– C’est le bruit des innombrables spectateurs qui se promènent à la lueur de l’illumination, et qui attendent le feu d’artifice.
– L’illumination? dit la dauphine avec un triste sourire. Elle n’a pas été inutile ce soir, car le ciel est bien lugubre; avez-vous vu, madame?
En ce moment, le dauphin, ennuyé d’attendre, poussa doucement la porte, passa sa tête par l’entrebâillement, et demanda s’il pouvait entrer.
Madame de Noailles poussa un cri, car elle ne reconnut pas le prince d’abord.
Madame la dauphine, jetée, par les émotions successives qu’elle avait éprouvées, dans cet état nerveux où tout nous effraie, saisit le bras de madame de Noailles.
– C’est moi, madame, dit le dauphin, n’ayez pas peur.
– Mais pourquoi par cette porte? demanda madame de Noailles.
– Parce que, dit le roi Louis XV en passant à son tour sa tête cynique par la porte entrebâillée, parce que M. de la Vauguyon, en véritable jésuite qu’il est, sait trop bien le latin, les mathématiques et la géographie, et pas assez autre chose.
En présence du roi arrivant ainsi inopinément, madame la dauphine s’était laissée glisser de son lit et se tenait debout, enveloppée de son grand peignoir, qui la cachait du bout des pieds jusqu’au col, aussi hermétiquement que la stole d’une dame romaine.
– On voit bien qu’elle est maigre, murmura Louis XV. Au diable M. de Choiseul, qui, parmi toutes les archiduchesses, va justement me choisir celle-là!
– Votre Majesté, dit madame de Noailles, peut remarquer que, quant à ce qui me concerne, l’étiquette a été strictement observée; il n’y a que du côté de Monseigneur le dauphin.
– Je prends l’infraction sur mon compte, dit Louis XV, et c’est trop juste, puisque c’est moi qui l’ai fait commettre. Mais, comme la circonstance était grave, ma chère madame de Noailles, j’espère que vous me la pardonnerez.
– Je ne comprends pas ce que Votre Majesté veut dire.
– Nous nous en irons ensemble, duchesse, et je vous conterai cela. Maintenant, voyons, que ces enfants se couchent.
Madame la dauphine s’éloigna d’un pas du lit, et saisit le bras de madame de Noailles avec plus de terreur peut-être que la première fois.
– Oh! par grâce, madame! dit-elle, j’en mourrais de honte.
– Sire, dit madame de Noailles, madame la dauphine vous supplie de la laisser se coucher comme une simple bourgeoise.
– Diable! diable! et c’est vous qui demandez cela, madame l’Étiquette?
– Sire, je sais bien que c’est contraire aux lois du cérémonial de France; mais regardez l’archiduchesse…
En effet, Marie-Antoinette, debout, pâle, se soutenant de son bras raidi au dossier d’un fauteuil, eût semblé une statue de l’Effroi si l’on n’eût entendu le léger claquement de ses dents, accompagnant la sueur froide qui coulait sur son visage.
– Oh! je ne veux pas contrarier la dauphine à ce point, dit Louis XV, prince aussi ennemi du cérémonial que Louis XIV en était ardent sectateur. Retirons-nous, duchesse. D’ailleurs, il y a des serrures aux portes, et ce sera bien plus drôle.
Le dauphin entendit ces dernières paroles de son grand-père et rougit.
La dauphine entendit aussi, mais elle ne comprit pas.
Le roi Louis XV embrassa sa bru, et il sortit entraînant la duchesse de Noailles et riant de ce rire moqueur, si triste pour ceux qui ne partagent pas la gaieté de celui qui rit.
Les autres assistants sortirent par l’autre porte.
Les deux jeunes gens se trouvèrent seuls.
Il se fit un instant de silence.
Enfin, le jeune prince s’approcha de Marie-Antoinette: son cour battait violemment; il sentait affluer à la poitrine, aux tempes, aux artères des mains, ce sang révolté de la jeunesse et de l’amour.
Mais il sentait son grand-père derrière la porte, et ce regard cynique, plongeant jusque dans l’alcôve nuptiale, glaçait encore le dauphin, fort timide d’ailleurs et fort gauche de sa nature.
– Madame, dit-il en regardant l’archiduchesse, souffririez-vous? Vous êtes bien pâle, et l’on dirait que vous tremblez.
– Monsieur, dit-elle, je ne vous cacherai pas que j’éprouve une agitation étrange; il faut qu’il y ait quelque violent orage au cieclass="underline" l’orage a une influence terrible sur moi.
– Ah! vous croyez que nous sommes menacés d’un ouragan, dit le dauphin.
– Oh! j’en suis sûre, j’en suis sûre; tout mon corps tremble, voyez.
Et en effet tout le corps de la pauvre princesse semblait frémir sous des secousses électriques.
En ce moment, comme pour justifier ses prévisions, un coup de vent furieux, un de ces souffles puissants qui poussent la moitié des mers sur l’autre, et qui rasent les montagnes, pareil au premier cri de la tempête qui s’avançait, emplit le château de tumulte, d’angoisses et de craquements intenses.
Les feuilles arrachées aux branches, les branches arrachées aux arbres, les statues arrachées à leur base, une longue et immense clameur des cent mille spectateurs répandus dans les jardins, un mugissement lugubre et infini courant dans les galeries et dans les corridors du château, composèrent en ce moment la plus sauvage et la plus lugubre harmonie qui ait jamais vibré aux oreilles humaines.
Puis un cliquetis sinistre succéda au mugissement; c’étaient les vitres qui, brisées en mille pièces, tombaient sur les marbres des escaliers et des corniches, en lançant cette note saccadée et nerveuse qui grince en s’envolant dans l’espace.
Le vent avait du même coup arraché du pêne une des persiennes mal fermées qui avait été battre contre la muraille, comme l’aile gigantesque d’un oiseau de nuit.
Partout où les fenêtres étaient ouvertes dans le château les lumières s’éteignirent, anéanties par ce coup de vent.
Le dauphin s’approcha de la fenêtre, sans doute pour refermer la persienne; mais la dauphine l’arrêta.
– Oh! monsieur, monsieur, par grâce, dit-elle, n’ouvrez pas cette fenêtre, nos bougies s’éteindraient et je mourrais de peur.
Le dauphin s’arrêta.
On voyait, à travers le rideau qu’il venait de tirer, les cimes sombres des arbres du parc agitées et tordues, comme si le bras de quelque géant invisible eût secoué leurs tiges au milieu des ténèbres.
Toutes les illuminations s’éteignirent.
Alors on put voir au ciel des légions de grosses nuées noires qui roulaient en tourbillonnant, ainsi que des escadrons lancés à la charge.