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– Ils l’ont amené avec eux?

– Non, ma sœur Chon l’a ramassé sur la grande route, crevant de faim; elle l’a recueilli dans sa voiture et amené à Luciennes, et là…

– Eh bien, là?

– Je crains que le drôle n’ait abusé de l’hospitalité.

– Il a volé?

– Je ne dis pas cela.

– Mais enfin…

– Je dis qu’il a pris la fuite d’une étrange façon.

– Maintenant, vous voulez le ravoir?

– Oui.

– Avez-vous quelque idée de l’endroit où il peut être?

– Je l’ai rencontré aujourd’hui à la fontaine qui fait le coin de la rue Plâtrière, et j’ai tout lieu de penser qu’il demeure dans la rue. À la rigueur même, je crois que je pourrais désigner la maison…

– Eh bien, mais, si vous connaissez la maison, rien n’est plus facile que de l’y faire prendre, dans cette maison. Qu’en voulez-vous faire, une fois que vous le tiendrez? Le faire mettre à Charenton, à Bicêtre?

– Non, pas précisément.

– Oh! tout ce que vous voudrez, mon Dieu; ne vous gênez pas.

– Non, ce garçon, au contraire, plaisait à ma sœur, et elle eût aimé à le garder près d’elle; il est intelligent. Eh bien, si avec de la douceur on pouvait le lui ramener, ce serait charmant.

– On essayera. Vous n’avez fait aucune question rue Plâtrière pour savoir chez qui il était?

– Oh! non, vous comprenez que je n’ai pas voulu me faire remarquer, compromettre la position; il m’avait aperçu et s’était sauvé comme si le diable l’emportait; s’il eût su que je connaissais sa retraite, peut-être eût-il déménagé.

– C’est juste. Rue Plâtrière, dites-vous? au bout, au milieu, au commencement de la rue?

– Au tiers à peu près.

– Soyez tranquille, je vais vous envoyer là un homme adroit.

– Ah! cher lieutenant, un homme adroit, si adroit qu’il soit, parlera toujours un peu.

– Non; chez nous, on ne parle pas.

– Le petit est fin comme l’ambre.

– Ah! je comprends: pardon de n’y être point arrivé plus tôt; vous voudriez que moi-même?… Au fait, vous avez raison… ce sera mieux… car il y a peut-être là-dedans des difficultés dont vous ne vous doutez pas.

Jean, quoique persuadé que le magistrat voulait se faire un peu valoir, ne lui ôta rien de l’importance de son rôle.

Il ajouta même:

– C’est justement à cause de ces difficultés que vous pressentez que je désire de vous avoir en personne.

M. de Sartine sonna son valet de chambre.

– Qu’on mette les chevaux, dit-il.

– J’ai une voiture, dit Jean.

– Merci, j’aime mieux la mienne; la mienne n’a pas d’armoiries, elle tient le milieu entre un fiacre et un carrosse. C’est une voiture qu’on repeint tous les mois, et qui est difficilement reconnue par cette raison. Maintenant, pendant qu’on attelle, permettez que je m’assure si mes perruques neuves vont à ma tête.

– Faites, dit Jean.

M. de Sartine appela son perruquier: c’était un artiste, et il apportait à son client une véritable collection de perruques; il y en avait de toutes les formes, de toutes les couleurs et de toutes les dimensions: perruques de robin, perruques d’avocat, perruques de traitant, perruques à la cavalière. M. de Sartine, pour les explorations, changeait parfois de costume trois ou quatre fois par jour, et il tenait essentiellement à la régularité du costume.

Comme le magistrat essayait sa vingt-quatrième perruque, on vint lui dire que la voiture était attelée.

– Vous reconnaîtrez bien la maison? demanda M. de Sartine à Jean.

– Pardieu! je la vois d’ici.

– Vous avez examiné l’entrée?

– C’est la première chose à laquelle j’ai songé.

– Et comment cette entrée est-elle faite?

– Une allée.

– Ah! une allée au tiers de la rue, avez-vous dit?

– Oui, avec porte à secret.

– Avec porte à secret! diable! Savez-vous l’étage où demeure votre fugitif?

– Dans les mansardes. Mais, d’ailleurs, vous allez voir, car j’aperçois la fontaine.

– Au pas, cocher, dit M. de Sartine.

Le cocher modéra sa course; M. de Sartine leva les glaces.

– Tenez, dit Jean, c’est cette maison sale.

– Ah! justement! s’écria M. de Sartine en frappant dans ses mains, voilà ce que je craignais.

– Comment! vous craignez quelque chose?

– Hélas! oui.

– Et que craignez-vous?

– Vous avez du malheur.

– Expliquez-vous.

– Eh bien, cette maison sale où demeure votre fugitif, est justement la maison de M. Rousseau, de Genève.

– Rousseau l’auteur?

– Oui.

– Eh bien, que vous importe?

– Comment! que m’importe? Ah! l’on voit bien que vous n’êtes pas lieutenant de police et que vous n’avez point affaire aux philosophes.

– Ah! bah! Gilbert chez M. Rousseau, quelle probabilité?…

– N’avez-vous pas dit que votre jeune homme était un philosophe?

– Oui.

– Eh bien, qui se ressemble s’assemble.

– Enfin supposons qu’il soit chez M. Rousseau.

– Oui, supposons cela.

– Qu’en résultera-t-il?

– Que vous ne l’aurez point, pardieu!

– Parce que?

– Parce que M. Rousseau est un homme fort à craindre.

– Pourquoi ne le mettez-vous point à la Bastille?

– Je l’ai proposé l’autre jour au roi, il n’a point osé.

– Comment! il n’a point osé?

– Non, il a voulu me laisser la responsabilité de cette arrestation, et, ma foi, je n’ai pas été plus brave que le roi.

– En vérité!

– C’est comme je vous le dis; on y regarde à deux fois, je vous jure, avant de se faire mordre les chausses par toutes ces mâchoires philosophiques. Peste! un enlèvement chez M. Rousseau, non pas, mon cher ami, non pas.

– En vérité, mon cher magistrat, je vous trouve d’une timidité étrange; le roi n’est-il pas le roi, et vous son lieutenant de police?

– En vérité, vous êtes charmants, vous autres bourgeois. Quand vous avez dit: «Le roi n’est-il pas le roi?» vous croyez avoir tout dit. Eh bien, écoutez ceci, mon cher vicomte. J’aimerais mieux vous enlever de chez madame du Barry que de retirer votre M. Gilbert de chez M. Rousseau.