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– Alors que puis-je faire pour vous? dit le prince en soulevant avec peine un lingot de cinquante livres dans ses mains délicates.

Balsamo le regarda fixement, et, sans aucun respect, se mit à rire.

– Qu’y a-t-il donc de risible dans ce que je vous dis? demanda le cardinal.

– Votre Éminence m’offre ses services, je crois!

– Sans doute.

– En vérité, ne serait-il pas plus à propos que je lui offrisse les miens?

La figure du cardinal s’assombrit.

– Vous m’obligez, monsieur, dit-il, et cela je m’empresse de le reconnaître, mais si cependant la reconnaissance que je vous garde devait être plus lourde que je ne le crois, je n’accepterais point le service. Il y a encore, Dieu merci, dans Paris assez d’usuriers pour que je trouve, moitié sur gage, moitié sur ma signature, cent mille écus d’ici à après-demain, et rien que mon anneau épiscopal vaut quarante mille livres.

Et le prélat étendit sa main blanche comme celle d’une femme, à l’annulaire duquel brillait un diamant gros comme une noisette.

– Mon prince, dit Balsamo en s’inclinant, il est impossible que vous ayez pu croire un instant à mon intention de vous offenser?

Puis, comme s’il se parlait à lui-même:

– Il est étrange, continua-t-il, que la vérité fasse cet effet à quiconque s’appelle prince.

– Comment cela?

– Eh! sans doute! Votre Éminence me propose ses services à moi! Je vous le demande à vous-même, monseigneur, de quelle nature peuvent être les services que Votre Éminence est à même de me rendre?

– Mais mon crédit à la cour d’abord.

– Monseigneur, monseigneur, vous savez vous-même que ce crédit est bien ébranlé, et j’aimerais presque autant celui de M. de Choiseul, qui n’a plus que quinze jours peut-être à rester ministre… Tenez, mon prince, en fait de crédit, tenons-nous en au mien. Voici de bel et bon or. Chaque fois que Votre Éminence en voudra, elle me le fera dire la veille ou le matin même, et je lui en fournirai à son désir; et avec de l’or, on a tout, n’est-ce pas, monseigneur?

– Non, pas tout, murmura le cardinal, tombé au rang de protégé et ne cherchant même plus à reprendre sa position de protecteur.

– Ah! c’est vrai. J’oubliais, dit Balsamo, que monseigneur désire autre chose que de l’or, un bien plus précieux que toutes les richesses du monde; mais ceci ne regarde plus la science, c’est du ressort de la magie. Monseigneur, dites un mot, et l’alchimiste est prêt à faire place au magicien.

– Merci, monsieur, je n’ai plus besoin de rien, je ne désire plus rien, dit tristement le cardinal.

Balsamo s’approcha de lui.

– Monseigneur, dit-il, un prince jeune, ardent, beau, riche, et qui s’appelle Rohan, ne peut pas faire une pareille réponse à un magicien.

– Et pourquoi cela?

– Parce que le magicien lit au fond du cœur et sait le contraire.

– Je ne désire rien, je ne veux rien, monsieur, reprit le cardinal presque épouvanté.

– J’aurais cru, au contraire, que les désirs de Son Éminence étaient tels, qu’elle n’osait se les avouer à elle-même, reconnaissant que c’étaient des désirs de roi.

– Monsieur, dit le cardinal en tressaillant, vous faites allusion, je crois, à quelques paroles que vous m’avez déjà dites chez la princesse.

– Oui, je l’avoue, monseigneur.

– Monsieur, alors vous vous êtes trompé et vous vous trompez encore maintenant.

– Oubliez-vous, monseigneur, que je vois aussi clairement dans votre cœur ce qui s’y passe en ce moment, que j’ai vu clairement votre carrosse sortir des Carmélites de Saint-Denis, dépasser la barrière, prendre le boulevard et s’arrêter sous les arbres, à cinquante pas de ma maison?

– Alors expliquez-vous et dites-moi quelque chose qui me frappe.

– Monseigneur, il a toujours fallu aux princes de votre maison un amour grand et hasardeux; vous ne dégénérez pas. C’est la loi.

– Je ne sais ce que vous voulez dire, comte, balbutia le prince.

– Au contraire, vous me comprenez à merveille. J’aurais pu toucher plusieurs des cordes qui vibrent en vous; mais pourquoi l’inutile? J’ai été droit à celle qu’il faut attaquer; oh! celle-là vibre profondément, j’en suis sûr.

Le cardinal releva la tête, et, par un dernier effort de défiance, interrogea le regard si clair et si assuré de Balsamo.

Balsamo souriait avec une telle expression de supériorité, que le cardinal baissa les yeux.

– Oh! vous avez raison, monseigneur, vous avez raison, ne me regardez point; car alors je vois trop clairement ce qui se passe dans votre cœur; car votre cœur est comme un miroir qui garderait la forme des objets qu’il a réfléchis.

– Silence, comte de Fœnix; silence, dit le cardinal subjugué.

– Oui, vous avez raison, silence, car le moment n’est pas encore venu de laisser voir un pareil amour.

– Pas encore, avez-vous dit?

– Pas encore.

– Cet amour a donc un avenir?

– Pourquoi pas?

– Et vous pourriez me dire, vous, si cet amour n’est pas insensé, comme je l’ai cru moi-même, comme je le crois encore, comme je le croirai jusqu’au moment où une preuve du contraire me sera donnée?

– Vous demandez beaucoup, monseigneur; je ne puis rien vous dire sans être mis en contact avec la personne qui vous inspire cet amour, ou avec quelque objet venant d’elle.

– Et quel objet faudrait-il pour cela?

– Une tresse de ses beaux cheveux dorés, si petite qu’elle soit, par exemple.

– Oh! oui vous êtes un homme profond! Oui, vous l’avez dit, vous lisez dans les cœurs comme je lirais, moi, dans un livre.

– Hélas! c’est ce que me disait votre pauvre arrière-grand-oncle, le chevalier Louis de Rohan, lorsque je lui fis mes adieux sur la plate-forme de la Bastille, au pied de l’échafaud sur lequel il monta si courageusement.

– Il vous dit cela… que vous étiez un homme profond?

– Et que je lisais dans les cœurs. Oui, car je l’avais prévenu que le chevalier de Préault le trahirait, il ne voulut pas me croire, et le chevalier de Préault le trahit.

– Quel singulier rapprochement faites-vous entre mon ancêtre et moi? dit le cardinal en pâlissant malgré lui.

– C’est uniquement pour vous rappeler qu’il s’agit d’être prudent, monseigneur, en vous procurant des cheveux qu’il vous faudra couper sous une couronne.