Le dauphin resta pâle et debout, une main appuyée à l’espagnolette de la fenêtre. La dauphine tomba sur une chaise en poussant un soupir.
– Vous avez bien peur, madame? demanda le dauphin.
– Oh! oui; cependant votre présence me rassure. Oh! quelle tempête! quelle tempête! Toutes les illuminations se sont éteintes.
– Oui, dit Louis, le vent souffle sud-sud-ouest, et c’est celui qui annonce les ouragans les plus acharnés. S’il continue, je ne sais comment on fera pour tirer le feu d’artifice.
– Oh! monsieur, pour qui le tirerait-on? Personne ne restera dans les jardins par un temps pareil.
– Ah! madame, vous ne connaissez pas les Français, il leur faut leur feu d’artifice; celui-là sera superbe; le plan m’en a été communiqué par l’ingénieur. Eh! tenez, voyez que je ne me trompais pas, voici les premières fusées.
En effet, brillantes comme de longs serpents de flamme, les fusées d’annonce s’élancèrent vers le ciel; mais en même temps, comme si l’orage eût pris ces jets brûlants pour un défi, un seul éclair, mais qui sembla fendre le ciel, serpenta entre les pièces d’artifice et mêla son feu bleuâtre au feu rouge des fusées.
– En vérité, dit l’archiduchesse, c’est une impiété à l’homme que de lutter avec Dieu.
Ces fusées d’annonce n’avaient précédé l’embrasement général du feu d’artifice que de quelques secondes; l’ingénieur sentait qu’il lui fallait se presser, et il mit le feu aux premières pièces, que salua une immense clameur de joie.
Mais, comme s’il y eût en effet lutte entre la terre et le ciel; comme si, ainsi que l’avait dit l’archiduchesse, l’homme eût commis une impiété envers son Dieu, l’orage, irrité, couvrit de sa clameur immense la clameur populaire, et toutes les cataractes du ciel s’ouvrant à la fois, des torrents de pluie se précipitèrent du haut des nues.
Le vent avait éteint les illuminations, l’eau éteignit le feu d’artifice.
– Ah! quel malheur! dit le dauphin, voilà le feu d’artifice manqué!
– Eh! monsieur, répliqua tristement Marie-Antoinette, tout ne manque-t-il pas depuis mon arrivée en France?
– Comment cela, madame?
– Avez-vous vu Versailles?
– Sans doute, madame. Versailles ne vous plaît-il point?
– Oh! si fait, Versailles me plairait s’il était aujourd’hui tel que l’a laissé votre illustre aïeul Louis XIV. Mais dans quel état avons-nous trouvé Versailles? Dites. Partout le deuil, la ruine. Oh! oui, oui, la tempête s’accorde bien avec la fête qu’on me fait. N’est-il pas convenable qu’il y ait un ouragan pour cacher à notre peuple les misères de notre palais? la nuit ne sera-t-elle pas favorable et bien venue qui cachera ces allées pleines d’herbe, ces groupes de tritons vaseux, ces bassins sans eau et ces statues mutilées? Oh! oui, oui, souffle, vent du sud; mugis, tempête; amoncelez-vous, épais nuages; cachez bien à tous les yeux l’étrange réception que fait la France à une fille des Césars, le jour où elle met sa main dans la main de son roi futur!
Le dauphin, visiblement embarrassé, car il ne savait que répondre à ces reproches et surtout à cette mélancolie exaltée, si loin de son caractère, le dauphin poussa à son tour un long soupir.
– Je vous afflige, dit Marie-Antoinette; cependant ne croyez pas que ce soit mon orgueil qui parle; oh! non, non! il n’en est rien; que ne m’a-t-on montré seulement ce Trianon si riant, si ombreux, si fleuri, dont, hélas! l’orage effeuille sans pitié les bosquets et trouble les eaux; je me fusse contentée de ce nid charmant; mais les ruines m’effraient, elles répugnent à ma jeunesse, et pourtant que de ruines va faire encore cet affreux ouragan!
Une nouvelle bourrasque, plus terrible encore que la première, ébranla le palais. La princesse se leva épouvantée.
– Oh! mon Dieu! dites-moi qu’il n’y a pas de danger! dites-le-moi, y en eût-il… Je meurs d’effroi!
– Il n’y en a point, madame. Versailles, bâti en terrasse, ne peut attirer la foudre. Si elle tombait, ce serait probablement sur la chapelle, qui a un toit aigu, ou sur le petit château, qui offre des aspérités. Vous savez que les pointes sollicitent le fluide électrique, et que les corps plats, au contraire, les repoussent.
– Non! s’écria Marie-Antoinette, je ne sais pas! je ne sais pas!
Louis prit la main de l’archiduchesse, main palpitante et glacée.
En ce moment, un éclair blafard inonda la chambre de ses lueurs livides et violacées; Marie-Antoinette poussa un cri et repoussa le dauphin.
– Mais, madame, demanda-t-il, qu’y a-t-il donc?
– Oh! dit-elle, vous m’avez apparu à la lueur de cet éclair pâle, défait, sanglant. J’ai cru voir un fantôme.
– C’est la réflexion du feu de soufre, dit le prince, et je puis vous expliquer…
Un effroyable coup de tonnerre, dont les échos se prolongèrent en gémissant jusqu’à ce que, arrivés au point culminant, ils commençassent à se perdre dans le lointain, un effroyable coup de tonnerre coupa court à l’explication scientifique que le jeune homme allait donner flegmatiquement à sa royale épouse.
– Allons, madame, dit-il après un moment de silence, du courage, je vous prie; laissons ces craintes au vulgaire: l’agitation physique est une des conditions de la nature. Il ne faut pas plus s’en étonner que du calme; seulement, le calme et l’agitation se succèdent; le calme est troublé par l’agitation, l’agitation est refroidie par le calme. Après tout, madame, ce n’est qu’un orage, et un orage est un des phénomènes les plus naturels et les plus fréquents de la création. Je ne sais donc pas pourquoi on s’en épouvanterait.
– Oh! isolé, peut-être ne m’épouvanterait-il pas ainsi; mais cet orage, le jour même de nos noces, ne vous semble-t-il pas un effroyable présage joint à ceux qui me poursuivent depuis mon entrée en France?
– Que dites-vous, madame? s’écria le dauphin, ému malgré lui d’une terreur superstitieuse; des présages, dites-vous?
– Oui, oui, affreux, sanglants!
– Et ces présages, dites-les, madame; on m’accorde, en général, un esprit ferme et froid; peut-être ces présages qui vous épouvantent, aurai-je le bonheur de les combattre et de les terrasser.
– Monsieur, la première nuit que je passai en France, c’était à Strasbourg; on m’installa dans une grande chambre où l’on alluma des flambeaux, car il faisait nuit; or, ces flambeaux allumés, leur lueur me montra une muraille ruisselante de sang. J’eus cependant le courage d’approcher des parois et d’examiner ces teintes rouges avec plus d’attention. Ces murs étaient tendus d’une tapisserie qui représentait le massacre des Innocents. Partout le désespoir avec des regards désolés, le meurtre avec des yeux flamboyants, partout l’éclair de la hache ou de l’épée, partout des larmes, des cris de mère, des soupirs d’agonie semblaient s’élancer pêle-mêle de cette muraille prophétique, qui, à force de la regarder, me semblait vivante. Oh! glacée de terreur, je ne pus dormir… Et dites, dites, voyons, n’était-ce pas un triste présage?