporterez à ce que je vous dis, et vous irez vous reposer dans un bon lit, au lieu de meurtrir vos genoux sur la dalle de la chapelle.
– Non, non, je veux prier; je veux prier afin que Dieu écarte de moi ceux qui me poursuivent, s’écria la jeune femme en disparaissant par la porte que lui avait indiquée la religieuse et en fermant la porte derrière elle.
La religieuse, curieuse comme une religieuse, fit le tour par la grande porte, et, s’avançant doucement, elle vit au pied de l’autel la femme inconnue priant et sanglotant la face contre terre.
Chapitre XLVIII Les bourgeois de Paris
Le chapitre était assemblé en effet, comme l’avaient dit les religieuses à l’étrangère, afin d’aviser au moyen de faire à la fille des Césars une brillante réception.
Son Altesse royale Madame Louise inaugurait ainsi à Saint-Denis son commandement suprême.
Le trésor de la fabrique était un peu en baisse; l’ancienne supérieure, en résignant ses pouvoirs, avait emporté la majeure partie des dentelles qui lui appartenaient en propre, ainsi que les reliquaires et les ostensoirs, que prêtaient à leurs communautés ces abbesses tirées toutes des meilleures familles, en se vouant au service du Seigneur aux conditions les plus mondaines.