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Cette conversation transcendante avait lieu d’un palier à l’autre, et le feu de la discussion était moins ardent que celui des fourneaux sur lesquels cuisait le souper odorant de ces dames.

Gilbert entendait donc raisonner les arguments et rissoler les viandes.

Son nom, prononcé au milieu de ce tumulte, lui causa un frisson désagréable.

– Après mon souper, disait Thérèse, j’irai voir si ce cher enfant ne manque de rien dans sa mansarde.

Ce cher enfant lui fit moins de plaisir que la promesse de la visite ne lui fit de peur. Heureusement, il réfléchit que Thérèse, lorsqu’elle soupait seule, causait longuement avec sa dive bouteille; que le rôti semblait appétissant, que l’après-souper signifiait… à dix heures. Il n’en était pas huit trois quarts. D’ailleurs, après souper, selon toute probabilité, le cours des idées de Thérèse aurait changé, et elle penserait à toute autre chose qu’au cher enfant.

Toutefois, le temps se perdait, au grand désespoir de Gilbert, lorsque tout à coup un des rôtis alliés brûla… Un cri de cuisinière alarmée retentit, cri d’effroi qui rompit toute conversation.

Chacun se précipita vers le théâtre de l’événement.

Gilbert profita de la préoccupation culinaire de ces dames pour glisser comme un sylphe dans l’escalier.

Au premier étage, il trouva le plomb disposé pour recevoir sa corde, l’y fixa par un nœud coulant, monta sur la fenêtre et se mit lestement à descendre.

Il était suspendu entre ce plomb et la terre, quand un pas rapide retentit sous lui dans le jardin.

Il eut le temps de se retourner en se cramponnant aux nœuds, et de regarder quel était le malencontreux survenant.

C’était un homme.

Comme il venait du côté de la petite porte, Gilbert ne douta point un instant que ce ne fût l’heureux mortel attendu par Nicole.

Il concentra donc toute son attention sur cet autre intrus qui venait l’arrêter au milieu de sa périlleuse descente.

À sa marche, à un soupçon de profil esquissé sous le tricorne, à une façon particulière dont ce tricorne était posé sur le coin d’une oreille qui paraissait de son côté fort attentive, Gilbert crut reconnaître le fameux Beausire, cet exempt dont Nicole avait fait connaissance à Taverney.

Presque aussitôt, il vit Nicole ouvrir la porte de son pavillon, s’élancer dans le jardin en laissant cette porte ouverte, et, rapide comme une bergeronnette qui court, légère comme elle, se diriger vers la serre, c’est-à-dire du côté vers lequel s’acheminait déjà M. Beausire.

Ce n’était pas le premier rendez-vous de ce genre qui avait lieu, selon toute certitude, puisque ni l’un ni l’autre ne manifestaient la moindre hésitation sur le lieu qui les réunissait.

– Maintenant, je puis achever ma descente, pensa Gilbert; car, si Nicole a reçu son amant à cette heure, c’est qu’elle est sûre de son temps. Andrée est donc seule, mon Dieu! seule…

On n’entendait, en effet, aucun bruit, et l’on ne voyait qu’une faible lumière au rez-de-chaussée.

Gilbert, arrivé au sol sans accident aucun, ne voulut pas traverser diagonalement le jardin; il longea le mur, gagna un massif, le traversa en se courbant, et arriva sans avoir pu être deviné à la porte laissée ouverte par Nicole.

De là, abrité par un immense aristoloche qui grimpait jusqu’au-dessus de la porte et la festonnait amplement, il observa que la première pièce, antichambre assez spacieuse, ainsi qu’il l’avait deviné, était parfaitement vide.

Cette antichambre donnait entrée à l’intérieur par deux portes, l’une fermée, l’autre ouverte; Gilbert devina que la porte ouverte était celle de la chambre de Nicole.

Il pénétra lentement dans cette chambre, en étendant les mains devant lui de peur d’accident, car cette chambre était privée de toute lumière.

Cependant, au bout d’une espèce de corridor, on voyait une porte vitrée dessiner sur la lumière de la pièce voisine les traverses qui enfermaient ses vitres. De l’autre côté de ces vitres, un rideau de mousseline flottait.

En s’avançant dans le corridor, Gilbert entendit une faible voix dans la pièce éclairée.

C’était la voix d’Andrée; tout le sang de Gilbert reflua vers son cœur.

Une autre voix répondait à celle-là, c’était celle de Philippe. Le jeune homme s’informait avec sollicitude de la santé de sa sœur.

Gilbert, en garde, fit quelques pas, et se plaça derrière une de ces demi-colonnes surmontées d’un buste quelconque, qui formaient à cette époque la décoration des portes doubles en profondeur.

Ainsi en sûreté, il écouta et regarda, si heureux, que son cœur se fondait de joie; si épouvanté, que ce même cœur se rétrécissait au point de n’être plus qu’un point dans sa poitrine.

Il écoutait et voyait.

Chapitre LXXIII Le frère et la sœur

Gilbert entendait et voyait, avons-nous dit.

Il voyait Andrée couchée sur sa chaise longue le visage tourné vers la porte vitrée, c’est-à-dire tout à fait en face de lui. Cette porte était légèrement entrebâillée.

Une petite lampe à large abattoir, placée sur une table voisine chargée de livres, indiquant la seule distraction à laquelle pouvait se livrer la belle malade, éclairait le bas seulement du visage de mademoiselle de Taverney.

Quelquefois, cependant, lorsqu’elle se renversait en arrière, de façon à être adossée à l’oreiller de la chaise longue, la clarté envahissait son front si blanc et si pur sous la dentelle.

Philippe, assis sur le pied même de la chaise longue, tournait le dos à Gilbert; son bras était toujours en écharpe, et tout mouvement était défendu à ce bras.

C’était la première fois qu’Andrée se levait; c’était la première fois que Philippe sortait.

Les deux jeunes gens ne s’étaient donc pas revus depuis la terrible nuit; seulement, chacun des deux avait su que l’autre allait de mieux en mieux et marchait à sa convalescence.

Tous deux, réunis depuis quelques minutes à peine, causaient donc librement, car ils savaient qu’ils étaient seuls, et que, s’il venait quelqu’un, ils seraient prévenus de l’approche de ce quelqu’un par le bruit de la sonnette placée à cette porte, que Nicole avait laissée ouverte.

Mais tout naturellement ils ignoraient cette circonstance de la porte laissée ouverte, et comptaient sur la sonnette.

Gilbert voyait donc et entendait donc, comme nous avons dit, car, par cette porte ouverte, il pouvait saisir chaque mot de la conversation.