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– C’est ce que je vais faire, sire.

– Alors, adieu…

– Au revoir, c’est-à-dire.

– J’ai un peu l’air de M. de Choiseuclass="underline" on me renvoie.

– En vous reconduisant, en vous festoyant, en vous cajolant, dit la folâtre femme, qui tout doucement poussait le roi vers la porte et finit par le mettre dehors, riant aux éclats et se retournant à chaque marche de l’escalier.

Du haut du péristyle, la comtesse tenait un bougeoir.

– Dites donc, comtesse, fit le roi en remontant un degré.

– Sire?

– Pourvu que le pauvre maréchal n’en meure pas.

– De quoi?

– De son portefeuille rentré.

– Êtes-vous mauvais! dit la comtesse en l’escortant d’un dernier éclat de rire.

Et Sa Majesté partit fort satisfaite de son dernier quolibet sur le duc, qu’il exécrait réellement.

Quand madame du Barry rentra dans son boudoir, elle trouva d’Aiguillon à genoux devant la porte, les mains jointes, les yeux ardemment fixés sur elle.

Elle rougit.

– J’ai échoué, dit-elle; ce pauvre maréchal…

– Oh! je sais tout, dit-il, on entend… Merci, madame, merci!

– Je crois que je vous devais cela, répliqua-t-elle avec un doux sourire; mais relevez-vous, duc, sinon je croirais que vous avez autant de mémoire que vous avez d’esprit.

– Cela peut bien être, madame; mon oncle vous l’a dit, je ne suis rien que votre passionné serviteur.

– Et celui du roi; demain, il faudra rendre vos devoirs à Sa Majesté; relevez-vous, je vous prie.

Et elle lui donna sa main, qu’il baisa respectueusement.

La comtesse fut bien émue, à ce qu’il paraît, car elle n’ajouta pas un mot.

M. d’Aiguillon resta aussi muet, aussi troublé qu’elle; à la fin, madame du Barry relevant la tête:

– Pauvre maréchal, dit-elle encore, il faudra qu’il sache cette défaite.

M. d’Aiguillon regarda ces mots comme un congé définitif, il s’inclina.

– Madame, dit-il, je vais me rendre auprès de lui.

– Oh! duc, toute mauvaise nouvelle doit s’annoncer le plus tard possible; faites mieux que d’aller chez le maréchal, soupez avec moi.

Le duc sentit comme un parfum de jeunesse et d’amour embraser, régénérer le sang de son cœur.

– Vous n’êtes pas une femme, dit-il, vous êtes…

– L’Ange, n’est-ce pas? lui dit à l’oreille la bouche brûlante de la comtesse, qui l’effleura pour lui parler plus bas, et qui l’entraîna à table…

Ce soir-là, M. d’Aiguillon dut se regarder comme bien heureux, car il prit le portefeuille à son oncle et mangea la part du roi.

Chapitre LXXXIX Les antichambres de M. le duc de Richelieu

M. de Richelieu, comme tous les courtisans, avait un hôtel à Versailles, un à Paris, une maison à Marly, une à Luciennes; un logement, en un mot, près de chacun des logements ou des stations du roi.

Louis XIV, en multipliant ses séjours, avait imposé à tout homme de qualité, privilégié des grandes ou des petites entrées, l’obligation d’être fort riche, pour suivre dans une proportion égale le train de sa maison et l’essor de ses caprices.

M. de Richelieu habitait donc, au moment du renvoi de MM. de Choiseul et de Praslin, son hôtel de Versailles; c’était là qu’il s’était fait conduire la veille, au retour de Luciennes, après avoir présenté son neveu à madame du Barry.

On avait vu Richelieu au bois de Marly avec la comtesse, on l’avait vu à Versailles après la disgrâce du ministre, on savait son audience secrète et prolongée à Luciennes; c’en fut assez pour que toute la cour, avec les indiscrétions de Jean du Barry, pour que toute la cour, disons-nous, se crût obligée d’aller rendre ses devoirs à M. de Richelieu.

Le vieux maréchal allait donc humer à son tour ce parfum de louanges, de flatteries et de caresses que tout intéressé fait brûler sans discernement devant l’idole du jour.

M. de Richelieu ne s’attendait pourtant pas à ce qui allait lui arriver, mais il se leva le matin du jour où nous sommes parvenus avec la ferme résolution de calfeutrer ses narines contre le parfum, de même qu’Ulysse bouchait son oreille avec de la cire contre le chant des sirènes.

Le résultat pour lui devait arriver le lendemain seulement; c’était, en effet, le lendemain que serait connue et publiée par le roi lui-même la nomination du nouveau ministère.

La surprise du maréchal fut donc grande lorsqu’en se réveillant, ou plutôt lorsque, réveillé par un grand bruit de voitures, il apprit de son valet de chambre que les cours de l’hôtel étaient encombrées ainsi que les antichambres et les salons.

– Oh! oh! dit-il, je fais du bruit, à ce qu’il paraît.

– Il est de bien bonne heure, monsieur le maréchal, dit le valet de chambre voyant la précipitation que le duc mettait à défaire son bonnet de nuit.

– Désormais, répliqua le duc, il n’y aura plus d’heure pour moi, souvenez vous de cela.

– Oui, monseigneur.

– Qu’a-t-on répondu aux visiteurs?

– Que monseigneur n’était pas levé.

– Tout simplement?

– Tout simplement.

– C’est une sottise; il fallait ajouter que j’avais veillé tard, ou, bien mieux, il fallait… Voyons, où est Rafté?

– M. Rafté dort, dit le valet de chambre.

– Comment, il dort? Mais qu’on le réveille, le malheureux!

– Allons, allons! dit un vieillard vert et souriant qui parut sur le seuil, voilà Rafté; que lui veut-on?

Toute la boursouflure du duc tomba devant ces paroles.

– Ah! je disais bien aussi, moi, que tu ne dormais pas.

– Et quand j’aurais dormi, qu’y aurait-il là d’étonnant? il est jour à peine.

– Mais, mon cher Rafté, tu vois que, moi, je ne dors pas.

– C’est autre chose, vous êtes ministre, vous… Comment dormiriez-vous?

– Allons, voilà que tu vas me gronder, dit le maréchal en grimaçant devant la glace; est-ce que tu n’es pas content?

– Moi! qu’est-ce que cela me fait? Vous allez vous fatiguer beaucoup, et puis vous serez malade; il en résultera que ce sera moi qui gouvernerai l’État, et ce n’est pas amusant, monseigneur.

– Oh! comme tu as vieilli, Rafté.

– J’ai juste quatre ans de moins que vous, monseigneur. Oh! oui, je suis vieux.