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Juste au-dessous de cette fenêtre qui jamais ne s’ouvrait, on le voyait aux toiles d’araignée qui la tapissaient au dehors; juste au dessous de cette fenêtre, disons-nous, était une porte garnie de larges clous et d’un marteau en tête de griffon, laquelle indiquait, non point qu’on entrait, mais qu’on pouvait entrer de ce côté dans la maison.

Pas d’habitations dans ce cul-de-sac; deux habitants seulement: un savetier dans une boîte de bois et une ravaudeuse dans un tonneau, tous deux s’abritant sous les acacias du couvent, qui, dès neuf heures du matin, versaient une large fraîcheur au sol poudreux.

Le soir, la ravaudeuse regagnait son domicile; le savetier cadenassait son palais, et rien ne surveillait plus la ruelle, sinon l’œil sombre et morne de cette fenêtre dont nous avons déjà parlé.

Outre la porte que nous avons dite, la maison que nous avons entrepris de décrire le plus exactement possible avait une entrée principale dans la rue Saint-Claude. Cette entrée, qui était une porte cochère avec des sculptures d’un relief qui rappelait l’architecture du temps de Louis XIII, était ornée de ce marteau à tête de griffon que le comte de Fœnix avait indiqué comme renseignement positif au cardinal de Rohan.

Quant aux fenêtres, elles avaient vue sur le boulevard, et, dès le matin, étaient visitées pour le soleil levant.

Paris, à cette époque, et dans ce quartier surtout, n’était pas bien sûr. On ne s’étonnait donc pas d’y voir les fenêtres grillées et les murailles hérissées d’artichauts de fer.

Nous disons cela parce que le premier étage de notre maison ne ressemblait pas mal à une forteresse. Contre les ennemis, contre les larrons et contre les amants, il offrait des balcons de fer aux mille pointes acérées; un fossé profond ceignait le bâtiment du côté du boulevard, et quant à parvenir dans ce fort par la rue, il eût fallu des échelles de trente pieds pour y parvenir. Le mur en avait trente-deux, et il masquait ou plutôt enterrait la cour d’honneur.

Cette maison, devant laquelle tout passant, étonné, inquiet et curieux, s’arrêterait aujourd’hui, n’avait cependant point, en 1770, un aspect bien étrange. Tout au contraire, elle était en harmonie avec le quartier, et si les bons habitants de la rue Saint-Louis et les habitants non moins bons de la rue Saint-Claude fuyaient les alentours de cet hôtel, ce n’était point à cause de l’hôtel lui-même, car sa réputation était encore intacte, mais à cause du boulevard désert de la porte Saint-Louis, assez mal famé, et du pont aux Choux, dont les deux arches, jetées sur un égout, paraissaient à tout Parisien un peu au courant des traditions les infranchissables colonnes de Gadés.

En effet, le boulevard, de ce côté, ne conduisait à rien qu’à la Bastille. On n’y voyait pas dix maisons en l’espace d’un quart de lieue: aussi l’édilité n’ayant pas jugé à propos d’éclairer ce rien, ce vide, ce néant, passé huit heures l’été et quatre heures l’hiver, c’était le chaos, plus les voleurs.

Ce fut cependant par ce boulevard, le soir, vers neuf heures, que rentra un carrosse rapide, trois quarts d’heure environ après la visite de Saint-Denis.

Les armes du comte de Fœnix décoraient les panneaux de ce carrosse.

Quant au comte, il précédait le carrosse à vingt pas, monté sur Djérid, qui faisait siffler sa longue queue en aspirant la chaleur opaque du pavé poudreux.

Dans le carrosse aux rideaux fermés reposait Lorenza, endormie sur des coussins.

La porte s’ouvrit comme par enchantement devant le bruit des roues, et le carrosse, après s’être engouffré dans les noires profondeurs de la rue Saint Claude, disparut dans la cour de la maison que nous venons de décrire.

La porte se referma derrière lui.

Il n’était certes pas besoin cependant d’un si grand mystère: personne n’était là pour voir rentrer le comte de Fœnix ou pour le gêner en quelque chose que ce fût, eût-il rapporté de Saint-Denis le trésor abbatial dans les coffres de sa voiture.

Maintenant, quelques mots sur l’intérieur de cette maison, qu’il est important pour nous de faire connaître à nos lecteurs, notre intention étant de les y ramener plus d’une fois.

Dans cette cour dont nous parlions et dont l’herbe vivace, jouant comme une mine continue, essayait, par un travail incessant, de disjoindre les pavés, on voyait à droite les écuries, à gauche les remises, et au fond un perron conduisant vers une porte à laquelle on montait indifféremment, d’un côté ou de l’autre, par un double escalier de douze marches.

Par le bas, l’hôtel, du moins ce qui en était accessible, se composait d’une immense antichambre, d’une salle à manger remarquable par un grand luxe d’argenterie entassée dans des dressoirs, et enfin d’un salon qui paraissait meublé tout récemment, exprès peut-être pour recevoir ses nouveaux locataires.

En sortant de ce salon et en rentrant dans l’antichambre, on se trouvait en face d’un grand escalier conduisant au premier étage. Ce premier étage se composait de trois chambres de maître.

Mais un géomètre habile, en mesurant de l’œil la circonférence de l’hôtel et en calculant le diamètre, aurait pu s’étonner de trouver si peu de logement dans une pareille étendue.

C’est que, dans cette première maison apparente, il existait une seconde maison cachée, et connue seulement de celui qui l’habitait.

En effet, dans l’antichambre, à côté d’une statue du dieu Harpocrate qui, les doigts sur les lèvres, semblait recommander le silence dont il est l’emblème, jouait, mise en mouvement par un ressort, une petite porte perdue dans les ornements d’architecture. Cette porte donnait accès à un escalier pris dans un corridor et de la largeur de ce corridor qui, à la hauteur de l’autre premier étage à peu près, conduisait à une petite chambre prenant son jour par deux fenêtres grillées, donnant sur une cour intérieure.

Cette cour intérieure était la boîte qui renfermait et cachait à tous les yeux la seconde maison.

La chambre à laquelle conduisait cet escalier était évidemment une chambre d’homme. Les descentes de lit et les tapis placés devant les fauteuils et les canapés étaient des plus magnifiques fourrures que fournissent l’Afrique et l’Inde. C’étaient des peaux de lion, de tigre et de panthère, aux yeux étincelants et aux dents encore menaçantes; les murailles, tendues en cuir de Cordoue, du dessin le plus large et le plus harmonieux, étaient décorées d’armes de toute espèce, depuis le tomahawk du Huron jusqu’au criss du Malais, depuis l’épée en croix des anciens chevaliers jusqu’au cangiar de l’Arabe, depuis l’arquebuse incrustée d’ivoire du XVIe jusqu’au fusil damasquiné d’or du XVIIIe.

On eût inutilement cherché à cette chambre une issue autre que celle de l’escalier; peut-être y en avait-il une ou plusieurs, mais inconnues, mais invisibles.