– Bien, dit le cardinal, voilà qui me ravit; passons au laboratoire.
– Votre Éminence veut-elle prendre la peine de me suivre?
– Marchons.
Chapitre LIX L’or
Le cardinal de Rohan et Balsamo enfilèrent un petit escalier qui conduisait, parallèlement au grand, dans les salons du premier étage. Là, sous une voûte, Balsamo trouva une porte qu’il ouvrit, et un corridor sombre apparut aux yeux du cardinal, qui s’y engagea résolument.
Balsamo referma la porte.
Au bruit que cette porte fit en se refermant, le cardinal regarda derrière lui avec une certaine émotion.
– Monseigneur, nous voici arrivés, dit Balsamo; nous n’avons plus qu’à ouvrir devant nous et à refermer derrière nous cette dernière porte; seulement, ne vous étonnez point du son étrange qu’elle rendra, elle est de fer.
Le cardinal, que le bruit de la première porte avait fait tressaillir, fut heureux d’avoir été prévenu à temps, car les grincements métalliques des gonds et de la serrure eussent fait vibrer désagréablement des nerfs moins susceptibles que les siens.
Il descendit trois marches et entra.
Un grand cabinet avec des solives nues au plafond, une vaste lampe et son abat-jour, force livres, beaucoup d’instruments de chimie et de physique, tel était l’aspect premier de ce nouveau logis.
Au bout de quelques secondes, le cardinal sentit qu’il ne respirait plus que péniblement.
– Que veut dire cela? demanda-t-il. On étouffe ici, maître, la sueur me coule. Quel est ce bruit?
– Voici la cause, monseigneur, comme dit Shakespeare, fit Balsamo en tirant un grand rideau d’amiante et en découvrant un vaste fourneau de briques, au centre duquel deux trous étincelaient comme les yeux du lion dans les ténèbres.
Ce fourneau tenait le centre d’une seconde pièce, d’une grandeur double de la première, et que le prince n’avait pas aperçue, masquée qu’elle était par le rideau d’amiante.
– Oh! oh! dit le prince en reculant, ceci est assez effrayant, ce me semble.
– C’est un fourneau, monseigneur.
– Oui, sans doute; mais vous avez cité Shakespeare; moi, je citerai Molière: il y a fourneau et fourneau; celui-ci a un air tout à fait diabolique, et son odeur ne me plaît pas; que diable cuit-on là dedans?
– Mais ce que Votre Éminence m’a demandé.
– Plaît-il?
– Sans doute, Votre Éminence m’a, je crois, fait la grâce d’accepter un échantillon de mon savoir-faire. Je devais ne me mettre à l’œuvre que demain soir, puisque Votre Éminence ne devait venir qu’après-demain; mais, Votre Éminence ayant changé d’avis, j’ai, aussitôt que je l’ai vue en route pour la rue Saint-Claude, allumé le fourneau et fait la mixtion; il en résulte que le fourneau bout et que dans dix minutes vous aurez votre or. Permettez que j’ouvre le vasistas pour établir un courant d’air.
– Quoi! ces creusets placés sur le fourneau?…
– Dans dix minutes nous donneront de l’or aussi pur que les sequins de Venise et les florins de Toscane.
– Voyons! si l’on peut voir toutefois?
– Sans doute; seulement, prenons quelques précautions indispensables.
– Lesquelles?
– Appliquez sur votre visage ce masque d’amiante aux yeux de verre; sans quoi, le feu pourrait bien, tant il est ardent, vous brûler la vue.
– Peste! prenons-y garde! je tiens à mes yeux, et je ne les donnerais pas pour les cent mille écus que vous m’avez promis.
– C’est ce que je pensais, monseigneur; les yeux de Votre Éminence sont beaux et bons.
Le compliment ne déplut aucunement au prince, très jaloux de ses avantages personnels.
– Ah! ah! fit-il en ajustant le masque, nous disons donc que nous allons voir de l’or?
– Je l’espère, monseigneur.
– Pour cent mille écus?
– Deux cents livres, cent marcs, oui, monseigneur; peut-être y en aura-t-il un peu plus, car j’ai fait la mixtion abondante.
– Vous êtes en vérité un généreux sorcier, dit le prince avec un joyeux battement de cœur.
– Moins que Votre Éminence, qui veut bien me le dire. Maintenant, monseigneur, veuillez vous écarter un peu, je vous prie, que j’ouvre la plaque du creuset.
Balsamo revêtit une courte chemise d’amiante, saisit d’un bras vigoureux une pince de fer, et leva un couvercle rougi par l’ardeur du feu, lequel laissa à découvert quatre creusets de forme pareille contenant les uns une mixture rouge comme du vermillon, et les autres une matière blanchissant déjà, mais avec un reste de transparence purpurine.
– Et voilà l’or! dit le prélat à mi-voix, comme s’il eut craint de troubler par une parole trop haute le mystère qui s’accomplissait devant lui.
– Oui, monseigneur, ces quatre creusets sont étagés: les uns ont douze heures de cuisson, les autres onze. La mixtion, et ceci est un secret que je révèle à un ami de la science, ne se jette dans la matière qu’au moment de l’ébullition. Mais, comme Votre Éminence peut le voir, voici le premier creuset qui blanchit; il est temps de transvaser la matière arrivée à point. Veuillez vous reculer, monseigneur.
Le prince obéit avec la même ponctualité qu’un soldat à l’ordre de son chef. Et Balsamo, quittant la pince de fer déjà chaude par le contact des creusets rouges, approcha du fourneau une sorte d’enclume à roulettes, sur laquelle étaient enchâssés dans des formes de fer huit moules cylindriques de même capacité.
– Qu’est ceci, cher sorcier? demanda le prince.
– Ceci, monseigneur, c’est le moule commun et uniforme dans lequel je vais couler vos lingots.
– Ah! ah! fit le prince.
Et il redoubla d’attention.
Balsamo étendit sur la dalle un lit d’étoupes blanches en guise de rempart. Il se plaça entre l’enclume et le fourneau, ouvrit un grand livre, récita, baguette en main, une incantation, puis, saisissant une tenaille gigantesque destinée à enfermer le creuset dans ses bras tordus:
– L’or sera superbe, dit-il, monseigneur, et de première qualité.
– Comment! demanda le prince, vous allez enlever ce pot de feu?
– Qui pèse cinquante livres, oui, monseigneur; oh! peu de fondeurs, je vous le déclare, ont mes muscles et ma dextérité; ne craignez donc rien.