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La maison de Gilbert attira les regards d’Andrée comme toutes les autres maisons qui faisaient ceinture au jardin. De la place où était Andrée, on ne pouvait en voir que les mansardes, de même que les mansardes seules aussi pouvaient voir chez Andrée. Elle n’attira donc point son attention. Que pouvait importer à la fière jeune fille la race qui demeurait là-haut?

Andrée demeura donc convaincue, après son examen, qu’elle était seule, invisible, et que sur les limites de cette tranquille retraite n’apparaissait aucun visage curieux ou jovial de ces Parisiens moqueurs, si redoutés des femmes de province.

Ce résultat fut immédiat. Andrée, laissant sa fenêtre toute grande ouverte, pour que l’air matinal pût baigner jusqu’aux derniers recoins de sa chambre, alla vers sa cheminée, tira le cordon d’une sonnette et commença de s’habiller, ou plutôt de se déshabiller, dans la pénombre de la chambre.

Nicole arriva, détacha les courroies d’un nécessaire de chagrin qui datait de la reine Anne, prit le peigne d’écaille et déroula les cheveux d’Andrée.

En un moment les longues tresses et les boucles touffues glissèrent comme un manteau sur les épaules de la jeune fille.

Gilbert poussa un soupir étouffé. À peine s’il reconnaissait ces beaux cheveux d’Andrée, que la mode et l’étiquette venaient de couvrir de poudre. mais il reconnaissait Andrée, Andrée à moitié dévêtue, cent fois plus belle de sa négligence qu’elle ne l’eût été des plus pompeux apprêts. Sa bouche crispée n’avait plus de salive, ses doigts brûlaient de fièvre, son œil s’éteignait à force de fixité.

Le hasard fit que, tout en se faisant coiffer, Andrée leva la tête et que ses yeux se fixèrent sur la mansarde de Gilbert.

– Oui, oui, regarde, regarde, murmura Gilbert; tu auras beau regarder, tu ne verras rien, et moi je vois tout.

Gilbert se trompait, Andrée voyait quelque chose; c’était cette robe flottante, enroulée autour de la tête du jeune homme et qui lui servait de turban.

Elle montra du doigt cet étrange objet à Nicole.

Nicole interrompit la besogne compliquée qu’elle avait entreprise, et, désignant la lucarne avec le peigne, elle parut demander à sa maîtresse si c’était bien là l’objet qu’elle désignait.

Cette télégraphie, que dévorait Gilbert et dont il jouissait éperdument, avait, sans qu’il s’en doutât, un troisième spectateur.

Gilbert, tout à coup, sentit une main brusque arracher de son front la robe de Thérèse et tomba foudroyé en apercevant Rousseau.

– Que diable faites-vous là, monsieur? s’écria le philosophe avec un sourcil froncé et une grimace fâcheuse, et un examen scrutateur de la robe empruntée à sa femme.

Gilbert s’efforça de détourner l’attention de Rousseau de la lucarne.

– Rien! monsieur, dit-il, absolument rien.

– Rien… Alors, pourquoi vous cachiez-vous sous cette robe?

– Le soleil me blessait.

– Nous sommes au couchant, et le soleil vous blesse au moment où il se lève? Vous avez les yeux bien délicats, jeune homme.

Gilbert balbutia quelques mots, et, sentant qu’il s’enferrait, finit par cacher sa tête dans ses deux mains.

– Vous mentez et vous avez peur, dit Rousseau; donc, vous faisiez mal.

Et à la suite de cette terrible logique, qui acheva de bouleverser Gilbert, Rousseau vint se camper carrément devant la fenêtre.

Par un sentiment trop naturel pour qu’il ait besoin d’être expliqué, Gilbert, qui tout à l’heure tremblait d’être vu à cette fenêtre, s’y élança dès que Rousseau y fut.

– Ah! ah! dit celui-ci d’un ton qui figea le sang dans les veines de Gilbert, le pavillon est habité maintenant.

Gilbert ne souffla point le mot.

– Et par des gens, continua le philosophe ombrageux, par des gens qui connaissent ma maison, car ils se la montrent.

Gilbert, qui comprit qu’il s’était trop avancé, fit un mouvement en arrière.

Ni le mouvement ni la cause qui l’avait produit n’échappèrent à Rousseau; il comprit que Gilbert tremblait d’être vu.

– Non pas, dit-il en saisissant le jeune homme par le poignet; non pas, mon jeune ami; il y a là-dessous quelque trame; on désigne votre mansarde; placez-vous là, s’il vous plaît.

Et il l’emmena en face de la fenêtre, découvert, éclatant.

– Oh! non, monsieur, non, par grâce! s’écria Gilbert en se tordant pour échapper.

Mais, pour échapper, ce qui était facile à un jeune homme fort et agile comme Gilbert, il fallait engager une lutte avec son dieu; le respect le retenait.

– Vous connaissez ces femmes, dit Rousseau, et elles vous connaissent?

– Non, non, non, monsieur.

– Alors, si vous ne les connaissez pas et que vous leur soyez inconnu, pourquoi ne pas vous montrer?

– Monsieur Rousseau, vous avez eu parfois des secrets dans votre vie, n’est ce pas? Eh bien, pitié pour un secret.

– Ah! traître! s’écria Rousseau, oui, je connais les secrets de cette espèce; tu es une créature des Grimm, des d’Holbach; ils t’ont fait apprendre un rôle pour capter ma bienveillance, tu t’es introduit chez moi et tu me livres; oh! triple sot que je suis, oh! stupide amant de la nature, je crois secourir un de mes semblables, et j’amène chez moi un espion.

– Un espion! s’écria Gilbert révolté.

– Voyons! quel jour me vendras-tu, Judas? dit Rousseau se drapant avec la robe de Thérèse, qu’il avait machinalement gardée à sa main, et se croyant sublime de douleur, quand malheureusement il n’était que risible.

– Monsieur, vous me calomniez, dit Gilbert.

– Te calomnier, petit serpent, s’écria Rousseau, quand je te trouve occupé à correspondre par gestes avec mes ennemis, à leur raconter par signes, peut être, que sais-je, le sujet de mon dernier ouvrage!

– Monsieur, si j’étais venu chez vous pour trahir le secret de votre travail, j’aurais plus tôt fait de copier vos manuscrits qui sont sur votre bureau, que de raconter par signes le sujet qu’ils traitent.

C’était vrai, et Rousseau sentit si bien qu’il avait dit une de ces énormités qui lui échappaient dans ses monomanies de terreur, qu’il se fâcha.

– Monsieur, dit-il, j’en suis désespéré pour vous, mais l’expérience m’a rendu sévère; ma vie s’est écoulée dans les déceptions; j’ai été trahi par tous, renié par tous, livré, vendu, martyrisé par tous. Je suis, vous le savez, un des illustres malheureux que les gouvernements mettent au ban de la société. Dans une pareille situation, il est permis d’être soupçonneux, or, vous m’êtes suspect, et vous allez sortir de chez moi.