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– Cependant, si le creuset éclatait…

– Cela m’est arrivé une fois, monseigneur; c’était en 1399, je faisais une expérience avec Nicolas Flamel, en sa maison de la rue des Écrivains, près la chapelle Saint-Jacques-la-Boucherie. Le pauvre Flamel faillit y perdre la vie, et moi, j’y perdis vingt-sept marcs d’une substance plus précieuse que l’or.

– Que diable me dites-vous là, maître?

– La vérité.

– En 1399, vous poursuiviez le grand œuvre?

– Oui, monseigneur.

– Avec Nicolas Flamel?

– Avec Nicolas Flamel. Nous trouvâmes le secret ensemble, cinquante ou soixante ans auparavant, en travaillant avec Pierre le Bon, dans la ville de Pola. Il ne boucha point le creuset assez vite, et j’eus l’œil droit perdu pendant dix ou douze ans par l’évaporation.

– Pierre le Bon?

– Celui qui composa le fameux ouvrage de la Margaritapretiosa, ouvrage que vous connaissez, sans doute.

– Oui, et qui porte la date de 1330.

– C’est justement cela, monseigneur.

– Et vous avez connu Pierre le Bon et Flamel?

– J’ai été l’élève de l’un et le maître de l’autre.

Et tandis que le cardinal, épouvanté, se demandait si ce n’était pas le diable en personne et non un de ses suppôts qui se trouvait à ses côtés, Balsamo plongea dans la fournaise sa tenaille aux longs bras.

L’étreinte fut sûre et rapide. L’alchimiste engloba le creuset à quatre pouces au-dessous du bord, s’assura, en le soulevant de quelques pouces seulement, qu’il le tenait bien; puis, par un effort vigoureux, il raidit les muscles, et enleva l’effrayante marmite de son fourneau ardent; les mains de la tenaille rougirent aussitôt; puis on vit courir sur l’argile incandescente des sillons blancs comme des éclairs dans une nuée sulfureuse; puis les bords du creuset se foncèrent en rouge brun, tandis que le fond conique apparaissait encore rose et argent sur la pénombre du fourneau; puis, enfin. le métal ruisselant sur lequel s’était formée une crème violette, frisée de plis d’or, siffla par la gouttière du creuset, et tomba en jets flamboyants dans le moule noir, à l’orifice duquel apparut, furieuse et écumante, la nappe d’or, insultant par ses frissonnements au vil métal qui la contenait.

– Au second, dit Balsamo en passant à un second moule.

Et le second moule fut rempli avec la même force et la même dextérité.

La sueur dégouttait du front de l’opérateur: le spectateur se signait dans l’ombre.

En effet, c’était un tableau d’une sauvage et majestueuse horreur. Balsamo, éclairé par les fauves reflets de la flamme métallique, ressemblait aux damnés que Michel-Ange et Dante tordent dans le fond de leurs chaudières.

Puis il y avait l’émotion de l’inconnu.

Balsamo ne respira point entre les deux opérations, le temps pressait.

– Il y aura un peu de déchet, dit-il après avoir rempli le second moule; j’ai laissé bouillir la mixture un centième de minute de trop.

– Un centième de minute! s’écria le cardinal, ne cherchant plus à cacher sa stupéfaction.

– C’est énorme en hermétique, monseigneur, répliqua naïvement Balsamo; mais, en attendant, Éminence, voici deux creusets vides, deux moules remplis, et cent livres d’or fin.

Et, saisissant à l’aide de ses puissantes tenailles le premier moule, il le jeta dans l’eau, qui tourbillonna et fuma longtemps; puis il l’ouvrit et en tira un morceau d’or irréprochable, ayant la forme d’un petit pain de sucre aplati aux deux pôles.

– Nous avons près d’une heure à attendre pour les deux autres creusets, dit Balsamo; en attendant, Votre Éminence veut-elle s’asseoir ou respirer le frais?

– Et c’est de l’or? demanda le cardinal sans répondre à l’interrogation de l’opérateur.

Balsamo sourit. Le cardinal était bien à lui.

– En douteriez-vous, monseigneur?

– Écoutez donc, la science s’est trompée tant de fois…

– Vous ne dites pas votre pensée tout entière, mon prince, dit Balsamo. Vous croyez que je vous trompe, et que je vous trompe sciemment. Monseigneur, je serais bien peu de chose à mes propres yeux si j’agissais ainsi; car mes ambitions n’iraient pas au delà des murs de mon cabinet, qui vous verrait sortir tout émerveillé pour aller perdre votre admiration chez le premier batteur d’or venu. Allons, allons, faites-moi plus d’honneur, mon prince, et croyez que, si je voulais tromper, ce serait plus adroitement et dans un but plus élevé. Au surplus, Votre Éminence sait comment on éprouve l’or?

– Sans doute, par la pierre à toucher.

– Monseigneur n’a pas manqué de faire l’expérience lui-même, ne fût-ce que sur les onces d’Espagne, qui sont fort courues au jeu, étant de l’or le plus fin que l’on puisse trouver, mais parmi lesquelles il s’en trouve beaucoup de fausses?

– Cela m’est arrivé effectivement.

– Eh bien! monseigneur, voici une pierre et de l’acide.

– Non, je suis convaincu.

– Monseigneur, faites-moi le plaisir de vous assurer que ces lingots sont non seulement de l’or, mais encore de l’or sans alliage.

Le cardinal paraissait répugner à donner cette preuve d’incrédulité; et cependant il était visible qu’il n’était point convaincu.

Balsamo toucha lui-même les lingots et soumit le résultat à l’expérience de son hôte.

– Vingt-huit carats, dit-il; je vais verser les deux autres.

Dix minutes après, les deux cents livres d’or étaient étalées en quatre lingots sur l’étoupe échauffée par le contact.

– Votre Éminence est venue en carrosse, n’est-ce pas? Du moins, c’est en carrosse que je l’ai vue venir.

– Oui.

– Monseigneur fera approcher son carrosse de la porte, et mon laquais portera les lingots dans son carrosse.

– Cent mille écus! murmura le cardinal en ôtant son masque, comme pour voir par ses propres yeux l’or gisant à ses pieds.

– Et celui-là, monseigneur, vous pourrez dire d’où il vient, n’est-ce pas? car vous l’avez vu faire.

– Oh! oui, et j’en témoignerai.

– Non pas, non pas, dit vivement Balsamo, on n’aime pas les savants en France; ne témoignez de rien, monseigneur. Oh! si je faisais des théories au lieu de faire de l’or, je ne dis pas.