– Qu’eussiez-vous fait à ma place, vous, monsieur le bel esprit? Voyons.
– Rien… j’eusse attendu sans donner signe de vie; mais il vous démangeait d’opposer le parlement à la du Barry, du moment où la du Barry trouvait M. d’Aiguillon plus jeune que vous.
Un grognement du maréchal fut sa réponse.
– Eh bien, poursuivit Rafté, le parlement était assez soufflé par vous pour faire ce qu’il a fait; l’arrêt lancé, vous offriez vos services à votre neveu, qui ne se fût douté de rien.
– Cela est bel et bon, et j’admets que j’aie eu tort; mais alors vous deviez m’avertir.
– Moi, empêcher de faire le mal?… Vous me prenez pour un autre, monsieur le maréchal; vous répétez à tout venant que je suis votre créature, que vous m’avez dressé, et vous voudriez que je ne fusse pas ravi de voir se faire une sottise ou arriver un malheur?… Allons donc!
– Il arrivera un malheur, alors, monsieur le sorcier?
– Certainement.
– Lequel?
– C’est que vous vous entêterez, et que M. d’Aiguillon prendra le joint entre le parlement et madame du Barry; ce jour-là, il sera ministre, et vous, exilé… ou à la Bastille.
Le maréchal renversa de fureur tout le contenu de sa tabatière sur le tapis.
– À la Bastille! dit-il en haussant les épaules: est-ce que Louis XV est Louis XIV?
– Non; mais madame du Barry, doublée de M. d’Aiguillon, vaudra madame de Maintenon, prenez-y garde! et je ne sache pas aujourd’hui de princesse du sang qui vous y aille porter des bonbons et la petite oie.
– Voilà bien des pronostics, répliqua le maréchal après un long silence… Vous lisez dans l’avenir; mais, pour le présent, s’il vous plaît?
– M. le maréchal est trop sage pour qu’on lui donne des conseils.
– Dis donc, monsieur le drôle, ne vas-tu pas aussi te moquer de moi?…
– Faites attention, monsieur le maréchal, que vous confondez les dates; on n’appelle plus drôle un homme passé quarante ans; j’en ai soixante-sept.
– N’importe… sors-moi de là, et… vite!… vite!…
– Par un conseil?
– Par ce que tu voudras.
– Il n’est pas temps encore.
– Décidément, tu fais le plaisant.
– Plût à Dieu!… Si je faisais le plaisant, c’est que la circonstance serait plaisante… et malheureusement, elle ne l’est pas.
– Qu’est-ce que cette défaite: il n’est pas temps?
– Non, monseigneur, il n’est pas temps. Si la notification de l’arrêté du roi était parvenue à Paris, je ne dis pas… Voulez-vous que nous expédiions un courrier à M. le président d’Aligre?
– Pour qu’on se moque plus tôt de nous!…
– Quel amour-propre ridicule, monsieur le maréchal! vous feriez perdre la tête à un saint… Tenez laissez-moi finir mon plan de descente en Angleterre, et achevez de vous noyer dans votre intrigue de portefeuille, puisque la besogne est à moitié faite.
Le maréchal connaissait les humeurs noires de M. Rafté; il savait qu’une fois sa mélancolie déclarée, le secrétaire n’était plus bon à toucher avec des pincettes.
– Voyons, ne me boude pas, dit-il, et, si je ne comprends pas, fais-moi comprendre.
– Alors, monseigneur veut que je lui trace un plan de conduite?
– Certainement, puisque tu prétends que je ne sais pas me conduire moi même.
– Eh bien, soit! écoutez donc.
– J’écoute.
– Vous enverrez à M. d’Aligre, dit Rafté d’un ton bourru, la lettre de M. d’Aiguillon, vous y joindrez l’arrêté pris par le roi en son conseil. Vous attendrez que le parlement se soit assemblé là-dessus et en ait délibéré, ce qui arrivera immédiatement; ensuite de quoi, vous monterez en carrosse et irez rendre une petite visite à votre procureur, maître Flageot.
– Plaît-il? s’écria Richelieu, que ce nom fit bondir comme la veille. Encore M. Flageot! que diable maître Flageot a-t-il à faire en tout ceci, et qu’irai-je, moi, faire chez un maître Flageot?
– J’ai eu l’honneur de vous dire, monseigneur, que maître Flageot était votre procureur.
– Eh bien, après?
– Eh bien, s’il est votre procureur, il a des sacs à vous… des procès quelconques… vous irez lui demander des nouvelles de vos procès.
– Demain?
– Oui, monsieur le maréchal, demain.
– Mais c’est votre affaire, cela, monsieur Rafté.
– Non pas, non pas… Bon quand maître Flageot était un simple gratte-papier; alors je pouvais traiter d’égal à égal avec lui: mais, comme à partir de demain, maître Flageot est un Attila, un fléau des rois, ni plus ni moins, ce n’est pas trop d’un duc et pair, maréchal de France, pour conférer avec ce tout-puissant.
– Tout cela, est-ce sérieux, ou jouons-nous la comédie?
– Vous verrez demain si c’est sérieux, monseigneur.
– Mais encore, dis-moi ce qui m’arrivera chez ton maître Flageot?
– J’en serais bien fâché… vous voudriez me prouver demain que vous aviez deviné d’avance… Bonsoir, monsieur le maréchal. Rappelez-vous ceci: un courrier à M. d’Aligre tout de suite, une visite à maître Flageot demain. Ah! l’adresse… le cocher la sait, il m’y a conduit assez de fois depuis huit jours.
Chapitre XCIX Où le lecteur retrouvera une de ses anciennes connaissances qu’il croyait perdue, et que peut-être il ne regrettait pas
Le lecteur nous demandera sans doute pourquoi maître Flageot, qui va jouer un si majestueux rôle, était appelé procureur au lieu d’avocat; le lecteur ayant raison, nous ferons droit à sa requête.
Les vacances étaient depuis quelque temps réitérées au parlement, et les avocats plaidaient si peu, que ce n’était pas la peine d’en parler.
Maître Flageot, prévoyant le moment où on ne plaiderait pas du tout, fit quelques arrangements avec maître Guildou, le procureur, qui lui céda son étude et sa clientèle moyennant la somme de vingt-cinq mille livres une fois données. Voilà comment maître Flageot se trouva être procureur. Que si on nous demande maintenant comment il paya les vingt-cinq mille livres, nous répondrons que ce fut en épousant mademoiselle Marguerite, à qui cette somme échut en héritage vers la fin de l’année 1770, trois mois avant l’exil de M. de Choiseul.