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Nicole annonça, non sans un battement de cœur, à l’entrée du salon:

– M. le duc de Richelieu!

Ce nom était destiné à faire sensation ce soir-là. Il produisit un tel effet sur le baron, que celui-ci se leva de son fauteuil et marcha droit à la porte, sans pouvoir en croire son oreille.

Mais, avant même d’être arrivé à la porte, il aperçut M. de Richelieu dans la pénombre du corridor.

– Le duc!… balbutia-t-il.

– Mais oui, cher ami, le duc lui-même…, répliqua Richelieu de sa voix la plus aimable. Oh! cela vous étonne, après la visite de l’autre jour. Eh bien baron rien de plus vrai, pourtant… Maintenant, la main, s’il te plaît.

– Monsieur le duc, vous me comblez.

– Tu n’as plus d’esprit, mon cher, dit le vieux maréchal en donnant sa canne et son chapeau à Nicole pour s’asseoir plus commodément dans un fauteuil; tu t’encroûtes, tu radotes… tu ne sais plus ton monde, à ce qu’il paraît.

– Cependant, duc, il me semble, répondit Taverney fort ému, que ta réception de l’autre jour était tellement significative qu’il n’y avait point a s’y tromper.

– Écoute, mon vieil ami, répondit Richelieu, l’autre jour tu t’es conduit comme un écolier et moi comme un pédant; de toi à moi, il n’y avait que la férule. Tu veux parler, je veux t’en épargner la peine; tu serais dans le cas de dire une sottise et moi de t’en répondre une autre. Sautons donc de l’autre jour à aujourd’hui. Sais-tu ce que je viens faire ici ce soir?

– Non, certes.

– Je viens t’apporter la compagnie que tu venais me demander avant-hier et que le roi a donnée à ton fils… Que diable aussi, comprends donc les nuances; avant-hier, j’étais quasi-ministre: demander était une injustice; aujourd’hui que j’ai refusé le portefeuille et que je me retrouve le simple Richelieu d’autrefois, je serais absurde en ne demandant pas. J’ai demandé. J’ai obtenu, j’apporte.

– Duc, est-ce bien vrai, et… cette bonté de ta part?…

– Est un effet naturel de mon devoir d’ami… Le ministre refusait. Richelieu sollicite et donne.

– Ah! duc, tu m’enchantes; tu es donc un véritable ami?

– Pardieu!

– Mais le roi, le roi qui me fait une telle faveur…

– Le roi ne sait pas seulement ce qu’il fait, ou peut-être me trompé-je et le sait-il à merveille.

– Que veux-tu dire?

– Je veux dire que Sa Majesté a sans doute quelque motif en ce moment de déplaire à madame du Barry, et que c’est à ce motif bien plus qu’à mon influence que tu dois la faveur qu’il t’accorde.

– Tu crois?

– J’en suis sûr, j’y aide. Tu sais que c’est à cause de cette drôlesse que j’ai refusé le portefeuille?

– On me l’a dit; mais, je l’avoue…

– Que tu n’y croyais pas. Allons, dis bravement.

– Eh bien, bravement, je l’avouerai…

– Cela veut dire que tu m’as connu sans scrupules, n’est-ce pas?

– Cela veut dire du moins que je t’ai connu sans préjugés.

– Mon cher, je vieillis, et je n’aime plus les jolies femmes que pour moi… Et puis j’ai encore d’autres idées… Revenons à ton fils, c’est un charmant garçon.

– Fort mal avec le du Barry, qui était chez toi quand j’ai eu la maladresse de m’y présenter.

– Je le sais, et voilà pourquoi je ne suis pas ministre.

– Bon!

– Sans doute, mon ami.

– Tu as refusé le portefeuille pour ne pas déplaire à mon fils?

– Si je te le disais, tu ne le croirais pas: il n’en est rien. J’ai refusé parce que les exigences des du Barry, qui commençaient par l’exclusion de ton fils, eussent abouti à des énormités en tout genre.

– Alors, tu es brouillé avec ces espèces?

– Oui et non: ils me craignent, je les méprise, c’est un prêté pour un rendu.

– C’est héroïque, mais c’est imprudent.

– Pourquoi donc?

– La comtesse a du crédit.

– Peuh! fit Richelieu.

– Comme tu dis cela!

– Je le dis comme un homme qui sent le faible de la position, et qui, s’il le fallait, attacherait le mineur au bon endroit pour faire sauter la place.

– Je vois la vérité: tu rends service à mon fils un peu pour piquer les du Barry.

– Beaucoup pour cela, et ta perspicacité n’est pas en défaut; ton fils me sert de grenade, j’incendie par son moyen… Mais, à propos, baron, est-ce que tu n’as pas aussi une fille?

– Oui.

– Jeune?

– Seize ans.

– Belle?

– Comme Vénus.

– Qui habite Trianon.

– Tu la connais donc?

– J’ai passé la soirée avec elle, et j’ai causé d’elle une heure avec le roi.

– Avec le roi? s’écria Taverney dont les joues s’empourprèrent.

– En personne.

– Le roi a parlé de ma fille, de mademoiselle Andrée de Taverney?

– Qu’il dévore des yeux, oui, mon cher.

– Ah! vraiment?

– Je te contrarie en te disant cela?

– Moi?… Non, certes… le roi m’honore en regardant ma fille… mais…

– Mais quoi?

– C’est que le roi…

– À de mauvaises mœurs; est-ce cela que tu veux dire?

– Dieu me préserve de parler mal de Sa Majesté; elle a bien le droit d’avoir les mœurs qu’il lui plaît d’avoir.

– Eh bien, alors, que signifie cet étonnement? As-tu la prétention de faire que mademoiselle Andrée ne soit pas une beauté accomplie, et que, par conséquent, le roi ne la regarde pas d’un œil amoureux?

Taverney ne répondit rien, il haussa seulement les épaules et tomba dans une rêverie où le poursuivit le regard impitoyablement inquisiteur de Richelieu.

– Bon! je devine ce que tu dirais si, au lieu de penser tout bas, tu parlais tout haut, poursuivit le vieux maréchal en rapprochant son fauteuil de celui du baron; tu dirais que le roi est habitué à la mauvaise société… qu’il s’encanaille, comme on dit aux Porcherons, et, par conséquent, qu’il se gardera bien de tourner les yeux vers cette noble fille, au maintien pudique, aux chastes amours, et ne remarquera pas ce trésor de grâces et de charmes de tout genre… lui qui ne se prend qu’aux propos licencieux, qu’aux œillades libertines et aux propos de grisette.