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Le cardinal était vaincu; il n’essaya point de résister plus longtemps, et, s’approchant de la princesse:

– Madame, dit-il, je suis forcé d’avouer que M. le comte de Fœnix a parfaitement raison, que l’acte dont il est porteur est on ne peut plus valable, et qu’enfin les explications qu’il m’a données m’ont complètement satisfait.

Le comte s’inclina.

– Qu’ordonne Votre Altesse royale? demanda-t-il.

– Un dernier mot à cette jeune femme.

Le comte s’inclina une seconde fois en signe d’assentiment.

– C’est de votre propre et entière volonté que vous voulez quitter le couvent de Saint-Denis, où vous étiez venue me demander un refuge?

– Son Altesse, reprit vivement Balsamo, demande si c’est de votre propre et entière volonté que vous voulez quitter le couvent de Saint-Denis où vous étiez venue demander un asile? Répondez, Lorenza.

– Oui, dit la jeune femme, c’est de ma propre volonté.

– Et cela pour suivre votre mari, le comte de Fœnix?

– Et cela pour me suivre? répéta le comte.

– Oh! oui, dit la jeune femme.

– En ce cas, dit la princesse, je ne vous retiens ni l’un ni l’autre, car ce serait faire violence aux sentiments. Mais, s’il y a quelque chose dans tout ceci qui sorte de l’ordre naturel des choses, que la punition du Seigneur retombe sur celui qui, à son profit ou dans ses intérêts, aura troublé l’harmonie de la nature… Allez, monsieur le comte de Fœnix; allez, Lorenza Feliciani, je ne vous retiens plus… Seulement, reprenez vos bijoux.

– Ils sont aux pauvres, Madame, dit le comte de Fœnix; et, distribuée par vos mains, l’aumône sera deux fois agréable à Dieu. Je ne redemande que mon cheval Djérid.

– Vous pouvez le réclamer en passant, monsieur. Allez!

Le comte s’inclina devant la princesse et présenta son bras à Lorenza, qui vint s’y appuyer et qui sortit avec lui sans prononcer une parole.

– Ah! monsieur le cardinal, dit la princesse en secouant tristement la tête, il y a des choses incompréhensibles et fatales dans l’air que nous respirons.

Chapitre LIII Le retour de Saint-Denis

En s’éloignant de Philippe, Gilbert, comme nous l’avons dit, était rentré dans la foule.

Mais cette fois ce n’était plus le cœur bondissant d’attente et de joie qu’il se jetait dans le flot bruissant, c’était l’âme ulcérée par une douleur que le bon accueil de Philippe et ses obligeantes offres de service n’avaient pu adoucir.

Andrée ne se doutait pas qu’elle eût été cruelle pour Gilbert. La belle et sereine jeune fille ignorait complètement qu’il pût y avoir entre elle et le fils de sa nourrice aucun point de contact, ni pour la douleur ni pour la joie. Elle passait au-dessus des sphères inférieures, jetant sur elles son ombre ou sa lumière, selon qu’elle était elle-même souriante ou sombre. Cette fois, l’ombre de son dédain avait glacé Gilbert; et comme elle n’avait fait que suivre l’impulsion de sa propre nature, elle ignorait elle-même qu’elle avait été dédaigneuse.

Mais Gilbert, comme un athlète désarmé, avait tout reçu en plein cœur, regards de mépris et paroles superbes; et Gilbert n’avait pas encore assez de philosophie pour ne pas se donner, tout saignant comme il l’était, la consolation du désespoir.

Aussi, à partir du moment où il fut rentré dans la foule, ne s’inquiéta-t-il plus ni des chevaux, ni des hommes. Rassemblant ses forces, au risque de s’égarer ou de se faire broyer, il s’élança comme un sanglier blessé à travers la multitude et se fit ouvrir un passage.

Lorsque les couches les plus épaisses du peuple eurent été franchies, le jeune homme commença de respirer plus librement, et, jetant les yeux autour de lui, il vit la verdure, la solitude et l’eau.

Sans savoir où il allait, il avait couru jusqu’à la Seine, et se trouvait presque en face de l’île Saint-Denis. Alors, épuisé, non de la fatigue du corps, mais des angoisses de l’esprit, il se laissa rouler sur le gazon, et, enfermant sa tête dans ses deux mains, il se mit à rugir frénétiquement comme si cette langue du lion rendait mieux ses douleurs que le cri et la parole de l’homme.

En effet, tout cet espoir vague et indécis, qui jusque-là avait laissé tomber quelques lueurs furtives sur ces désirs insensés dont il n’osait pas même se rendre compte, tout cet espoir n’était-il pas éteint d’un coup? À quelque degré de l’échelle sociale qu’à force de génie, de science ou d’étude, montât Gilbert, il restait toujours Gilbert pour Andrée, c’est-à-dire une chose ou un homme (c’étaient ses propres expressions) dont son père avait eu tort de prendre le moindre souci, et qui ne valait pas la peine qu’on abaissât les yeux jusqu’à lui.

Un instant il avait cru qu’en le voyant à Paris, qu’en apprenant qu’il y était venu à pied, qu’en connaissant cette résolution où il était de lutter avec son obscurité, jusqu’à ce qu’il l’eût terrassée, Andrée applaudirait à cet effort. Et voilà que non seulement le macte animo avait manqué au généreux enfant, mais encore il n’avait recueilli de tant de fatigue et d’une si haute résolution que la dédaigneuse indifférence qu’Andrée avait toujours eue pour le Gilbert de Taverney.

Bien plus, n’avait-elle pas failli se fâcher quand elle avait su que ses yeux avaient eu l’audace de plonger dans son solfège? Si Gilbert eut touché seulement le solfège du bout du doigt, sans doute il n’eût plus été bon qu’à être brûlé.

Dans les cœurs faibles, une déception, un mécompte, ne sont rien autre chose qu’un coup sous lequel l’amour ploie pour se relever plus fort et plus persévérant. Ils témoignent leurs souffrances par des plaintes, par des larmes: ils ont la passivité du mouton sous le couteau. Il y a plus, l’amour de ces martyrs s’accroît souvent des douleurs qui le devraient tuer; ils se disent que leur douceur aura sa récompense; cette récompense, c’est le but vers lequel ils marchent, que le chemin soit bon ou mauvais; seulement, si le chemin est mauvais, ils arriveront plus tard, voilà tout, mais ils arriveront.

Il n’en est point ainsi des cœurs forts, des tempéraments volontaires, des organisations puissantes. Ces cœurs-là s’irritent à la vue de leur sang qui coule, et leur énergie s’en accroît si sauvagement, qu’on les croirait dès lors plus haineux qu’aimants. Il ne faut pas les accuser; chez eux, l’amour et la haine se touchent de si près, qu’ils ne sentent point le passage de l’un à l’autre.

Aussi, quand Gilbert se roulait ainsi, terrassé par sa douleur, savait-il s’il aimait ou s’il haïssait Andrée? Non, il souffrait, voilà tout. Seulement, comme il n’était pas capable d’une longue patience, il se jeta hors de son abattement, décidé à se mettre à la poursuite de quelque énergique résolution.