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Il offrit donc sa main à Andrée; celle-ci plaça l’extrémité brûlante de ses doigts sur le gant du roi, et tous deux continuèrent de marcher vers le pavillon, où l’on avait dit au roi qu’il trouverait la dauphine avec son architecte et son jardinier en chef.

Nous pouvons assurer que Louis XV, qui cependant n’aimait pas beaucoup à marcher, prit le plus long chemin pour conduire Andrée au Petit Trianon. Le fait est que les deux officiers qui marchaient derrière s’aperçurent de l’erreur de Sa Majesté et s’en plaignirent, car ils étaient légèrement vêtus, et le temps se refroidissait.

Ils arrivèrent tard, puisqu’ils ne trouvèrent pas la dauphine au point où l’on espérait la trouver; Marie-Antoinette venait de partir, pour ne pas faire attendre le dauphin, qui aimait à souper entre six et sept heures.

Son Altesse royale arriva donc à l’heure exacte, et, comme le dauphin, très ponctuel, se tenait déjà sur le seuil du salon pour être plus vite à la salle à manger, lorsque le maître d’hôtel paraîtrait, la dauphine jeta sa mante aux mains d’une femme de chambre, alla prendre gaiement le bras du dauphin, et l’entraîna dans la salle à manger.

Le couvert était dressé pour les deux illustres amphitryons. Ils occupaient chacun le milieu de la table, laissant ainsi libre le haut bout, que, depuis certaines surprises du roi, on n’occupait jamais, même pour une table garnie de convives.

À ce haut bout, le couvert du roi avec son cadenas occupait une place considérable; mais le maître d’hôtel, qui ne comptait pas sur cet hôte, faisait le service de ce côté.

Derrière la chaise de la dauphine – avec l’espace nécessaire pour que les valets circulassent – sur un petit gradin, se tenait, assise sur un tabouret, madame de Noailles raide et ayant pris pourtant tout ce qu’on doit avoir d’amabilité sur la figure à l’occasion d’un souper.

Près de madame de Noailles étaient les autres dames auxquelles leur position à la cour constituait le droit ou méritait la faveur d’assister au souper de Leurs Altesses royales.

Trois fois par semaine, madame de Noailles soupait à la même table que M. le dauphin et madame la dauphine. Mais, les jours où elle ne soupait pas, elle se fût bien gardée de ne point assister au souper; c’était d’ailleurs un moyen de protester contre l’exclusion de ces quatre jours sur sept.

En face de la duchesse de Noailles, surnommée par la dauphine madame l’Étiquette, se tenait sur un gradin à peu près pareil M. le duc de Richelieu.

Lui aussi était un strict observateur des convenances; seulement, son étiquette à lui demeurait invisible à tous les yeux, éternellement cachée qu’elle était sous l’élégance la plus parfaite, et quelquefois même sous le persiflage le plus fin.

Il résultait de cette antithèse entre le premier gentilhomme de la chambre et la première dame d’honneur de Son Altesse royale madame la dauphine, que la conversation, sans cesse abandonnée par la duchesse de Noailles, était sans cesse relevée par M. de Richelieu.

Le maréchal avait voyagé dans toutes les cours de l’Europe, et il avait pris dans chacune d’elles le ton d’élégance qui était le mieux approprié à sa nature, de sorte que, admirable de tact et de convenance, il savait à la fois toutes les anecdotes qui pouvaient se raconter à une table de jeunes infantes et au petit couvert de madame du Barry.

Il s’aperçut, ce soir-là, que la dauphine mangeait avec appétit et que le dauphin dévorait. Il supposa qu’ils ne lui tiendraient pas tête dans la conversation, et qu’il ne s’agissait que de faire passer à madame de Noailles une heure de purgatoire anticipé.

Il se mit à parler philosophie, théâtre, double sujet de conversation doublement antipathique à la vénérable duchesse.

Il raconta donc le sujet d’une des dernières boutades philanthropiques du philosophe de Ferney, nom que l’on donnait déjà à l’auteur de la Henriade; et, quand il vit la duchesse sur les dents, il changea de texte et détailla tout ce qu’en sa qualité de gentilhomme de la chambre, il avait de tracas pour faire jouer plus ou moins mal mesdames les comédiennes ordinaires du roi.

La dauphine aimait les arts, et surtout le théâtre; elle avait trouvé un costume complet de Clytemnestre à mademoiselle Raucourt; elle écouta donc M. de Richelieu non seulement avec indulgence, mais encore avec plaisir.

Alors on vit la pauvre dame d’honneur, au mépris de l’étiquette, s’agiter sur son gradin, se moucher haut et secouer sa vénérable tête, sans songer au nuage de poudre qui, à chacun de ses mouvements, enveloppait son front, comme à chaque bouffée de bise un nuage de neige enveloppe la cime du mont Blanc.

Mais ce n’était pas le tout que d’amuser madame la dauphine, il fallait encore plaire à M. le dauphin. Richelieu abandonna donc la question du théâtre, pour lequel l’héritier de la couronne de France n’avait jamais eu une grande sympathie, pour parler philosophie humanitaire. Il eut, à propos des Anglais, toute cette chaleur que Rousseau jette comme un fluide vivifiant sur le personnage d’Édouard Bomston.

Or, madame de Noailles exécrait les Anglais autant que les philosophes.

Une idée neuve était une fatigue pour elle, et une fatigue dérangeait l’économie de toute sa personne. Madame de Noailles, qui se sentait faite pour conserver, hurlait aux idées nouvelles comme les chiens aux masques.

Richelieu avait un double but en jouant ce jeu, il tourmentait madame l’Étiquette, ce qui faisait sensiblement plaisir à madame la dauphine, et il trouvait par-ci par-là quelques apophtegmes vertueux, quelques axiomes de mathématiques recueillis joyeusement par M. le dauphin, prince amateur des choses exactes.

Il faisait donc sa cour à merveille, cherchant de tous ses yeux quelqu’un qu’il comptait voir là et qu’il n’y trouvait pas, lorsqu’un cri poussé au bas de l’escalier monta dans la voûte sonore, répété par deux autres voix étagées sur le palier d’abord, puis sur l’escalier même.

– Le roi!

À ce mot magique, madame de Noailles se leva comme si un ressort d’acier l’eût fait saillir de son gradin; Richelieu se souleva lentement avec habitude; le dauphin essuya précipitamment sa bouche avec sa serviette et se tint debout devant sa place, le visage tourné vers la porte.

Quant à madame la dauphine, elle se dirigea vers l’escalier, pour rencontrer le roi plus vite et lui faire les honneurs de sa maison.

Chapitre XCII Les cheveux de la reine

Le roi tenait encore mademoiselle de Taverney par la main en arrivant sur le palier, et, en arrivant à cette place seulement, il la salua si courtoisement, si longuement, que Richelieu eut le temps de voir le salut, d’en admirer la grâce, et de se demander à quelle heureuse mortelle il avait été adressé.