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– De sorte, disait Philippe, au moment où Gilbert s’établissait derrière un rideau flottant à la porte d’un cabinet de toilette, de sorte que tu respires plus librement, pauvre sœur?

– Oui, plus librement, mais toujours avec une légère douleur.

– Et les forces?

– Elles sont loin d’être revenues; cependant, deux ou trois fois aujourd’hui, j’ai pu aller jusqu’à la fenêtre. La bonne chose que l’air! la belle chose que les fleurs! Il me semble qu’avec de l’air et des fleurs, on ne peut pas mourir.

– Mais, avec tout cela, vous vous sentez encore bien faible, n’est-ce pas, Andrée?

– Oh! oui, car la secousse a été terrible! Aussi, je vous le répète, continua la jeune fille en souriant et en secouant la tête, je marche bien difficilement en m’appuyant aux meubles et aux lambris; sans soutiens, mes jambes plient, il me semble toujours que je vais tomber.

– Allons, allons, courage, Andrée; ce bon air et ces belles fleurs, dont vous parliez tout à l’heure, vous remettront; et, dans huit jours, vous serez capable de rendre visite à madame la dauphine, qui s’informe si bienveillamment de vous, m’a-t-on dit.

– Oui, je l’espère, Philippe; car madame la dauphine, en effet, paraît bonne pour moi.

Et Andrée, se renversant en arrière, appuya sa main sur sa poitrine et ferma ses beaux yeux.

Gilbert fit un pas en avant, les bras étendus.

– Vous souffrez, ma sœur? demanda Philippe en lui prenant la main.

– Oui, des spasmes; et puis, parfois, le sang me monte aux tempes et les assiège; quelquefois aussi j’ai des éblouissements et le cœur me manque.

– Oh! dit Philippe rêveur, ce n’est pas étonnant; vous avez subi une si terrible épreuve, et vous avez été sauvée si miraculeusement.

– Miraculeusement, c’est le mot, mon frère.

– Mais, à propos de ce salut miraculeux, Andrée, continua Philippe en se rapprochant de sa sœur, pour donner plus d’importance à la question, savez vous que je n’ai encore pu causer avec vous de cette catastrophe?

Andrée rougit et sembla éprouver un malaise.

Philippe ne remarqua point ou ne parut point remarquer cette rougeur.

– Je croyais cependant, dit la jeune fille, que mon retour avait été accompagné de tous les éclaircissements que vous pouviez désirer; mon père, lui, m’a dit avoir été très satisfait.

– Sans doute, chère Andrée, et cet homme a mis une délicatesse extrême dans toute cette affaire, à ce qu’il m’a semblé du moins; cependant plusieurs points de son récit m’ont paru, non pas suspects, mais obscurs, c’est le mot.

– Comment cela, et que voulez-vous dire, mon frère? demanda Andrée avec une candeur toute virginale.

– Oui, sans doute.

– Expliquez-vous.

– Ainsi, par exemple, poursuivit Philippe, il y a un point que je n’avais pas d’abord examiné, et qui, depuis, s’est présenté à moi très étrange.

– Lequel? demanda Andrée.

– C’est, dit Philippe, la façon même dont vous avez été sauvée. Racontez moi cela, Andrée.

La jeune fille parut faire un effort sur elle-même.

– Oh! Philippe, dit-elle, j’ai presque oublié, tant j’ai eu peur.

– N’importe! ma bonne Andrée, dis-moi tout ce dont tu te souviens.

– Mon Dieu! vous le savez, mon frère, nous fûmes séparés à vingt pas à peu près du Garde-meubles. Je vous vis entraîné vers le jardin des Tuileries, tandis que j’étais entraînée, moi, vers la rue Royale. Un instant je pus vous distinguer encore, faisant d’inutiles efforts pour me rejoindre. Je vous tendais les bras, je criais: «Philippe! Philippe!» quand tout à coup je fus enveloppée comme par un tourbillon, soulevée, emportée du côté des grilles. Je sentais le flot qui m’entraînait vers la muraille, où il allait se briser; j’entendais les cris de ceux qu’on broyait contre ces grilles; je comprenais que mon tour allait arriver d’être écrasée, anéantie; je pouvais presque calculer le nombre de secondes que j’avais encore à vivre, quand, à demi-morte, à demi-folle, en levant les bras et les yeux au ciel, dans une dernière prière, je vis briller le regard d’un homme qui dominait toute cette foule, comme si cette foule lui obéissait.

– Et cet homme était le baron Joseph Balsamo, n’est-ce pas?

– Oui, le même que j’avais déjà vu à Taverney; le même qui, là-bas, m’avait déjà frappée d’une si étrange terreur; cet homme enfin qui semble cacher en lui quelque chose de surnaturel; cet homme qui a fasciné mes yeux avec ses yeux, mon oreille avec sa voix; cet homme qui a fait frissonner tout mon être avec le seul contact de son doigt sur mon épaule.

– Continuez, continuez, Andrée, dit Philippe en assombrissant son visage et sa voix.

– Eh bien! cet homme m’apparut planant sur cette catastrophe comme si les douleurs humaines ne pouvaient l’atteindre. Je lus dans ses yeux qu’il voulait me sauver, qu’il le pouvait; alors, quelque chose d’extraordinaire se passa en moi; toute brisée, toute impuissante, toute morte que j’étais déjà, je me sentis soulevée au-devant de cet homme, comme si quelque force inconnue, mystérieuse, invincible, m’enlevait jusqu’à lui. Je sentais comme des bras qui se raidissaient pour me pousser hors de ce gouffre de chair pétrie où râlaient tant de malheureux, et me rendre à l’air, à la vie. Oh! vois-tu, Philippe, continua Andrée avec une espèce d’exaltation, c’était, j’en suis sûre, le regard de cet homme qui m’attirait ainsi.

«J’atteignis sa main et je fus sauvée.

– Hélas! murmura Gilbert, elle n’a vu que lui, et moi, moi qui mourais à ses pieds, elle ne m’a pas vu!

Il essuya son front ruisselant de sueur.

– Voilà donc comment la chose s’est passée? demanda Philippe.

– Oui, jusqu’au moment où je me sentis hors de danger; alors, soit que toute ma vie se fût concentrée dans ce dernier effort que j’avais fait, soit qu’effectivement la terreur que j’avais ressentie dépassât la mesure de mes forces, je m’évanouis.

– Et à quelle heure pensez-vous que cet évanouissement eut lieu?

– Dix minutes après vous avoir quitté, mon frère.

– C’est cela, poursuivit Philippe, il était minuit à peu près. Comment alors n’êtes-vous revenue ici qu’à trois heures? Pardonnez-moi un interrogatoire qui peut vous paraître ridicule, chère Andrée, mais qui pour moi a sa raison.

– Merci, Philippe, dit Andrée en serrant la main de son frère, merci. Il y a trois jours, je n’eusse pas encore pu vous répondre, mais aujourd’hui – cela va vous paraître étrange, ce que je vous dis – aujourd’hui, ma vue intérieure est plus forte; il me semble qu’une volonté qui commande à la mienne me dit de me souvenir, et je me souviens.