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– Eh bien, il est joli, votre philosophe!

– Vous comprenez ma réponse, comtesse, je lui ai tendu la main… pour qu’il me rendît son brevet, que j’ai mis en pièces avec un fort patient sourire, et le chevalier a disparu. Louis XIV pourtant eût fait pourrir ce gaillard-là dans un des vilains trous de la Bastille; mais je suis Louis XV, et j’ai un parlement qui me donne le fouet, au lieu que ce soit moi qui donne le fouet au parlement. Voilà.

– C’est égal, sire, dit la comtesse en couvrant de baisers son royal amant, vous êtes un homme accompli.

– Ce n’est pas ce que tout le monde dira. Terray est exécré.

– Qui ne l’est pas?… Et aux affaires étrangères?

– Ce brave Bertin, que vous connaissez.

– Non.

– Alors que vous ne connaissez pas.

– Mais, dans tout cela, je ne vois pas un seul bon ministre, moi.

– Soit; dites-moi les vôtres.

– Je n’en dirai qu’un.

– Vous ne le dites pas; vous avez peur.

– Le maréchal.

– Quel maréchal? fit le roi avec une grimace.

– Le duc de Richelieu.

– Ce vieillard? cette poule mouillée?

– Bon! le vainqueur de Mahon, une poule mouillée!

– Un vieux paillard…

– Sire, votre compagnon.

– Un homme immoral, qui fait fuir toutes les femmes.

– Que voulez-vous! c’est depuis qu’il ne court plus après elles.

– Ne me parlez jamais de Richelieu, c’est ma bête noire; ce vainqueur de Mahon m’a mené dans tous les tripots de Paris…; on nous chansonnait. Non pas, non pas! Richelieu! oh! rien que le nom me met hors de moi.

– Vous les haïssez donc bien?

– Qui?

– Les Richelieu.

– Je les exècre.

– Tous?

– Tous. Voilà-t-il pas un beau duc et pair que M. Fronsac; il a dix fois mérité la roue.

– Je vous le livre; mais il y a encore des Richelieu de par le monde.

– Ah! oui, d’Aiguillon.

– Eh bien?

On juge si, à ces mots, l’oreille du neveu était droite dans le boudoir.

– Celui-là, je devrais le haïr plus que les autres, car il me met sur les bras tout ce qu’il y a de braillards en France; mais c’est un faible dont je ne puis me guérir, il est hardi et ne me déplaît pas.

– C’est un homme d’esprit, s’écria la comtesse.

– Un homme courageux et âpre à défendre la prérogative royale. Voilà un vrai pair!

– Oui, oui, cent fois oui! Faites-en quelque chose.

Alors le roi regarda la comtesse en se croisant les bras:

– Comment se peut-il, comtesse, que vous me proposiez une chose pareille au moment où toute la France me demande d’exiler et de dégrader le duc?

Madame du Barry se croisa les bras à son tour.

– Tout à l’heure, dit-elle, vous appeliez Richelieu une poule mouillée; eh bien, c’est à vous que ce nom revient de droit.

– Oh! comtesse…

– Vous voilà bien fier, parce que vous avez renvoyé M. de Choiseul.

– Eh! ce n’était pas aisé.

– Vous l’avez fait, c’est bien! et, à présent, vous reculez devant les conséquences.

– Moi?

– Sans doute. Que faites-vous en renvoyant le duc?

– Je donne un coup de pied au derrière du parlement.

– Et vous n’en voulez pas donner deux! Que diable! levez les deux jambes, l’une après l’autre, bien entendu. Le parlement voulait garder Choiseul; renvoyez Choiseul. Il veut renvoyer d’Aiguillon; gardez d’Aiguillon.

– Je ne le renvoie pas.

– Gardez-le, corrigé et augmenté considérablement.

– Vous voulez un ministère pour ce brouille-tout?

– Je veux une récompense pour celui qui vous a défendu au péril de ses dignités et de sa fortune.

– Dites de sa vie, car on le lapidera un de ces matins, votre duc, en compagnie de votre ami Maupeou.

– Vous encourageriez beaucoup vos défenseurs, s’ils vous entendaient.

– Ils me le rendent bien, comtesse.

– Ne dites pas cela, les faits parlent.

– Ah çà! mais pourquoi cette fureur pour d’Aiguillon?

– Fureur! je ne le connais pas; je l’ai vu aujourd’hui, et lui ai parlé pour la première fois.

– Ah! c’est différent; il y a conviction alors, et je respecte toutes les convictions, n’en ayant jamais eu moi-même.

– Alors donnez quelque chose à Richelieu, au nom de d’Aiguillon, puisque vous ne voulez rien donner à d’Aiguillon.

– À Richelieu! rien, rien, rien, jamais rien!

– À M. d’Aiguillon, alors, puisque vous ne donnez pas à Richelieu.

– Quoi! lui donner un portefeuille, en ce moment? C’est impossible.

– Je le conçois… mais plus tard… Songez qu’il est homme de ressources, d’action, et qu’avec Terray, d’Aiguillon et Maupeou, vous aurez les trois têtes de Cerbère; songez aussi que votre ministère est une plaisanterie qui ne peut pas durer.

– Vous vous trompez, comtesse, il durera bien trois mois.

– Dans trois mois, je retiens votre parole.

– Oh! oh! comtesse.

– C’est dit; maintenant… il me faut du présent.

– Mais je n’ai rien.

– Vous avez les chevau-légers; M. d’Aiguillon est un officier, c’est ce qu’on appelle une épée; donnez-lui vos chevau-légers.

– Allons, soit, il les aura.

– Merci! s’écria la comtesse transportée de joie, merci!

Et M. d’Aiguillon put entendre résonner un baiser tout plébéien sur les joues de Sa Majesté Louis XV.

– À présent, dit le roi, faites-moi souper, comtesse.

– Non, dit-elle, il n’y a rien ici; vous m’avez assommée de politique… Mes gens ont fait des discours et des feux d’artifice, mais de cuisine point.

– Alors venez à Marly; je vous emmène.

– Impossible: j’ai ma pauvre tête fendue en quatre.

– La migraine?

– Impitoyable.

– Il faut vous coucher alors, comtesse.