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– Et moi, je dis que, si votre procès est jugé, madame, c’est que le roi aura envoyé les Suisses, les chevau-légers et vingt pièces de canon dans la grand-salle, répondit maître Flageot d’un air belliqueux qui acheva de consterner la plaideuse.

– Vous ne croyez pas, alors, que Sa Majesté puisse sortir de ce pas? dit tout bas Richelieu à Flageot.

– Impossible, monsieur le maréchal; c’est un cas inouï. Plus de justice en France, c’est comme s’il n’y avait plus de pain.

– Croyez-vous?

– Vous verrez.

– Mais le roi se fâchera.

– Nous sommes résolus à tout!

– Même à l’exil?

– Même à la mort, monsieur le maréchal! parce qu’on porte une robe, on n’a pas moins un cœur.

Et M. Flageot frappa vigoureusement sa poitrine.

– En effet, dit Richelieu à sa compagne, je crois, madame, que voilà un mauvais pas pour le ministère.

– Oh! oui, répondit après un silence la vieille comtesse, et il est bien triste pour moi, qui ne me mêle en rien à tout ce qui se passe, de me trouver prise dans ce conflit.

– M’est avis, madame, dit le maréchal, qu’il existe de par le monde quelqu’un qui vous aiderait en cette affaire, quelqu’un de bien puissant… Mais cette personne voudra-t-elle?

– Est-ce trop de curiosité, monsieur le duc, que de vous demander le nom de cette puissance?

– Votre filleule, dit le duc.

– Oh! oh! madame du Barry?

– Elle-même.

– Au fait, c’est vrai… vous me donnez une idée.

Le duc se mordit les lèvres.

– Vous irez à Luciennes? dit-il.

– Sans balancer.

– Mais la comtesse du Barry ne brisera pas l’opposition du parlement.

– Je lui dirai que je veux voir mon procès jugé, et, comme elle ne peut rien me refuser après le service que je lui ai rendu, elle dira au roi que la chose lui plaît. Sa Majesté parlera au chancelier, et le chancelier a le bras long, monsieur le duc… Maître Flageot, faites-moi le plaisir de bien étudier mon affaire; elle arrivera au rôle plus tôt que vous ne croyez: c’est moi qui vous le dis.

Maître Flageot tourna la tête avec une incrédulité qui ne fit pas revenir la comtesse.

Pendant ce temps, le duc avait réfléchi.

– Eh bien, puisque vous allez à Luciennes, madame, voudrez-vous bien y présenter mes très humbles respects?

– Très volontiers, monsieur le duc.

– Nous sommes compagnons d’infortune; votre procès est en souffrance, le mien aussi; en priant pour vous, vous feriez pour moi… En outre, vous pourriez témoigner là-bas du déplaisir que me causent ces têtes carrées du parlement; vous ajouteriez que c’est moi qui vous ai donné le conseil de recourir à la divinité de Luciennes.

– Je n’y manquerai pas, monsieur le duc. Adieu, messieurs.

– Faites-moi l’honneur d’accepter ma main pour rejoindre votre carrosse. Encore une fois, adieu, maître Flageot, je vous laisse à vos occupations…

Le maréchal conduisit la comtesse à sa voiture.

– Rafté avait raison, dit-il, les Flageot vont faire une révolution. Dieu merci, me voici étayé des deux côtés… Je suis de la cour, et je suis parlementaire. Madame du Barry va s’engager dans la politique et tomber toute seule; si elle résiste, j’ai ma petite mine de Trianon. Décidément, ce diable de Rafté est de mon école et j’en ferai mon chef de cabinet le jour où je serai ministre.

Chapitre C Où les choses s’embrouillent de plus en plus

Madame de Béarn profita littéralement du conseil de Richelieu; deux heures et demie après que le duc l’eut quittée, elle faisait antichambre à Luciennes, dans la société de M. Zamore.

Il y avait déjà quelque temps qu’on ne l’avait vue chez madame du Barry; aussi sa présence produisit-elle un effet de curiosité dans le boudoir de la comtesse, où son nom fut annoncé.

M. d’Aiguillon non plus n’avait pas perdu son temps, et il complotait avec la favorite lorsque Chon vint demander audience pour madame de Béarn.

Le duc voulait se retirer, madame du Barry le retint.

– J’aime mieux que vous soyez là, dit-elle; au cas où ma vieille quêteuse viendrait me faire un emprunt, vous me seriez fort utile, elle demandera moins.

Le duc demeura.

Madame de Béarn, avec un visage composé pour la circonstance, prit en face de la comtesse le fauteuil que celle-ci lui offrit; et, les premières civilités échangées:

– Puis-je savoir quelle bonne chance vous amène, madame? demanda madame du Barry.

– Ah! madame, dit la vieille plaideuse, un grand malheur!

– Quoi donc, madame?

– Une nouvelle qui affligera beaucoup Sa Majesté…

– Dites vite, madame.

– Les parlements…

– Ah! ah! grommela le duc d’Aiguillon.

– M. le duc d’Aiguillon, se hâta de dire la comtesse en présentant son hôte à sa visiteuse, dans la crainte de quelque malentendu.

Mais la vieille comtesse était aussi fine que tous les courtisans réunis et elle ne faisait de malentendu qu’à bon escient, et lorsque le malentendu lui paraissait utile.

– Je sais, dit-elle, toutes les turpitudes de ces robins, et leur peu de respect pour le mérite et pour la naissance.

Ce compliment, décoché à bout portant sur le duc, attira un beau salut de celui-ci à la plaideuse, qui se leva et le lui rendit.

– Mais, poursuivit-elle, ce n’est plus de M. le duc qu’il s’agit, c’est de la population tout entière; les parlements refusent de fonctionner.

– En vérité! s’écria madame du Barry en se renversant sur le sofa, il n’y aura plus de justice en France?… Eh bien, après?… quel changement cela fera-t-il?

Le duc sourit. Madame de Béarn, au lieu de prendre plaisamment la chose, assombrit encore plus son visage morose.

– C’est un grand désastre, madame, dit-elle.

– Bah! vraiment? répondit la favorite.

– On voit bien, madame la comtesse, que vous avez le bonheur de n’avoir pas de procès.

– Hum! fit M. d’Aiguillon pour appeler l’attention de madame du Barry, qui comprit enfin l’insinuation de la plaideuse.

– Hélas! madame, dit-elle sur-le-champ, c’est vrai: vous me rappelez que, si je n’ai pas de procès, vous avez un procès bien important, vous!