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Balsamo se recula vivement, les deux bras de Lorenza ne saisirent que l’air et retombèrent en croix sur sa poitrine.

– Lorenza, dit Balsamo, veux-tu causer avec ton ami?

– Oh! oui, dit-elle; mais parle-moi toi-même souvent… j’aime tant ta voix!

– Lorenza, tu m’as dit souvent que tu serais bien heureuse si tu pouvais vivre avec moi, séparée du monde entier.

– Oui, ce serait le bonheur.

– Eh bien, j’ai réalisé ton vœu, Lorenza. Dans cette chambre, nul ne peut nous poursuivre, nul ne peut nous atteindre; nous sommes seuls, bien seuls.

– Ah! tant mieux.

– Dis-moi si cette chambre est de ton goût.

– Ordonne-moi de voir alors.

– Vois!

– Oh! la charmante chambre! dit-elle.

– Elle te plaît donc? demanda le comte avec douceur.

– Oh! oui: voilà mes fleurs favorites, mes héliotropes vanille, mes roses pourpres, mes jasmins de la Chine. Merci, mon tendre Joseph; que tu es bon!

– Je fais ce que je peux pour te plaire, Lorenza.

– Oh! tu fais cent fois plus que je ne mérite.

– Tu en conviens donc?

– Oui.

– Tu avoues donc que tu as été bien méchante?

– Bien méchante! Oh! oui. Mais tu me pardonnes, n’est-ce pas?

– Je te pardonnerai quand tu m’auras expliqué cet étrange mystère contre lequel je lutte depuis que je te connais.

– Écoute, Balsamo. C’est qu’il y a en moi deux Lorenza bien distinctes: une qui t’aime et une qui te déteste, comme il y a en moi deux existences opposées: l’une pendant laquelle j’absorbe toutes les joies du paradis, l’autre pendant laquelle j’éprouve tous les tourments de l’enfer.

– Et ces deux existences sont, l’une, le sommeil, n’est-ce pas, et l’autre, la veille?

– Oui.

– Et tu m’aimes quand tu dors, et tu me détestes quand tu veilles?

– Oui.

– Pourquoi cela?

– Je ne sais.

– Tu dois le savoir.

– Non.

– Cherche bien, regarde en toi-même, sonde ton propre cœur.

– Ah! oui… Je comprends maintenant.

– Parle.

– Quand Lorenza veille, c’est la Romaine, c’est la fille superstitieuse de l’Italie; elle croit que la science est un crime et l’amour un péché. Alors elle a peur du savant Balsamo, elle a peur du beau Joseph. Son confesseur lui a dit qu’en t’aimant elle perdrait son âme, et elle te fuira, toujours, sans cesse, jusqu’au bout du monde.

– Et quand Lorenza dort?

– Oh! c’est autre chose alors; elle n’est plus romaine, elle n’est plus superstitieuse, elle est femme, Alors elle voit dans le cœur et dans l’esprit de Balsamo. elle voit que ce génie rêve des choses sublimes. Alors elle comprend combien elle est peu de chose, comparée à lui. Et elle voudrait vivre et mourir près de lui, afin que l’avenir prononçât tout bas le nom de Lorenza, en même temps qu’il prononcera tout haut le nom de… Cagliostro!

– C’est donc sous ce nom que je deviendrai célèbre?

– Oui, oui, c’est sous ce nom.

– Chère Lorenza! tu aimeras donc ce nouveau logement?

– Il est bien plus riche que tous ceux que tu m’as déjà donnés; mais ce n’est pas pour cela que je l’aime.

– Et pourquoi l’aimes-tu?

– Parce que tu promets de l’habiter avec moi.

– Ah! quand tu dors, tu sais donc bien que je t’aime ardemment, avec passion?

La jeune femme ramena contre elle ses deux genoux qu’elle prit dans ses bras, et, tandis qu’un pâle sourire effleurait ses lèvres:

– Oui, je le vois, dit-elle. Oui, je le vois, et cependant, cependant, ajouta-t elle avec un soupir, il y a quelque chose que tu aimes plus que Lorenza.

– Et quoi donc? demanda Balsamo en tressaillant.

– Ton rêve.

– Dis mon œuvre.

– Ton ambition.

– Dis ma gloire.

– Oh! mon Dieu! mon Dieu!

Le cœur de la jeune femme s’oppressa, des larmes silencieuses coulèrent à travers ses paupières fermées.

– Que vois-tu donc? demanda Balsamo, étonné de cette effrayante lucidité qui parfois l’épouvantait lui-même.

– Oh! je vois des ténèbres parmi lesquelles glissent des fantômes; il y en a qui tiennent à la main leurs têtes couronnées, et toi, toi, tu es au milieu de tout cela, comme un général au milieu de la mêlée. Il me semble que tu as les pouvoirs de Dieu, tu commandes, et l’on obéit.

– Eh bien, dit Balsamo avec joie, cela ne te rend pas fière de moi?

– Oh! tu es assez bon pour ne pas être grand. D’ailleurs, je me cherche dans tout ce monde qui t’entoure, et je ne me vois pas. Oh! je n’y serai plus… Je n’y serai plus, murmura-t-elle tristement.

– Et où seras-tu?

– Je serai morte.

Balsamo frissonna.

– Toi morte, ma Lorenza? s’écria-t-il. Non, non, nous vivrons ensemble et pour nous aimer.

– Tu ne m’aimes pas.

– Oh! si fait.

– Pas assez, du moins, pas assez! s’écria-t-elle en saisissant de ses deux bras la tête de Joseph. Pas assez, ajouta-t-elle en appuyant sur son front des lèvres ardentes qui multipliaient leurs caresses.

– Que me reproches-tu?

– Ta froideur. Vois, tu te recules. Est-ce que je te brûle avec mes lèvres, que tu fuis devant mes baisers? Oh! rends-moi ma tranquillité de jeune fille, mon couvent de Subiaco, les nuits de ma cellule solitaire. Rends-moi les baisers que tu m’envoyais sur l’aile des brises mystérieuses, et que, dans mon sommeil, je voyais venir à moi comme des sylphes aux ailes d’or, et qui fondaient mon âme dans les délices.

– Lorenza! Lorenza!

– Oh! ne me fuis pas, Balsamo, ne me fuis pas, je t’en supplie; donne-moi ta main, que je la presse, tes yeux, que je les embrasse; je suis ta femme, enfin!

– Oui, oui, ma Lorenza chérie, oui, tu es ma femme bien-aimée.

– Et tu souffres que je passe ainsi près de toi, inutile, délaissée! Tu as une fleur chaste et solitaire dont le parfum t’appelle, et tu repousses son parfum! Ah! je le sens bien, je ne suis rien pour toi.

– Tu es tout, au contraire, ma Lorenza, puisque c’est toi qui fais ma force, ma puissance, mon génie, puisque sans toi je ne pourrais plus rien. Cesse donc de m’aimer de cette fièvre insensée qui trouble les nuits des femmes de ton pays. Aime-moi comme je t’aime, moi.