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– Ainsi, tu me refuses? dit Richelieu.

– Oh! pour cela, oui, mon oncle; car, malheureusement, je vois la chose impossible.

– Essaie au moins, malheureux!

– Et comment?

– Te voici des nôtres…tu verras la comtesse tous les jours: plais-lui, morbleu!

– Avec un but intéressé?… Non, non!… Si j’avais le malheur de lui plaire, avec cette amère pensée, je m’enfuirais tout au bout du monde, car j’aurais honte de moi-même.

Richelieu se gratta encore le menton.

– La chose est faite, se dit-il, ou d’Aiguillon est un sot.

Tout à coup, on entendit un bruit dans les cours, et quelques voix crièrent: «Le roi!»

– Diable! s’écria Richelieu, le roi ne doit pas me voir ici, je me sauve.

– Mais moi? dit le duc.

– Toi, c’est différent, il faut qu’il te voie. Reste… reste… et, pour Dieu, ne jette pas le manche après la cognée.

Cela dit, Richelieu se déroba par le petit escalier, en disant au duc:

– À demain!

Chapitre LXXXVIII La part du roi

Le duc d’Aiguillon, resté seul, se retrouva d’abord assez embarrassé. Il avait parfaitement compris tout ce que lui disait son oncle, parfaitement compris que madame du Barry l’écoutait, parfaitement compris enfin que, pour un homme d’esprit, il s’agissait, en cette occurrence, d’être un homme de cœur, et de jouer seul la partie dans laquelle le vieux duc cherchait à se faire un associé.

L’arrivée du roi interrompit fort heureusement l’explication qui eût forcément résulté de la contenance toute puritaine de M. d’Aiguillon.

Le maréchal n’était pas homme à demeurer longtemps dupe, et surtout à faire briller d’un éclat exagéré la vertu d’un autre aux dépens de la sienne.

Mais, étant resté seul, d’Aiguillon eut le temps de réfléchir.

Le roi arrivait en effet. Déjà ses pages avaient ouvert la porte de l’antichambre, et Zamore s’élançait vers le monarque en lui demandant des bonbons, touchante familiarité que, dans ses moments de sombre humeur, Louis XV payait d’une nasarde ou d’un frottement d’oreilles fort désagréables au jeune Africain.

Le roi s’installa dans le cabinet des chinoiseries, et, ce qui convainquit d’Aiguillon que madame du Barry n’avait pas perdu un mot de la conversation avec son oncle, c’est que lui, d’Aiguillon, entendit parfaitement, dès les premiers mots, l’entretien du roi avec la comtesse.

Sa Majesté paraissait fatiguée comme un homme qui aurait levé un poids immense. Atlas était moins impotent après sa journée faite, quand il avait tenu le ciel douze heures sur ses épaules.

Louis XV se fit remercier, applaudir, caresser par sa maîtresse; il se fit raconter tout le contrecoup du renvoi de M. de Choiseul, et cela le divertit beaucoup.

Alors madame du Barry se hasarda. Il était temps, beau temps pour la politique, et, d’ailleurs, elle se sentait brave à remuer une des quatre parties du monde.

– Sire, dit-elle, vous avez détruit, c’est bien; vous avez démoli, c’est superbe; mais, à présent, il s’agit de rebâtir.

– Oh! c’est fait, dit le roi négligemment.

– Vous avez un ministère?

– Oui.

– Comme ça, tout d’un coup, sans respirer?

– Voilà-t-il de mes gens sans cervelle… Oh! femme que vous êtes! Avant de chasser son cuisinier, comme vous disiez l’autre jour, est-ce qu’on n’en arrête pas un nouveau?

– Redites-moi encore que vous avez composé le cabinet.

Le roi se souleva sur le vaste sofa où il s’était couché plutôt qu’assis, usant pour coussin principal des épaules de la belle comtesse.

– On penserait, Jeannette, lui dit-il, à vous entendre vous inquiéter, que vous connaissez mon ministère pour le blâmer, et que vous en avez un à me proposer.

– Mais…, dit la comtesse, ce n’est pas si absurde, cela.

– Vraiment?… vous avez un ministère?

– Vous en avez bien un, vous! répliqua-t-elle.

– Oh! moi, c’est mon état, comtesse. Voyons un peu vos candidats…

– Non pas! Dites-moi les vôtres.

– Je le veux bien, pour vous donner l’exemple.

– À la Marine, d’abord, où était ce cher M. de Praslin?

– Ah! du nouveau, comtesse; un homme charmant, qui n’a jamais vu la mer.

– Allons donc!

– D’honneur! ceci est une invention magnifique. Je vais me rendre très populaire, et on va me couronner dans les deux mers, en effigie, s’entend.

– Mais qui, sire? qui donc?

– Gageons qu’en mille vous ne devinez pas.

– Un homme dont le choix vous rend populaire?… Ma foi, non.

– Un homme du parlement, ma chère… Un premier président du parlement de Besançon.

– M. de Boynes?

– Lui-même… Peste! comme vous êtes savante!… Vous connaissez ces gens-là?

– Il le faut bien, vous me parlez parlement toute la journée. Ah çà! mais cet homme-là ne sait pas ce que c’est qu’un aviron.

– Tant mieux. M. de Praslin savait trop bien son état, et il m’a coûté trop cher avec ses constructions navales.

– Mais aux Finances, sire?

– Oh! pour les Finances, c’est différent; je choisis un homme spécial.

– Un financier?

– Non… un militaire. Il y a trop longtemps que les financiers me grugent.

– Mais à la Guerre, grand Dieu?

– Tranquillisez-vous, j’y mets un financier. Terray; c’est un éplucheur de comptes; il va trouver des erreurs dans toutes les additions de M. de Choiseul. Je vous dirai que j’avais eu l’idée de prendre pour la guerre un homme merveilleux, un pur, comme ils disent; c’était pour plaire aux philosophes.

– Bon! qui donc? Voltaire?

– Presque… le chevalier du Muy… Un Caton.

– Ah! mon Dieu! vous m’épouvantez.

– C’était fait… J’avais fait venir l’homme, ses provisions étaient signées; il m’avait remercié, lorsque mon bon ou mon mauvais génie, décidez, comtesse, me pousse à lui dire de venir ce soir à Luciennes, souper et causer.

– Fi! l’horreur!

– Eh bien, comtesse, voilà précisément ce que du Muy m’a répondu.

– Il vous a dit cela?

– En d’autres termes, comtesse; mais enfin il m’a dit que servir le roi était son plus ardent désir, mais que, pour servir madame du Barry, c’était impossible.