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– Ah!

– Le savez-vous?

– Non, sire, et Votre Majesté me rendra bien heureux en me l’apprenant.

– Eh bien, le voici: vous allez aller trouver M. le dauphin, qui reçoit les derniers compliments des hommes tandis que madame la dauphine reçoit les derniers compliments des femmes.

– Oui, sire.

– Vous vous munirez d’un bougeoir, et vous prendrez M. le dauphin à part.

– Oui, sire.

– Vous indiquerez à votre élève – le roi appuya sur les deux mots – vous indiquerez à votre élève que sa chambre est située au bout du corridor neuf.

– Dont personne n’a la clef, sire.

– Parce que je la gardais, monsieur; je prévoyais ce qui arrive aujourd’hui; voici cette clef.

M. de la Vauguyon la prit en tremblant.

– Je veux bien vous dire, à vous, monsieur le duc, continua le roi, que cette galerie renferme une vingtaine de tableaux que j’ai fait placer là.

– Ah! sire, oui, oui.

– Oui, monsieur le duc; vous embrasserez votre élève, vous lui ouvrirez la porte du corridor, vous lui mettrez le bougeoir à la main, vous lui souhaiterez le bonsoir, et vous lui direz qu’il doit mettre vingt minutes à gagner la porte de sa chambre, une minute par tableau.

– Ah! sire, je comprends.

– C’est heureux. Bonsoir, monsieur de la Vauguyon.

– Votre Majesté a la bonté de m’excuser?

– Mais je ne sais pas trop, car, sans moi, vous eussiez fait de belles choses dans ma famille!

La porte se referma sur M. le gouverneur.

Le roi se servit de sa sonnette particulière.

Lebel parut.

– Mon café, dit le roi. À propos, Lebel…

– Sire?

– Quand vous m’aurez donné mon café, vous irez derrière M. de la Vauguyon, qui sort pour présenter ses devoirs à M. le dauphin.

– J’y vais, sire.

– Mais attendez donc, que je vous apprenne pourquoi vous y allez.

– C’est vrai, sire; mais mon empressement à obéir à Sa Majesté est tel…

– Très bien. Vous suivrez donc M. de la Vauguyon.

– Oui, sire.

– Il est si troublé, si chagrin, que je crains son attendrissement pour M. le dauphin.

– Et que dois-je faire, sire, s’il s’attendrit?

– Rien; vous viendrez me le dire, voilà tout.

Lebel déposa le café auprès du roi, qui se mit à le savourer lentement.

Puis le valet de chambre historique sortit.

Un quart d’heure après, il reparut.

– Eh bien, Lebel? demanda le roi.

– Sire, M. de la Vauguyon a été jusqu’au corridor neuf, tenant monseigneur par le bras.

– Bien! après?

– Il ne semblait pas fort attendri, bien au contraire, il roulait de petits yeux tout égrillards.

– Bon! après?

– Il a tiré une clef de sa poche, l’a donnée à M. le dauphin, qui a ouvert la porte et a mis le pied dans le corridor.

– Ensuite?

– Ensuite, M. le duc a fait passer son bougeoir dans la main de monseigneur et lui a dit tout bas, mais pas si bas que je n’aie pu l’entendre:

«- Monseigneur, la chambre nuptiale est au bout de cette galerie dont je viens de vous remettre la clef. Le roi désire que vous mettiez vingt minutes à arriver à cette chambre.

«- Comment! a dit le prince, vingt minutes; mais il faut vingt secondes à peine!

«- Monseigneur, a répondu M. de la Vauguyon, ici expire mon autorité. Je n’ai plus de leçons à vous donner, mais un dernier conseiclass="underline" regardez bien les murailles à droite et à gauche de cette galerie, et je réponds à Son Altesse qu’elle trouvera le temps d’employer ses vingt minutes.»

– Pas mal.

– Alors, sire, M. de la Vauguyon a fait un grand salut, toujours accompagné de regards fort allumés, qui semblaient vouloir pénétrer dans le corridor; puis il a laissé monseigneur à la porte.

– Et monseigneur est entré, je suppose?

– Tenez, sire, voyez la lumière dans la galerie. Il y a au moins un quart d’heure qu’elle s’y promène.

– Allons! allons! elle disparaît, dit le roi après quelques instants passés les yeux levés sur les vitres. À moi aussi, on m’avait donné vingt minutes, mais je me rappelle qu’au bout de cinq j’étais chez ma femme. Hélas! dirait-on de M. le dauphin ce qu’on disait du second Racine: «C’est le petit-fils d’un grand-père!»

Chapitre LXV La nuit des noces de M. le dauphin

Le dauphin ouvrit la porte de la chambre nuptiale, ou plutôt de l’antichambre qui la précédait.

L’archiduchesse, en long peignoir blanc, attendait dans le lit doré, à peine affaissé par le poids si léger de son corps frêle et délicat; et, chose étrange, si l’on eût pu lire sur son front, à travers le nuage de tristesse qui le couvrait, on y eût reconnu, au lieu de la douce attente de la fiancée, la terreur de la jeune fille menacée d’un de ces dangers que les natures nerveuses voient en pressentiments et supportent quelquefois avec plus de courage qu’elles ne les ont pressentis.

Près du lit, madame de Noailles était assise.

Les dames se tenaient au fond, attentives au premier geste de la dame d’honneur qui leur ordonnerait de se retirer.

Celle-ci, fidèle aux lois de l’étiquette, attendait impassiblement l’arrivée de M. le dauphin.

Mais, comme si cette fois toutes les lois de l’étiquette et du cérémonial eussent dû céder à la malignité des circonstances, il se trouva que les personnes qui devaient introduire M. le dauphin dans la chambre nuptiale, ignorant que Son Altesse, d’après les dispositions du roi Louis XV, devait arriver par le corridor neuf, attendaient dans une autre antichambre.

Celle où venait d’entrer M. le dauphin était vide, et la porte qui donnait dans la chambre à coucher étant légèrement entrebâillée, il en résultait que M. le dauphin pouvait voir et entendre ce qui se passait dans cette chambre.

Il attendit, regardant à la dérobée, écoutant furtivement.

La voix de madame la dauphine s’éleva pure et harmonieuse, quoique un peu tremblante:

– Par où entrera M. le dauphin? demanda-t-elle.

– Par cette porte, Madame, dit la duchesse de Noailles.

Et elle montrait la porte opposée à celle où se trouvait M. le dauphin.

– Et qu’entend-on par cette fenêtre? ajouta la dauphine; on dirait le bruit de la mer?