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Le duc d’Aiguillon avait, depuis son entrevue avec madame du Barry, deux défauts à la cuirasse. Devinant tout ce que Richelieu cachait de rancune et d’appétits de vengeance sous l’apparente égalité de son humeur, il fit ce qu’on doit faire en cas de tempête: il creva la trombe à coups de canon, bien assuré que le péril serait moindre si on s’y jetait courageusement.

Il se mit donc à rechercher partout son oncle pour avoir avec lui un entretien sérieux; mais rien n’était si difficile depuis que le maréchal avait éventé son désir.

Marches et contre-marches commencèrent: du plus loin que le maréchal voyait son neveu, il lui décochait un sourire et s’entourait immédiatement de gens qui rendaient toute communication impossible; il défiait ainsi l’ennemi comme dans un fort impénétrable.

Le duc d’Aiguillon creva la trombe.

Il se présenta purement et simplement chez son oncle à Versailles.

Mais Rafté, en faction à sa petite fenêtre de l’hôtel donnant sur la cour, reconnut les livrées du duc et prévint son maître.

Le duc entra jusque dans la chambre à coucher du maréchal; il y trouva Rafté, lequel, avec un sourire tout gros de confidences, commit l’indiscrétion de raconter à ce neveu que son oncle avait passé la nuit hors de l’hôtel.

M. d’Aiguillon se pinça les lèvres et fit bonne retraite.

Rentré chez lui, il écrivit au maréchal pour lui demander audience.

Le maréchal ne pouvait reculer devant une réponse, Il ne pouvait, s’il répondait, refuser l’audience, et, s’il accordait l’audience, comment refuser une bonne explication? M. d’Aiguillon ressemblait trop à ces spadassins polis et charmants qui cachent leurs mauvais desseins sous une gracieuseté adorable, amènent leur homme avec des révérences sur le terrain, et, là, l’égorgent sans miséricorde.

Le maréchal n’avait pas assez d’amour-propre pour se faire une illusion, il savait toute la force de son neveu. Une fois en face de lui, cet antagoniste lui arracherait soit un pardon, soit une concession. Or, Richelieu ne pardonnait jamais, et des concessions à un ennemi sont toujours une faute mortelle en politique.

Il feignit donc, au reçu de la lettre de M. d’Aiguillon, d’avoir quitté Paris pour plusieurs jours.

Rafté, qu’il consulta sur ce point, lui donna l’avis suivant:

– Nous sommes en chemin de ruiner M. d’Aiguillon. Nos amis des parlements font la besogne. Si M. d’Aiguillon, qui s’en doute, peut avant l’explosion mettre la main sur vous, il vous arrachera une promesse de le servir en cas de malheur, car votre ressentiment est de ceux que vous ne pouvez hautement faire passer avant un intérêt de famille; si vous refusez, au contraire, M. d’Aiguillon s’en va en vous nommant son ennemi, en vous attribuant le mal, et il s’en va soulagé, comme on l’est toujours chaque fois qu’on a trouvé la cause du mal, bien que le mal ne soit pas guéri.

– C’est parfaitement juste, répliqua Richelieu; mais je ne puis me celer éternellement. Combien de jours avant l’explosion?

– Six jours, monseigneur.

– C’est sûr?

Rafté tira de sa poche une lettre d’un conseiller au parlement; cette lettre contenait seulement les deux lignes que voici:

«Il a été décidé que l’arrêt serait rendu. Il le sera jeudi, dernier délai fixé par la compagnie.»

– Alors, rien de plus simple, répliqua le maréchal. Renvoie au duc sa lettre avec un billet de ta main.

«Monsieur le duc,

Vous aurez appris le départ de M. le maréchal pour ***. Ce changement d’air a été jugé indispensable par le médecin de M. le maréchal, qu’il trouve un peu fatigué. Si, comme je le crois d’après ce que vous m’avez fait l’honneur de me dire l’autre jour, vous désirez de parler à M. le maréchal, je puis vous certifier que jeudi au soir M. le duc couchera, revenant de ***, en son hôtel à Paris; vous l’y trouverez donc sans faute.»

– Et maintenant, ajouta le maréchal, cache-moi quelque part jusqu’à jeudi.

Rafté suivit ponctuellement ces instructions. Le billet fut écrit et envoyé, la cachette fut trouvée. Seulement, M. le duc de Richelieu, qui s’ennuyait fort, sortit un soir pour aller à Trianon parler à Nicole. Il ne risquait rien ou croyait ne rien risquer, sachant M. le duc d’Aiguillon au pavillon de Luciennes.

Il résulta de cette manœuvre que, si M. d’Aiguillon se douta de quelque chose, il ne put du moins prévenir le coup dont il était menacé, faute de rencontrer l’épée de son ennemi.

Le délai de jeudi le satisfit; il partit ce jour-là de Versailles avec l’espoir de rencontrer enfin et de combattre cet antagoniste impalpable.

C’était, nous l’avons dit, le jour où le parlement venait de rendre son arrêt.

Une fermentation sourde encore, mais parfaitement intelligible pour le Parisien, qui connaît si bien le niveau de ses ondes, régnait dans les rues que traversa le carrosse de M. d’Aiguillon.

On ne fit pas attention à lui, car il avait eu la précaution de voyager dans une voiture sans armes, avec deux grisons, comme s’il allait en bonne fortune.

Il vit bien çà et là des gens affairés qui se montraient un papier, le lisaient avec force gesticulations et tourbillonnaient en groupes comme des fourmis autour d’une parcelle de sucre tombée à terre; mais c’était le temps des agitations inoffensives: le peuple se groupait ainsi pour une taxe sur les blés, pour un article de la Gazettede Hollande, pour un quatrain de Voltaire ou pour une chanson contre la du Barry ou M. de Maupeou.

M. d’Aiguillon toucha droit à l’hôtel de M. de Richelieu. Il n’y trouva que Rafté.

M. le maréchal, répondit celui-ci, était attendu d’un instant à l’autre; un retard de poste le retenait sans doute aux barrières.

M. d’Aiguillon proposa d’attendre, tout en manifestant quelque mauvaise humeur à Rafté, car il prenait l’excuse pour une nouvelle défaite.

Ce fut bien pis lorsque Rafté lui répondit que le maréchal serait au désespoir, quand il rentrerait, qu’on eût fait attendre M. d’Aiguillon; que, d’ailleurs, il ne devait pas coucher à Paris, ainsi qu’il avait été convenu d’abord; que sans doute il ne reviendrait pas seul de la campagne, et traverserait seulement Paris en prenant des nouvelles à son hôtel; que, par conséquent, M. d’Aiguillon ferait bien de retourner chez lui-même, où le maréchal monterait en passant.

– Écoutez, Rafté, dit d’Aiguillon, qui s’était fort assombri durant cette réplique tout obscure, vous êtes la conscience de mon oncle: répondez-moi en honnête homme. On me joue, n’est-ce pas, et M. le maréchal ne veut pas me voir? Ne m’interrompez pas, Rafté; vous avez été pour moi souvent un bon conseil, et j’ai pu être pour vous ce que je serai encore, un bon ami; faut-il que je retourne à Versailles?