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Un domestique allemand, de vingt-cinq à trente ans, le seul qu’on eût vu depuis plusieurs jours errer dans la vaste maison, referma au verrou la porte cochère, et, ouvrant la porte de la voiture pendant que le cocher impassible dételait déjà les chevaux, il tira du carrosse Lorenza endormie et la porta entre ses bras jusqu’à l’antichambre; là, il la déposa sur une table couverte d’un tapis rouge et abaissa sur ses pieds, avec discrétion, le long voile blanc qui enveloppait la jeune femme.

Puis il sortit pour aller allumer aux lanternes de la voiture un chandelier à sept branches qu’il rapporta tout enflammé.

Mais, pendant cet intervalle, si court qu’il eût été, Lorenza avait disparu.

En effet, derrière le valet de chambre, le comte de Fœnix était entré; il avait pris Lorenza entre ses bras à son tour; il l’avait portée par la porte dérobée et par l’escalier secret dans la chambre des armes, après avoir avec soin refermé les deux portes derrière lui.

Une fois là, du bout du pied, il pressa un ressort placé dans l’angle de la cheminée à haut manteau. Aussitôt une porte, qui n’était autre que la plaque de cette cheminée, roula sur deux gonds silencieux, et le comte, passant sous le chambranle, disparut, refermant avec le pied, comme il l’avait ouverte, cette porte mystérieuse.

De l’autre côté de la cheminée, il avait trouvé un second escalier, et, après avoir monté quinze marches tapissées de velours d’Utrecht, il avait atteint le seuil d’une chambre élégamment tendue de satin broché de fleurs aux couleurs si vives et aux formes si bien dessinées, qu’on eût pu les prendre pour des fleurs naturelles.

Le meuble pareil était de bois doré; deux grandes armoires d’écaille incrustées de cuivre, un clavecin et une toilette en bois de rose, un beau lit tout diapré, des porcelaines de Sèvres, composaient la partie indispensable du mobilier; des chaises, des fauteuils et des sofas, disposés avec symétrie, dans un espace de trente pieds carrés, ornaient le reste de l’appartement, qui, au reste, ne se composait que d’un cabinet de toilette et d’un boudoir attenant à la chambre.

Deux fenêtres masquées par d’épais rideaux donnaient le jour à cette chambre; mais, comme il faisait nuit à cette heure, les rideaux n’avaient rien à cacher.

Le boudoir et le cabinet de toilette n’avaient aucune ouverture. Des lampes consumant une huile parfumée les éclairaient le jour comme la nuit, et, s’enlevant à travers le plafond, étaient entretenues par des mains invisibles.

Dans cette chambre, pas un bruit, pas un souffle; on eût dit être à cent lieues du monde. Seulement, l’or y brillait de tous côtés, de belles peintures souriaient sur les murailles, et de longs cristaux de Bohême, aux facettes chatoyantes, s’illuminaient comme des yeux ardents, lorsque, après avoir déposé Lorenza sur un sofa, le comte, mal satisfait de la lumière tremblante du boudoir, fit jaillir le feu de cet étui d’argent qui avait tant préoccupé Gilbert, et alluma sur la cheminée deux candélabres chargés de bougies roses.

Alors il revint vers Lorenza, et, mettant sur une pile de coussins un genou en terre devant elle:

– Lorenza! dit-il.

La jeune femme, à cet appel, se souleva sur un coude, quoique ses yeux restassent fermés. Mais elle ne répondit point.

– Lorenza, répéta-t-il, dormez-vous de votre sommeil ordinaire ou du sommeil magnétique?

– Je dors du sommeil magnétique, répondit Lorenza.

– Alors, si je vous interroge, vous pourrez répondre?

– Je crois que oui.

– Bien.

Il se fit un instant de silence; puis le comte de Fœnix continua:

– Regardez dans la chambre de Madame Louise que nous venons de quitter, il y a trois quarts d’heure à peu près.

– J’y regarde, répondit Lorenza.

– Et y voyez-vous?

– Oui.

– Le cardinal de Rohan s’y trouve-t-il encore?

– Je ne l’y vois pas.

– Que fait la princesse?

– Elle prie avant de se mettre au lit.

– Regardez dans les corridors et dans les cours du couvent si vous voyez Son Éminence?

– Je ne la vois pas.

– Regardez à la porte si sa voiture y est encore.

– Elle n’y est plus.

– Suivez la route que nous avons suivie.

– Je la suis.

– Voyez-vous des carrosses sur la route?

– Oh! oui, plusieurs.

– Et dans ces carrosses reconnaissez-vous le cardinal?

– Non.

– Rapprochez-vous de Paris.

– Je m’en rapproche.

– Encore.

– Oui.

– Encore.

– Ah! je le vois.

– Où cela?

– À la Barrière.

– Est-il arrêté?

– Il s’arrête en ce moment. Un valet de pied descend de derrière la voiture.

– Il lui parle?

– Il va lui parler.

– Écoutez, Lorenza. Il est important que je sache ce que le cardinal a dit à cet homme.

– Vous ne m’avez pas ordonné d’écouter à temps. Mais attendez, attendez, le valet de chambre parle au cocher.

– Que lui dit-il?

– Rue Saint-Claude, au Marais, par le boulevard.

– Bien, Lorenza, merci.

Le comte écrivit quelques mots sur un papier, plia le papier autour d’une petite plaque de cuivre, destinée sans doute à lui donner du poids, tira le cordon d’une sonnette, poussa un bouton au-dessous duquel s’ouvrit une gueule, laissa glisser le billet dans l’ouverture, qui se referma après l’avoir englouti.

C’était la manière dont le comte, lorsqu’il était enfermé dans les chambres intérieures, correspondait avec Fritz.

Puis, revenant à Lorenza:

– Merci, répéta-t-il.

– Tu es donc content de moi? demanda la jeune femme.

– Oui, chère Lorenza!

– Eh bien, ma récompense alors!

Balsamo sourit et approcha ses lèvres de celles de Lorenza, dont tout le corps frissonna au voluptueux contact.

– Oh! Joseph! Joseph! murmura-t-elle avec un soupir presque douloureux. Joseph! que je t’aime!

Et la jeune femme étendit ses deux bras pour serrer Balsamo contre son cœur.

Chapitre LVI La double existence – Le sommeil