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– Soyez tranquille, je n’abuserai pas: vous savez ce qui m’amène.

– Les sacs que M. Rafté m’a remis l’autre jour.

– Quelques pièces relatives à mon procès de… à mon procès du… Que diable! vous devez savoir de quel procès je veux parler, maître Flageot.

– De votre procès de la terre de Chapenat.

– Je ne dis pas non, et me ferez-vous gagner?… Voyons. Ce serait bien gracieux de votre part.

– Monsieur le duc, c’est une affaire remise indéfiniment.

– Bon! pourquoi?

– Cela ne se plaidera pas avant un an, au moins.

– La raison, s’il vous plaît?

– Les circonstances, monsieur le duc, les circonstances… Vous connaissez l’arrêté de Sa Majesté?…

– Je crois que oui… Lequel? Sa Majesté rend beaucoup d’arrêtés.

– Celui qui annule le nôtre.

– Très bien. Après?

– Eh bien, monsieur le duc, nous y répondrons en brûlant nos vaisseaux.

– En brûlant vos vaisseaux, mon cher? vous brûlerez les vaisseaux du parlement? Voilà ce qui n’est pas parfaitement clair, et j’ignorais que le parlement eût des vaisseaux.

– La première chambre refuse d’enregistrer peut-être? demanda madame de Béarn, que le procès de M. de Richelieu ne distrayait en aucune façon du sien.

– Mieux que cela.

– La seconde aussi?

– Ça ne serait rien… Les deux chambres ont pris la résolution de ne plus rien juger avant que le roi ait retiré M. d’Aiguillon.

– Bah! s’écria le maréchal en frappant des mains.

– Ne plus juger… quoi? demanda la comtesse émue.

– Mais… les procès, madame.

– On ne jugerait pas mon procès, à moi? s’écria madame de Béarn avec une terreur qu’elle ne cherchait pas même à dissimuler.

– Pas plus le vôtre, madame, que celui de M. le duc.

– Mais c’est inique! c’est de la rébellion aux ordres de Sa Majesté, cela.

– Madame, répliqua le procureur majestueusement, le roi s’est oublié… nous nous oublions aussi.

– Monsieur Flageot, vous vous ferez mettre à la Bastille, c’est moi qui vous le dis.

– J’irai en chantant, madame, et, si j’y vais, tous mes confrères m’y suivront en portant des palmes.

– Il est enragé! dit la comtesse à Richelieu.

– Nous sommes tous comme cela, répliqua le procureur.

– Oh! oh! fit le maréchal, cela devient curieux.

– Mais, monsieur, vous m’avez dit tout à l’heure que vous vous occupiez de moi, reprit madame de Béarn.

– Je l’ai dit, et c’est vrai… Vous êtes, madame, le premier exemple que je cite dans ma narration; voici le paragraphe qui vous concerne.

Et il arracha des mains de son clerc le factum commencé, pinça son nez avec ses lunettes et lut avec emphase:

«Leur état perdu, leur fortune compromise, leurs devoirs foulés aux pieds… Sa Majesté comprendra combien ils ont dû souffrir… Ainsi, l’exposant détenait entre ses mains une importante affaire de laquelle dépend la fortune d’une des premières maisons du royaume; par ses soins, par son industrie, par son talent, il ose le dire, cette affaire marchait à bien, et le droit de très haute et très puissante dame Angélique-Charlotte-Véronique, comtesse de Béarn, allait être reconnu, proclamé, lorsque le souffle de la discorde… s’engouffrant…»

– J’en suis resté là, madame, dit le procureur en se rengorgeant, et je crois que la figure sera belle.

– Monsieur Flageot, dit la comtesse de Béarn, il y a quarante ans que je fis officier pour la première fois monsieur votre père, digne homme s’il en fut; je vous continuai ma clientèle; vous avez gagné dix ou douze mille livres avec mes affaires; vous en eussiez gagné autant encore, peut-être.

– Écrivez, écrivez tout cela, dit vivement Flageot à son clerc, c’est un témoignage, c’est une preuve: on l’insérera dans la confirmation.

– Or, interrompit la comtesse, je vous retire mes dossiers; à partir de ce moment, vous avez perdu ma confiance.

Maître Flageot, frappé de cette disgrâce comme d’un coup de foudre, resta un moment stupéfait; mais, se relevant sous le coup comme un martyr qui confesse son Dieu:

– Soit! dit-il; Bernardet, rendez les dossiers à madame, et vous consignerez ce fait, ajouta-t-il, que l’exposant a préféré sa conscience à sa fortune.

– Pardon, comtesse, glissa le maréchal à l’oreille de madame de Béarn, mais vous n’avez pas réfléchi, ce me semble.

– À quoi, monsieur le duc?

– Vous retirez vos dossiers à ce brave protestant; mais pourquoi faire?

– Pour les porter à un autre procureur, à un autre avocat! s’écria la comtesse.

Maître Flageot leva les yeux au ciel avec un funèbre sourire d’abnégation, de résignation stoïque.

– Mais, continua le maréchal, toujours parlant à l’oreille de la comtesse, puisqu’il est décidé que les chambres ne jugeront rien, ma chère madame, un autre procureur n’occupera pas plus pour vous que maître Flageot…

– C’est donc une ligue?

– Pardieu! croyez-vous maître Flageot assez bête pour se faire protestant tout seul, pour perdre son étude tout seul, si ses confrères ne devaient pas faire comme lui, et, par conséquent, le soutenir?

– Mais vous, monsieur, que faites-vous?

– Moi, je déclare que maître Flageot est un fort honnête procureur, et que mes dossiers sont aussi bien chez lui que chez moi… en conséquence, je les lui laisse tout en le payant, bien entendu, comme s’il poursuivait.

– On dit avec raison, monsieur le maréchal, que vous êtes un esprit généreux, libéral! s’écria maître Flageot; j’en propagerai la renommée, monsieur le duc.

– Vous me comblez, mon cher procureur, répondit Richelieu en s’inclinant.

– Bernardet! cria le procureur enthousiasmé à son clerc, vous insérerez à la péroraison l’éloge de M. le maréchal de Richelieu.

– Non, non pas! maître Flageot, je vous en supplie…, répliqua vivement le maréchal. Oh! diable, qu’allez-vous faire là? J’aime le secret pour ce qu’on est convenu d’appeler une bonne action… Ne me désobligez pas, maître Flageot; je nierais, voyez-vous, je démentirais: ma modestie est susceptible… Voyons, comtesse, que dites-vous?

– Je dis que mon procès sera jugé… qu’il me faut un jugement, et je l’aurai.