– N’importe où il faudra les aller prendre, vous les aurez, monsieur.
– Bien, maintenant voici votre or, monseigneur; j’espère que vous ne doutez plus que ce soit bien de l’or.
– Donnez-moi une plume et du papier.
– Pour quoi faire, monseigneur?
– Pour vous faire un reçu des cent mille écus que vous me prêtez si gracieusement.
– Y pensez-vous, monseigneur? un reçu à moi, et pour quoi faire?
– J’emprunte souvent, mon cher comte, dit le cardinal; mais je vous préviens que je ne reçois jamais.
– Comme il vous plaira, mon prince.
Le cardinal prit une plume sur la table, et écrivit d’une énorme et illisible écriture un reçu dont l’orthographe ferait peur à la gouvernante d’un sacristain d’aujourd’hui.
– Est-ce bien cela? demanda-t-il en le présentant à Balsamo.
– Parfaitement, répliqua le comte, le mettant dans sa poche sans même jeter les yeux dessus.
– Vous ne le lisez pas, monsieur?
– J’avais la parole de Votre Éminence, et la parole des Rohan vaut mieux qu’un gage.
– Monsieur le comte de Fœnix, dit le cardinal avec un demi-salut bien significatif de la part d’un homme de cette qualité, vous êtes un galant homme, et, si je ne puis vous faire mon obligé, vous me permettrez d’être heureux de demeurer le vôtre.
Balsamo s’inclina à son tour et tira une sonnette, au bruit de laquelle Fritz apparut.
Le comte lui dit quelques mots en allemand.
Fritz se baissa, et, comme un enfant qui emporterait huit oranges, un peu embarrassé, mais nullement courbé ou retardé, il enleva les huit lingots d’or dans leur enveloppe d’étoupe.
– Mais c’est un Hercule que ce gaillard-là! dit le cardinal.
– Il est assez fort, oui, monseigneur, répondit Balsamo; mais il est vrai de dire que, depuis qu’il est à mon service, je lui laisse boire chaque matin trois gouttes d’un élixir composé par mon savant ami le docteur Althotas; aussi le voilà qui commence à profiter; dans un an, il portera les cent marcs d’une seule main.
– Merveilleux! incompréhensible! murmura le cardinal. Oh! je ne pourrai résister au désir de parler de tout cela!
– Faites, monseigneur, faites, répondit Balsamo en riant; mais n’oubliez pas que parler de tout cela, c’est prendre l’engagement de venir éteindre vous-même la flamme de mon bûcher, si par hasard il prenait envie au Parlement de me faire rôtir en place de Grève.
Et ayant escorté son illustre visiteur jusque sous la porte cochère, il prit congé de lui avec un salut respectueux.
– Mais votre valet, le seigneur Fritz, je ne le vois pas, dit le cardinal.
– Il est allé porter l’or dans votre voiture, monseigneur.
– Il sait donc où elle est?
– Sous le quatrième arbre à droite en tournant le boulevard. C’est cela que je lui disais en allemand, monseigneur.
Le cardinal leva les mains au ciel et disparut dans l’ombre.
Balsamo attendit que Fritz fût rentré, et remonta chez lui en fermant toutes les portes.
Chapitre LX L’élixir de vie
Balsamo, demeuré seul, vint écouter à la porte de Lorenza.
Elle dormait d’un sommeil égal et doux.
Il entrouvrit alors un guichet fixé en dehors et la contempla quelque temps dans une douce et tendre rêverie. Puis, repoussant le guichet et traversant la chambre que nous avons décrite et qui séparait l’appartement de Lorenza du cabinet de physique, il s’empressa d’aller éteindre ses fourneaux, en ouvrant un immense conduit qui dégagea toute la chaleur par la cheminée, et donna passage à l’eau d’un réservoir placé sur la terrasse.
Puis, serrant précieusement dans un portefeuille de maroquin noir le reçu du cardinaclass="underline"
– La parole des Rohan est bonne, murmura-t-il, mais pour moi seulement, et là-bas il est bon que l’on sache à quoi j’emploie l’or des frères.
Ces paroles s’éteignaient sur ses lèvres, quand trois coups secs, frappés au plafond, lui firent lever la tête.
– Oh! oh! dit-il, voici Althotas qui m’appelle.
Puis, comme il donnait de l’air au laboratoire, rangeait toute chose avec méthode, replaçait la plaque sur les briques, les coups redoublèrent.
– Ah! il s’impatiente; c’est bon signe.
Balsamo prit une longue tringle de fer, et frappa à son tour.
Puis il alla détacher de la muraille un anneau de fer, et, au moyen d’un ressort qui se détendit, une trappe se détacha du plafond et s’abaissa jusqu’au sol du laboratoire. Balsamo se plaça au centre de la machine, qui, au moyen d’un autre ressort, remonta doucement, enlevant son fardeau avec la même facilité que les gloires de l’opéra enlèvent les dieux et les déesses, et l’élève se trouva chez le maître.
Cette nouvelle habitation du vieux savant pouvait avoir de huit à neuf pieds de hauteur sur seize de diamètre; elle était éclairée par le haut à la manière des puits et hermétiquement fermée sur les quatre façades.
Cette chambre était, comme on le voit, un palais relativement à son habitation dans la voiture.
Le vieillard était assis dans son fauteuil roulant, au centre d’une table de marbre taillée en fer à cheval, et encombrée de tout un monde, ou plutôt de tout un chaos de plantes, de fioles, d’outils, de livres, d’appareils et de papiers chargés de caractères cabalistiques.
Il était si préoccupé qu’il ne se dérangea point quand Balsamo apparut.
La lumière d’une lampe astrale, attachée au point culminant du vitrage, tombait sur son crâne nu et luisant.
Il ressassait entre ses doigts une bouteille de verre blanc dont il interrogeait la transparence, à peu près comme une ménagère qui fait son marché elle-même mire à la lumière les œufs qu’elle achète.
Balsamo le regarda d’abord en silence; puis, au bout d’un instant:
– Eh bien, dit-il, il y a donc du nouveau?
– Oui! oui! Arrive, Acharat! tu me vois enchanté, ravi; j’ai trouvé, j’ai trouvé!…
– Quoi?
– Ce que je cherchais, pardieu!
– L’or?
– Ah bien… oui, l’or! allons donc!
– Le diamant?
– Bon! le voilà qui extravague. L’or, le diamant, belles trouvailles, ma foi, et il y aurait de quoi se réjouir, sur mon âme, si j’avais trouvé cela!
– Alors, demanda Balsamo, ce que vous avez trouvé, c’est donc votre élixir?