– Faites, monsieur.
– Ce sera, j’en suis certain, faire ma cour à madame la dauphine.
– Ce qui ne sera pas du tout inutile dans les termes où vous êtes avec elle, dit flegmatiquement Balsamo.
– Et si je vous faisais arrêter, monsieur de l’horoscope, que diriez-vous?
– Je dirais que vous avez grand tort, monsieur le cardinal.
– En vérité! dit l’Éminence avec un mépris écrasant; et qui donc trouverait cela?
– Vous-même, monsieur le cardinal.
– Je vais donc en donner l’ordre de ce pas; alors, on saura quel est au juste ce baron Joseph Balsamo, comte de Fœnix, rejeton illustre d’un arbre généalogique dont je n’ai vu la graine en aucun champ héraldique de l’Europe.
– Monsieur, dit Balsamo, que ne vous êtes-vous informé de moi à votre ami M. de Breteuil?
– M. de Breteuil n’est pas mon ami.
– C’est-à-dire qu’il ne l’est plus, mais il l’a été et de vos meilleurs même; car vous lui avez écrit certaine lettre…
– Quelle lettre? demanda le cardinal en se rapprochant.
– Plus près, monsieur le cardinal, plus près; je ne voudrais point parler haut de peur de vous compromettre.
Le cardinal se rapprocha encore.
– De quelle lettre voulez-vous parler? dit-il.
– Oh! vous le savez bien.
– Dites toujours.
– Eh bien, d’une lettre que vous écrivîtes de Vienne à Paris, à l’effet de faire manquer le mariage du dauphin.
Le prélat laissa échapper un mouvement d’effroi.
– Cette lettre…? balbutia-t-il.
– Je la sais par cœur.
– C’est une trahison de M. de Breteuil, alors?
– Pourquoi cela?
– Parce que, lorsque le mariage fut décidé, je la lui redemandai.
– Et il vous dit?…
– Qu’elle était brûlée.
– C’est qu’il n’osa vous dire qu’elle était perdue.
– Perdue?
– Oui… Or, une lettre perdue, vous comprenez, il se peut qu’on la retrouve.
– Si bien que cette lettre que j’ai écrite à M. de Breteuil?…
– Oui.
– Qu’il m’a dit avoir brûlée?…
– Oui.
– Et qu’il avait perdue?…
– Je l’ai retrouvée. Oh! mon Dieu! par hasard, en passant dans la cour de marbre à Versailles.
– Et vous ne l’avez pas fait remettre à M. de Breteuil?
– Je m’en serais bien gardé.
– Pourquoi cela?
– Parce que, en ma qualité de sorcier, je savais que Votre Éminence, à qui je veux tant de bien, moi, me voulait mal de mort. Alors vous comprenez: un homme désarmé qui sait qu’en traversant un bois il va être attaqué, et qui trouve un pistolet tout chargé sur la lisière de ce bois…
– Eh bien?
– Eh bien, cet homme est un sot s’il se dessaisit de ce pistolet.
Le cardinal eut un éblouissement et s’appuya sur le rebord de la fenêtre.
Mais, après un instant d’hésitation, dont le comte dévorait les variations sur son visage:
– Soit, dit-il. Mais il ne sera pas dit qu’un prince de ma maison aura plié devant la menace d’un charlatan. Cette lettre eût-elle été perdue, l’eussiez-vous trouvée, dût-elle être montrée à madame la dauphine elle-même; cette lettre dût-elle me perdre comme homme politique, je soutiendrai mon rôle de sujet loyal, de fidèle ambassadeur. Je dirai ce qui est vrai, c’est-à-dire que je trouvais cette alliance nuisible aux intérêts de mon pays, et mon pays me défendra ou me plaindra.
– Et si quelqu’un, dit le comte, se trouve là, qui dise que l’ambassadeur, jeune, beau, galant, ne doutant de rien, vu son nom de Rohan et son titre de prince, ne disait point cela parce qu’il croyait l’alliance autrichienne nuisible aux intérêts de la France, mais parce que, gracieusement reçu d’abord par l’archiduchesse Marie-Antoinette, cet orgueilleux ambassadeur avait eu la vanité de voir dans cette affabilité quelque chose de plus que… de l’affabilité, que répondra le fidèle sujet, le loyal ambassadeur?
– Il niera, monsieur, car de ce sentiment que vous prétendez avoir existé, il ne reste aucune preuve.
– Ah! si fait, monsieur, vous vous trompez: il reste la froideur de madame la dauphine pour vous.
Le cardinal hésita.
– Tenez, mon prince, dit le comte, croyez-moi, au lieu de nous brouiller, comme ce serait déjà fait si je n’avais plus de prudence que vous, restons bons amis.
– Bons amis?
– Pourquoi pas? Les bons amis sont ceux qui nous rendent des services.
– En ai-je jamais réclamé de vous?
– C’est le tort que vous avez eu; car depuis deux jours que vous êtes à Paris…
– Moi?
– Oui, vous. Eh! mon Dieu, pourquoi vouloir me cacher cela, à moi qui suis sorcier? Vous avez quitté la princesse à Soissons, vous êtes venu en poste à Paris par Villers-Cotterêts et Dammartin, c’est-à-dire par la route la plus courte, et vous êtes venu demander à vos bons amis de Paris des services qu’ils vous ont refusés. Après lesquels refus, vous êtes reparti en poste pour Compiègne, et cela désespéré.
Le cardinal semblait anéanti.
– Et quel genre de services pouvais-je donc attendre de vous, demanda-t-il, si je m’étais adressé à vous?
– Les services qu’on demande à un homme qui fait de l’or.
– Et que m’importe que vous fassiez de l’or?
– Peste! quand on a cinq cent mille francs à payer dans les quarante-huit heures… Est-ce bien cinq cent mille francs? Dites.
– Oui, c’est bien cela.
– Vous demandez à quoi importe d’avoir un ami qui fait de l’or? Cela importe que les cinq cent mille francs qu’on n’a pu trouver chez personne, on les trouvera chez lui.
– Et où cela? demanda le cardinal.
– Rue Saint-Claude, au Marais.
– À quoi reconnaîtrai-je la maison?
– À une tête de griffon en bronze qui sert de marteau à la porte.
– Quand pourrai-je m’y présenter?
– Après-demain, monseigneur, vers six heures du soir, s’il vous plaît, et ensuite…
– Ensuite?
– Toutes et quantes fois il vous fera plaisir d’y venir. Mais, tenez, notre conversation finit à temps, voici la princesse qui a terminé sa prière.