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– Monsieur Philippe, dit la dauphine, je vous donne congé pour conduire monsieur votre père et mademoiselle votre sœur à Paris.

Gilbert entendit ces paroles, qui, dans le silence de la nuit et au milieu du recueillement de ceux qui écoutaient et regardaient, vinrent vibrer à ses oreilles.

Madame la dauphine ajouta:

– Monsieur de Taverney, je ne puis vous loger encore; partez donc avec mademoiselle pour Paris, jusqu’à ce que j’aie installé ma maison à Versailles; mademoiselle, pensez un peu à moi.

Gilbert vit la blanche figure d’Andrée s’incliner sous ces paroles avec un respect mêlé d’attendrissement.

– Bon, murmura Gilbert, elle retourne à Paris où je demeure aussi, moi.

Le baron passa avec son fils et sa fille. Beaucoup d’autres venaient après eux, à qui la dauphine avait encore de pareilles choses à dire, mais peu importait à Gilbert.

Il se glissa hors du taillis et suivit le baron au milieu des cris confus de deux cents laquais courant après leurs maîtres, de cinquante cochers répondant aux laquais, et de soixante voitures roulant sur le pavé comme autant de tonnerres.

Comme M. de Taverney avait un carrosse de la cour, ce carrosse attendait à part. Il y monta avec Andrée et Philippe, puis la portière se referma sur eux.

– Mon ami, dit Philippe au laquais qui refermait la portière, montez sur le siège avec le cocher.

– Pourquoi donc? pourquoi donc? demanda le baron.

– Parce que le pauvre diable se tient debout depuis le matin et doit être fatigué, dit Philippe.

Le baron grommela quelques paroles que Gilbert ne put entendre. Le laquais monta près du cocher.

Gilbert s’approcha.

Au moment où la voiture allait se mettre en route, on s’aperçut qu’un des traits était détaché.

Le cocher descendit, et la voiture demeura un instant encore stationnaire.

– Il est bien tard, dit le baron.

– Je suis horriblement fatiguée, murmura Andrée; trouverons-nous à coucher, au moins?

– Je l’espère, dit Philippe. J’ai envoyé directement La Brie et Nicole de Soissons à Paris. Je leur ai donné une lettre pour un de mes amis, le chargeant de retenir un petit pavillon que sa mère et sa sœur ont habité l’année passée. Ce n’est pas un logement de luxe, mais c’est une demeure commode. Vous ne cherchez point à paraître, vous ne demandez qu’à attendre.

– Ma foi, dit le baron, cela vaudra toujours bien Taverney.

– Malheureusement, oui, mon père, dit Philippe en souriant avec mélancolie.

– Aurai-je des arbres? demanda Andrée.

– Oui, et de fort beaux. Seulement, selon toute probabilité, vous n’en jouirez pas longtemps; car, aussitôt le mariage fait, vous serez présentée.

– Allons, nous faisons un beau rêve: tâchons de ne pas nous réveiller trop tôt. Philippe, as-tu donné l’adresse au cocher?

Gilbert écouta avec anxiété.

– Oui, mon père, dit Philippe.

Gilbert, qui avait tout entendu, avait eu un instant l’espoir d’entendre l’adresse.

– N’importe, dit-il, je les suivrai. Il n’y a qu’une lieue d’ici à Paris.

Le trait était rattaché, le cocher remonté sur son siège, le carrosse se mit à rouler.

Mais les chevaux du roi vont vite, quand la file ne les force point à aller doucement; si vite, qu’ils rappelèrent au pauvre Gilbert la route de la Chaussée, son évanouissement, son impuissance.

Il fit un effort, atteignit le marchepied de derrière, laissé vacant par le laquais. Fatigué, Gilbert s’y cramponna, s’y assit et roula.

Mais presque aussitôt la pensée lui vint qu’il était monté derrière la voiture d’Andrée, c’est-à-dire à la place d’un laquais.

– Eh bien, non! murmura l’inflexible jeune homme, il ne sera pas dit que je n’ai point lutté jusqu’au dernier moment; mes jambes sont fatiguées, mais mes bras ne le sont point.

Et, saisissant de ses deux mains le marchepied, sur lequel il avait posé la pointe de ses souliers, il se fit traîner au-dessous du siège, et, malgré les cahots, les secousses, il se maintint par la vigueur de ses bras dans cette position difficile, plutôt que de capituler avec sa conscience.

– Je saurai son adresse, murmura-t-il, je la saurai. Encore une mauvaise nuit à passer; mais demain je me reposerai sur mon siège, en copiant de la musique. Il me reste de l’argent, d’ailleurs, et je puis m’accorder deux heures de sommeil si je veux.

Puis il pensait que Paris était bien grand, et qu’il allait être perdu, lui qui ne le connaissait pas, quand le baron, son fils et sa fille seraient rentrés dans la maison que leur avait choisie Philippe.

Heureusement qu’il était près de minuit et que le jour venait à trois heures et demie du matin.

Comme il réfléchissait à tout cela, Gilbert remarqua qu’il traversait une grande place au milieu de laquelle s’élevait une statue équestre.

– Tiens, l’on dirait la place des Victoires, fit-il joyeux et surpris à la fois.

La voiture tourna, Andrée mit sa tête à la portière.

Philippe dit:

– C’est la statue du feu roi. Nous arrivons.

On descendit par une pente assez rapide; Gilbert faillit rouler sous les roues.

– Nous voici arrivés, dit Philippe.

Gilbert laissa ses pieds toucher la terre et s’élança de l’autre côté de la rue, où il se tapit derrière une borne.

Philippe sauta le premier hors de la voiture, sonna, et, se retournant, reçut Andrée dans ses bras.

Le baron descendit le dernier.

– Eh bien! dit-il, ces marauds-là vont-ils nous faire passer la nuit ici?

En ce moment les voix de La Brie et de Nicole résonnèrent, et une porte s’ouvrit.

Les trois voyageurs s’engloutirent dans une sombre cour dont la porte se referma sur eux.

La voiture et les laquais partirent; ils retournaient aux écuries du roi.

La maison dans laquelle venaient de disparaître les trois voyageurs n’avait rien de remarquable; mais la voiture, en passant, éclaira la maison voisine, et Gilbert put lire:

Hôtel d’Armenonville.

Il lui restait à connaître la rue.

Il gagna l’extrémité la plus voisine, celle d’ailleurs par laquelle s’était éloigné le carrosse, et, à son grand étonnement, à cette extrémité il rencontra la fontaine à laquelle il avait l’habitude de boire.