Выбрать главу

Cette fois, Nicole reconnut son interlocuteur.

– Gilbert! s’écria-t-elle, mon Dieu!

– Je vous avais priée de ne pas crier, dit froidement le jeune homme.

– Mais que faites-vous ici, monsieur? brusqua Nicole dans sa colère.

– Allons, dit Gilbert avec la même tranquillité, voilà que vous m’avez appelé imprudent tout à l’heure, et que vous êtes maintenant plus imprudente que moi.

– Oui, en effet, dit Nicole, je suis bien bonne de vous demander ce que vous faites ici.

– Qu’y fais-je donc?

– Vous y venez voir mademoiselle Andrée.

– Mademoiselle Andrée? dit Gilbert avec sa même tranquillité.

– Oui, dont vous êtes amoureux, mais qui, par bonheur, ne vous aime pas.

– Vraiment?

– Seulement, prenez garde, monsieur Gilbert, continua Nicole d’un ton de menace.

– Que je prenne garde?

– Oui.

– À quoi?

– Prenez garde que je ne vous dénonce.

– Toi, Nicole?

– Oui, moi, et que je vous fasse chasser.

– Essaye, dit Gilbert en souriant.

– Tu m’en défies?

– Positivement.

– Qu’arrivera-t-il donc si je dis à mademoiselle, à M. Philippe, à M. le baron, que je t’ai rencontré ici?

– Il arrivera comme tu l’as dit, non pas qu’on me chassera – je suis, Dieu merci, tout chassé – mais qu’on me traquera comme une bête fauve. Seulement, celle que l’on chassera, ce sera Nicole.

– Comment, Nicole?

– Certainement, Nicole – Nicole à qui l’on jette des pierres par-dessus les murs.

– Prenez garde, monsieur Gilbert, dit Nicole d’un ton de menace, on a trouvé dans vos mains, sur la place Louis XV, un fragment de la robe de mademoiselle.

– Vous croyez?

– C’est M. Philippe qui l’a dit à son père. Il ne se doute de rien encore; mais, en l’aidant, peut-être finira-t-il par se douter.

– Et qui l’aidera?

– Moi, donc.

– Prenez garde, Nicole, on pourrait se douter aussi qu’en faisant semblant d’étendre les dentelles, vous ramassez les pierres qu’on vous jette par-dessus les murailles.

– Ce n’est pas vrai! s’écria Nicole.

Puis, revenant sur sa dénégation:

– D’ailleurs, continua-t-elle, ce n’est pas un crime de recevoir des billets, ce n’est pas un crime comme de s’introduire ici, tandis que mademoiselle se déshabille… Ah! que direz-vous à cela, monsieur Gilbert?

– Je dirai, mademoiselle Nicole, que c’est aussi un crime, pour une sage jeune fille comme vous êtes, de glisser des clefs sous les petites portes des jardins.

Nicole frissonna.

– Je dirai, continua Gilbert, que si j’ai commis, moi, connu de M. de Taverney, de M. Philippe, de mademoiselle Andrée, le crime de m’introduire chez elle, ne pouvant résister à l’inquiétude que m’inspirait la santé de mes anciens maîtres, et surtout celle de mademoiselle Andrée, que j’ai tenté de sauver là-bas, si bien tenté, qu’il m’est resté, comme vous l’avouez vous-même, un fragment de sa robe dans la main; je dirai que, si j’ai commis ce crime bien pardonnable de m’introduire ici, vous avez commis, vous, le crime impardonnable d’introduire un étranger dans la maison de vos maîtres, et d’aller retrouver cet étranger dans la serre, où vous avez passé une heure avec lui.

– Gilbert! Gilbert!

– Ah! voilà ce que c’est que la vertu – celle de mademoiselle Nicole, veux-je dire. – Ah! vous trouvez mauvais que je sois dans votre chambre, mademoiselle Nicole, tandis que…

– Monsieur Gilbert!

– Dites donc à mademoiselle que je suis amoureux d’elle, maintenant; moi, je dirai que j’étais amoureux de vous, et elle me croira, car vous avez eu la bêtise de le lui dire vous-même, là-bas, à Taverney.

– Gilbert, mon ami!

– Et l’on vous chassera, Nicole; et, au lieu d’aller à Trianon, près de la dauphine, avec mademoiselle, au lieu de faire la coquette avec de beaux seigneurs et de riches gentilshommes, comme vous ne manquerez pas de le faire si vous restez dans la maison: au lieu de cela, vous irez rejoindre votre amant, M. de Beausire, un exempt, un soldat. Ah! la belle chute, en vérité, et que l’ambition de mademoiselle Nicole l’aura menée loin. Nicole, la maîtresse d’un garde française!

Et Gilbert se mit à chanter en éclatant de rire:

Dans les gardes françaises

J’avais un amoureux!

– Par pitié, monsieur Gilbert, dit Nicole, ne me regardez pas ainsi. Votre regard est méchant, il reluit dans les ténèbres. Par pitié, ne riez pas non plus, votre rire me fait peur.

– Alors, dit Gilbert d’un ton de voix impératif, ouvrez-moi la porte, Nicole, et plus un seul mot de tout cela.

Nicole ouvrit la porte avec un tremblement nerveux si violent, que l’on pouvait voir ses épaules s’agiter et sa tête remuer comme celle d’une vieille.

Gilbert sortit tranquillement le premier, et, voyant que la jeune fille le guidait vers la porte de sortie:

– Non, dit-il, non; vous avez vos moyens pour faire entrer les gens ici; moi, j’ai mes moyens pour en sortir. Allez dans la serre, allez retrouver ce cher M. de Beausire, qui doit vous attendre avec impatience, et demeurez avec lui dix minutes de plus que vous ne deviez le faire. J’accorde cette récompense à votre discrétion.

– Dix minutes, et pourquoi dix minutes? demanda Nicole toute tremblante.

– Parce qu’il me faut ces dix minutes pour disparaître; allez, mademoiselle Nicole, allez donc; et, pareille à la femme de Loth, dont je vous ai raconté l’histoire à Taverney, quand vous me donniez des rendez-vous dans les meules de foin, n’allez pas vous retourner, car il vous arriverait pis que d’être changée en statue de sel. Allez, belle voluptueuse, allez maintenant; je n’ai pas autre chose à vous dire.

Nicole, subjuguée, épouvantée, terrassée par cet aplomb de Gilbert, qui tenait dans ses mains tout son avenir, regagna tête baissée la serre, où effectivement l’attendait, dans une grande anxiété, l’exempt Beausire.

De son côté, Gilbert, en prenant les mêmes précautions pour ne pas être vu, regagna sa muraille et sa corde, s’aida du cep de vigne et du treillage, atteignit le plomb du premier étage de l’escalier, et grimpa lestement jusqu’à sa mansarde.