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– Cela m’étonnerait beaucoup, maître, répondit Balsamo en souriant.

– Cela t’étonnerait? Ah! c’est bien heureux!

En achevant ces paroles avec son rire faux et lugubre, le vieillard attira près du chien un appareil composé de pièces de métal séparées par des tampons de drap. Le drap de cet appareil trempait dans un mélange d’eau acidulée; les deux extrémités ou les deux pôles, comme on les appelle, sortaient du baquet.

– Quel œil veux-tu qu’il ouvre, Acharat? demanda le vieillard.

– Le droit.

Les deux extrémités rapprochées, mais séparées l’une de l’autre par un morceau de soie, s’arrêtèrent sur un muscle du cou.

Aussitôt l’œil droit du chien s’ouvrit, et regarda fixement Balsamo, qui recula effrayé.

– Maintenant, passons à la gueule, veux-tu?

Balsamo ne répondit rien, il était sous l’empire d’un profond étonnement.

Althotas toucha un autre muscle, et à la place de l’œil, qui s’était refermé, ce fut la gueule qui s’ouvrit, laissant voir les dents blanches et aiguës, à la racine desquelles la gencive rouge frémissait comme dans la vie.

Balsamo eut peur et ne put cacher son émotion.

– Oh! voilà qui est étrange! dit-il.

– Vois comme la mort est peu de chose, dit Althotas triomphant de la stupéfaction de son élève, puisqu’un pauvre vieillard comme moi, qui va lui appartenir bientôt, la fait dévier de son inexorable chemin.

Et tout à coup, avec un rire strident et nerveux:

– Prends garde, Acharat, dit-il, voilà un chien mort qui tout à l’heure voulait te mordre, et qui maintenant va courir après toi. Prends garde!

Et en effet, le chien, avec son cou tranché, sa gueule béante et son œil tressaillant, se leva soudain sur ses quatre pattes, et, la tête hideusement pendante, vacilla sur ses jambes.

Balsamo sentit ses cheveux se hérisser; la sueur lui tomba du front, et il alla à reculons se coller contre la porte d’entrée, incertain s’il devait fuir ou demeurer.

– Allons, allons, je ne veux pas te faire mourir de peur en essayant de t’instruire, dit Althotas repoussant le cadavre et la machine, assez d’expériences comme cela.

Aussitôt le cadavre, cessant d’être en rapport avec la pile, retomba morne et immobile comme auparavant.

– Aurais-tu cru cela de la mort, Acharat? dit le vieillard, et la croyais-tu d’aussi bonne composition, dis?

– Étrange, en effet, étrange! dit Balsamo en se rapprochant.

– Tu vois qu’on peut arriver à ce que je disais, mon enfant, et que le premier pas est fait. Qu’est-ce que prolonger la vie, quand on est déjà parvenu à annuler la mort?

– Mais on ne le sait pas encore, objecta Balsamo, car cette vie que vous lui avez rendue est une vie factice.

– Ayons du temps et nous retrouverons la vie réelle. N’as-tu pas lu dans les poètes romains que Cassidée rendait la vie aux cadavres?

– Dans les poètes, oui.

– Les Romains appelaient les poètes vates, mon ami, n’oublie pas cela.

– Voyons, dites-moi cependant…

– Une objection encore?

– Oui. Si votre élixir de vie était composé et que vous en fissiez prendre à ce chien, il vivrait donc éternellement?

– Sans doute.

– Et s’il tombait dans les mains d’un expérimentateur comme vous qui l’égorgeât?

– Bon, bon! s’écria le vieillard avec joie et en frappant ses deux mains l’une contre l’autre, voilà où je t’attendais.

– Alors, si vous m’attendiez là, répondez-moi.

– Je ne demande pas mieux.

– L’élixir empêchera-t-il une cheminée de tomber sur une tête, une balle de percer un homme d’outre en outre, un cheval d’ouvrir d’un coup de pied le ventre de son cavalier?

Althotas regardait Balsamo du même œil qu’un spadassin doit regarder son adversaire dans un coup qui va lui permettre de le toucher.

– Non, non, non, dit-il, et tu es vraiment logicien, mon cher Acharat. Non, la cheminée, non, la balle, non, le coup de pied de cheval, ne pourront pas être évités tant qu’il y aura des maisons, des fusils et des chevaux.

– Il est vrai que vous ressusciterez les morts.

– Momentanément, oui; indéfiniment, non. Il faudrait d’abord pour cela que je trouvasse l’endroit du corps où l’âme est logée, et cela pourrait être un peu long; mais j’empêcherai cette âme de sortir du corps par la blessure qui aura été faite.

– Comment cela?

– En la refermant.

– Même si cette blessure tranche une artère?

– Sans doute.

– Ah! je voudrais voir cela.

– Eh bien, regarde, dit le vieillard.

Et, avant que Balsamo eût pu l’arrêter, il se piqua la veine du bras gauche avec une lancette.

Il restait si peu de sang dans le corps du vieillard, et ce sang roulait si lentement, qu’il fut quelque temps à venir aux lèvres de la plaie; mais enfin il y vint, et, ce passage ouvert, il sortit bientôt abondamment.

– Grand Dieu! s’écria Balsamo.

– Eh bien, quoi? dit Althotas.

– Vous êtes blessé, et grièvement.

– Puisque tu es comme saint Thomas, et que tu ne crois qu’en voyant et qu’en touchant, il faut bien te faire voir, il faut bien te faire toucher.

Il prit alors une petite fiole qu’il avait placée à la portée de sa main, et, en versant quelques gouttes sur la plaie:

– Regarde! dit-il.

Alors, devant cette eau presque magique, le sang s’écarta, la chair se resserra, fermant la veine, et la blessure devint une piqûre trop étroite pour que cette chair coulante qu’on appelle le sang pût s’en échapper.

Cette fois, Balsamo regardait le vieillard avec stupéfaction.

– Voilà encore ce que j’ai trouvé; qu’en dis-tu, Acharat?

– Oh! je dis, maître, que vous êtes le plus savant des hommes.

– Et que, si je n’ai pas vaincu tout à fait la mort, n’est-ce pas? je lui ai du moins porté un coup dont il lui sera difficile de se relever. Vois-tu, mon fils, le corps humain a des os fragiles et qui peuvent se briser: je rendrai ces os aussi durs que l’acier. Le corps humain a du sang qui, lorsqu’il s’échappe, emmène avec lui la vie: j’empêcherai que le sang ne sorte du corps. La chair est molle et facile à entamer, je la rendrai invulnérable comme celle des paladins du Moyen Âge, sur laquelle s’émoussait le fil des épées et le tranchant des haches. Il ne faut pour cela qu’un Althotas qui vive trois cents ans. Eh bien, donne-moi ce que je te demande, et j’en vivrai mille. Oh! mon cher Acharat, cela dépend de toi. Rends-moi ma jeunesse, rends-moi la vigueur de mon corps, rends-moi la fraîcheur de mes idées, et tu verras si je crains l’épée, la balle, le mur qui croule, ou la bête brute qui mord ou qui rue. À ma quatrième jeunesse, Acharat, c’est-à-dire avant que j’aie vécu l’âge de quatre hommes, j’aurai renouvelé la face de la terre, et, je te le dis, j’aurai fait pour moi et pour l’humanité régénérée un monde à mon usage, un monde sans cheminées, sans épées, sans balles de mousquet, sans chevaux qui ruent; car alors, les hommes comprendront qu’il vaut mieux vivre, s’entraider, s’aimer, que de se déchirer et de se détruire.