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Maître Flageot depuis longtemps s’était fait remarquer par sa persévérance à tenir le parti de l’opposition. Une fois procureur, il redoubla de violence, et à cette violence gagna quelque célébrité. Ce fut cette célébrité, jointe à la publication d’un mémoire incendiaire sur le conflit de M. d’Aiguillon avec M. de La Chalotais, qui attira l’attention de M. Rafté, lequel avait besoin de se tenir au courant des affaires du parlement.

Mais, malgré sa dignité nouvelle et son importance croissante, maître Flageot ne quitta pas la rue du Petit-Lion-Saint-Sauveur. Il eût été trop cruel à mademoiselle Marguerite de ne pas s’entendre appeler madame Flageot par les voisines, et de ne pas être respectée par les clercs de maître Guildou, passés au service du nouveau procureur.

On devine ce que M. de Richelieu souffrait en traversant Paris, le Paris nauséabond de cette zone pour aborder à ce trou punais [1] que l’édilité parisienne décorait du nom de rue.

Devant la porte de maître Flageot, le carrosse de M. de Richelieu fut arrêté par un autre carrosse qui s’arrêtait aussi.

Le maréchal aperçut une coiffure de femme qui descendait de cette voiture, et, comme ses soixante-quinze ans ne l’avaient pas rebuté du métier de galant, il se hâta de plonger ses pieds dans la boue noire pour aller offrir la main à cette dame qui descendait seule.

Mais, ce jour-là, le maréchal jouait de malheur: une jambe sèche et rugueuse qui s’allongea sur le marchepied, trahit une vieille femme. Un visage ridé, tanné sous une ligne de rouge, acheva de lui prouver que cette femme était non seulement vieille, mais décrépite.

Il n’y avait cependant pas à reculer, le maréchal avait fait le mouvement, et le mouvement avait été vu; d’ailleurs, M. de Richelieu n’était pas jeune. Cependant la plaideuse, car quelle femme à voiture fût venue en cette rue, si elle n’eût été une plaideuse? cependant, disons-nous, la plaideuse n’imita point l’hésitation du duc; elle déposa avec un horrible sourire sa patte dans la main de Richelieu.

– J’ai vu cette figure-là quelque part, dit tout bas le maréchal.

Et, tout haut:

– Est-ce que madame monte aussi chez maître Flageot? demanda-t-il.

– Oui, monsieur le duc, répliqua la vieille.

– Oh! j’ai l’honneur d’être connu de vous, madame? s’écria le duc, désagréablement surpris, en s’arrêtant sur le seuil de l’allée noire.

– Qui ne connaît M. le maréchal duc de Richelieu? fut-il répondu. Il faudrait ne pas être femme.

– Cette guenon croit donc qu’elle est une femme? murmura le vainqueur de Mahon.

Et il salua le plus gracieusement du monde.

– Si j’osais demander à mon tour, ajouta-t-il, à qui j’ai l’honneur de parler?

– Je suis la comtesse de Béarn, votre servante, répondit la vieille en faisant une révérence de cour sur le plancher boueux de l’allée, à trois pouces d’une trappe de cave ouverte, dans laquelle le maréchal s’attendait méchamment à la voir disparaître à son troisième plié.

– Enchanté, madame, ravi, dit-il, et je rends mille grâces au hasard. Vous avez donc aussi des procès, madame la comtesse?

– Eh! monsieur le duc, je n’en ai qu’un; mais quel procès! Il n’est pas que vous n’en ayez ouï parler?

– Fort bien, fort bien; ce grand procès… c’est vrai, pardon. Comment diable avais-je oublié cela?

– Contre les Saluces.

– Contre les Saluces, oui, madame la comtesse; ce procès sur lequel on a fait cette chanson…

– Une chanson!… dit la vieille piquée, quelle chanson?

– Prenez garde, madame, il y a ici un renfoncement, dit le duc, qui vit que décidément la vieille ne se jetterait pas dans le trou; prenez la rampe, c’est-à-dire la corde.

La vieille monta les premières marches. Le duc la suivit.

– Oui, une chanson assez drôle, dit-il.

– Une chanson assez drôle sur mon procès?…

– Dame! je vous en fais juge… Mais vous la connaissez peut-être?…

– Pas du tout.

– C’est sur l’air de la Bourbonnaise; il y est dit:

Madame la comtesse,

Faites-moi politesse,

Je suis dans l’embarras.

C’est madame du Barry qui parle, vous entendez.

– C’est impertinent pour elle…

– Que voulez-vous! les chansonniers… ils ne respectent rien. Dieu! que cette corde est grasse! Alors vous répondez ceci:

Je suis vieille et têtue;

Un gros procès me tue;

Qui me le gagnera?

– Eh! monsieur, c’est affreux! s’écria la comtesse; on n’outrage pas ainsi une femme de qualité.

– Madame, excusez-moi si j’ai chanté faux; cet escalier m’échauffe… Ah! nous voici arrivés; permettez que je tire le pied de biche.

La vieille laissa passer en grommelant le duc devant elle.

Le maréchal sonna, et madame Flageot, qui, pour être devenue procureuse, n’avait pas cessé d’être portière et cuisinière, vint ouvrir la porte.

Les deux plaideurs, introduits dans le cabinet de maître Flageot, trouvèrent un homme furieux qui s’escrimait, la plume aux dents, à dicter un factum terrible à son premier clerc.

– Mon Dieu, maître Flageot, qu’y a-t-il donc? s’écria la comtesse, dont la voix fit se retourner le procureur.

– Ah! madame, serviteur de tout mon cœur. Un siège à madame la comtesse de Béarn. Monsieur est avec vous, madame?… Eh! mais je ne me trompe pas, M. le duc de Richelieu chez moi!… Un autre siège, Bernardet, un autre siège.

– Maître Flageot, dit la comtesse, où en est mon procès, je vous prie?

– Ah! madame, justement je m’occupais de vous à cette heure.

– Fort bien, maître Flageot, fort bien.

– Et d’une façon, madame la comtesse, qui fera du bruit, je l’espère.

– Hum! prenez garde…

– Oh! madame, il n’y a plus rien à ménager…

– Si vous vous occupez de moi, alors vous pouvez donner audience à M. le duc.

– Monsieur le duc, excusez-moi, dit maître Flageot; mais vous êtes trop galant pour ne pas comprendre…

– Je comprends, maître Flageot, je comprends.

– Maintenant, je suis tout à vous.

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[1] Puant, qui sent mauvais.