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– Ah! duc, dit-il à demi-voix, je vais me brouiller avec Luciennes.

Puis vivement, à Andrée:

– Dites que cela vous fera plaisir, mademoiselle, ajouta-t-il.

– Ah! sire, fit Andrée en joignant les mains, je vous en supplie!

– Accordé, alors, dit Louis XV. Vous choisirez une bonne compagnie à ce pauvre jeune homme, duc, et j’en ferai les fonds si déjà elle n’est toute payée et toute vacante.

Cette bonne action réjouit tous les assistants; elle valut au roi un céleste sourire d’Andrée, elle valut à Richelieu un remerciement de cette belle bouche, à qui, dans sa jeunesse, il eût demandé plus encore, ambitieux et avare comme il était.

Quelques visiteurs arrivèrent successivement; parmi eux le cardinal de Rohan, qui, depuis l’installation de la dauphine à Trianon, faisait assidûment sa cour.

Mais le roi, pendant toute la soirée, n’eut de bons égards et d’agréables paroles que pour Richelieu. Il se fit même accompagner de lui lorsqu’il prit congé de la dauphine pour retourner à son Trianon. Le vieux maréchal suivit le roi avec des tressaillements de joie.

Tandis que Sa Majesté regagnait avec le duc et ses deux officiers les allées sombres qui aboutissent au palais, Andrée avait été congédiée par la dauphine.

– Vous avez besoin d’écrire cette bonne nouvelle à Paris, avait dit la princesse; vous pouvez vous retirer, mademoiselle.

Et, précédée d’un valet de pied qui portait une lanterne, la jeune fille traversait l’esplanade de cent pas qui séparait Trianon des communs.

Devant elle aussi, de buisson en buisson, bondissait dans les feuillages une ombre qui suivait chaque mouvement de la jeune fille avec des yeux étincelants: c’était Gilbert.

Lorsque Andrée fut arrivée au perron et qu’elle commença à monter les marches de pierre, le valet retourna aux antichambres de Trianon.

Alors Gilbert, se glissant à son tour dans le vestibule, arriva aux cours des écuries, et, par un petit escalier roide comme une échelle, grimpa dans sa mansarde, située en face des fenêtres de la chambre d’Andrée, dans un angle des bâtiments.

Il vit de là Andrée appeler à l’aide une femme de chambre de madame de Noailles, qui avait sa chambre dans le même corridor. Mais, lorsque cette fille entra dans la chambre d’Andrée, les rideaux de la fenêtre tombèrent comme un voile impénétrable entre les ardents désirs du jeune homme et l’objet de ses idées.

Au palais, il ne restait plus que M. de Rohan, redoublant de galanterie auprès de madame la dauphine, qui le traitait assez froidement.

Le prélat finit par craindre d’être indiscret, d’autant plus qu’il avait déjà vu M. le dauphin se retirer. Il prit donc congé de Son Altesse royale avec les marques du plus profond et du plus tendre respect.

Au moment où il montait en carrosse, une femme de chambre de la dauphine s’approcha de lui et entra presque dans sa voiture.

– Voici, dit-elle.

Et elle lui mit dans la main un petit papier soyeux dont le contact fit frissonner le cardinal.

– Voici, répliqua-t-il vivement en mettant dans la main de cette femme une bourse lourde, et qui, vide, eût été un salaire honorable.

Le cardinal, sans perdre de temps, commanda au cocher de partir pour Paris, et de demander de nouveaux ordres à la barrière.

Pendant tout le chemin, dans l’obscurité de la voiture, il palpa et baisa comme un amant enivré le contenu de ce papier.

Une fois à la barrière:

– Rue Saint-Claude, dit-il.

Bientôt après, il traversait la cour mystérieuse et retrouvait ce petit salon où se tenait Fritz, l’introducteur aux silencieuses façons.

Balsamo se fit attendre un quart d’heure. Il parut enfin et donna au cardinal, pour cause de son retard, l’heure avancée, qui pouvait lui permettre de croire qu’aucune visite ne lui viendrait plus.

En effet, il était près de onze heures du soir.

– C’est vrai, monsieur le baron, dit le cardinal, et je vous demande pardon de ce dérangement. Mais vous souvenez-vous de m’avoir dit, un jour, que pour être assuré de certains secrets…?

– Il me fallait les cheveux de la personne dont nous parlions ce jour-là, interrompit Balsamo, qui avait vu déjà le petit papier aux mains du naïf prélat.

– Précisément, monsieur le baron.

– Et vous m’apportez ces cheveux, monseigneur? Très bien.

– Les voici.

– Croyez-vous qu’il sera possible de les ravoir après l’expérience?

– À moins que le feu n’ait été nécessaire… auquel cas…

– Sans doute, sans doute, dit le cardinal; mais alors je pourrai m’en procurer d’autres. Puis-je avoir une solution?

– Aujourd’hui?

– Je suis impatient, vous le savez.

– Il faut d’abord essayer, monseigneur.

Balsamo prit les cheveux et monta précipitamment chez Lorenza.

– Je vais donc savoir, se disait-il en chemin, le secret de cette monarchie; je vais donc savoir le dessein caché de Dieu.

Et, de l’autre côté de la muraille, avant même d’avoir ouvert la porte mystérieuse, il endormit Lorenza. La jeune femme le reçut donc avec un tendre embrassement.

Balsamo s’arracha avec peine de ses bras. Il eût été difficile de dire quelle chose était plus douloureuse au pauvre baron, ou des reproches de la belle Italienne quand elle était éveillée, ou de ses caresses quand elle dormait.

Enfin, étant parvenu à dénouer la chaîne que les deux beaux bras de la jeune femme avaient jetée à son cou:

– Ma Lorenza chérie, lui dit-il en lui mettant le papier dans la main, peux tu me dire à qui sont ces cheveux?

Lorenza les prit et les appuya sur sa poitrine, puis contre son front; quoique ses deux yeux fussent ouverts, c’était par la poitrine et le front qu’elle voyait pendant son sommeil.

– Oh! dit-elle, c’est une illustre tête que celle à qui on les a dérobés.

– N’est-ce pas?… Une tête heureuse? Dis!

– Elle peut l’être.

– Cherche bien, Lorenza.

– Oui, elle peut l’être; il n’y a pas d’ombre encore sur sa vie.

– Cependant elle est mariée…

– Oh! fit Lorenza avec un doux sourire.

– Eh bien quoi? et que veut dire ma Lorenza?

– Elle est mariée, cher Balsamo, ajouta la jeune femme, et cependant…

– Et cependant?