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Le roi ordonnait, par la bouche du chancelier, de couper court à toutes les affaires de Bretagne, dont il avait assez. Il ordonnait au parlement de se réconcilier avec M. le duc d’Aiguillon, dont le service lui agréait; de ne plus interrompre le service de la justice; moyennant quoi, tout se passerait comme à ce bienheureux temps de l’âge d’or, où les ruisseaux coulaient en murmurant des discours en cinq points, du genre délibératif ou judiciaire, où les arbres étaient chargés de sacs de procès placés à la portée de MM. les avocats ou les procureurs, qui avaient le droit de les cueillir comme fruits leur appartenant.

Ces friandises ne raccommodèrent pas le parlement avec M. de Maupeou, pas plus qu’avec M. le duc d’Aiguillon. Mais le discours était fait, il n’y avait pas de réponse possible.

Les parlementaires, au comble du dépit, prirent tous, avec cet admirable ensemble qui donne tant de force aux corps constitués, une attitude tranquille et indifférente, qui déplut souverainement à Sa Majesté et au monde aristocratique des tribunes.

Madame la dauphine pâlit de colère. Elle se trouvait pour la première fois en présence de la résistance populaire. Elle en calculait froidement la puissance.

Venue au lit de justice avec l’intention d’être fort opposée, d’aspect du moins, à la résolution qu’on allait y prendre ou notifier, elle se sentit peu à peu entraînée à faire cause commune avec ceux de sa race et de sa caste; si bien qu’à mesure que le chancelier mordait plus avant dans la chair parlementaire, cette jeune fierté s’indignait de lui voir des dents si peu aiguës; il lui semblait qu’elle eût trouvé, elle, des paroles qui eussent fait bondir cette assemblée comme un troupeau de bœufs sous l’aiguillon. Bref, elle trouva le chancelier trop faible et les parlementaires trop forts.

Louis XV était physionomiste comme tous les égoïstes le seraient si, quelquefois, ils n’étaient paresseux en même temps qu’égoïstes. Il jeta les yeux autour de lui pour observer l’effet de sa volonté traduite par des paroles qu’il trouvait assez éloquentes.

La pâleur des lèvres pincées de la dauphine lui révélèrent aussitôt ce qui se passait dans cette âme.

Comme contrepoids, il observa la physionomie de madame du Barry: au lieu du sourire vainqueur qu’il y comptait trouver, il ne vit qu’une violente envie d’attirer sur elle les regards du roi, comme pour juger ce qu’il pensait.

Rien n’intimide les esprits faibles comme d’être devancés par l’esprit et la volonté d’autrui. S’ils se voient observés par une résolution déjà prise, ils en concluent qu’ils n’ont pas fait assez, qu’ils vont être ou ont été ridicules, qu’on avait le droit d’exiger plus qu’ils n’ont fait.

Alors ils passent aux extrêmes, le timide devient rugissant, et une manifestation soudaine trahit l’effet de cette réaction produite par la peur sur une peur moins forte.

Le roi n’avait pas besoin d’ajouter un mot aux paroles de son chancelier, cela n’était pas d’étiquette; cela n’était même pas nécessaire. Mais, en cette occasion, il fut possédé du démon bavard, et, faisant un signe de la main, il montra qu’il allait parler.

Pour le coup, l’attention devint de la stupeur.

On vit toutes les têtes des parlementaires faire volte-face vers le lit de justice avec la précision de mouvement d’une file de soldats instruits.

Les princes, les pairs, les militaires se sentirent émus. Il n’était pas impossible qu’après tant de bonnes choses qui avaient été dites, Sa Majesté Très Chrétienne ne dît une bonne grosse inutilité. Leur respect les empêchait de désigner autrement ce qui pouvait sortir de la bouche du roi.

On vit M. de Richelieu, qui avait affecté de se tenir loin de son neveu, se rapprocher surtout par le coup d’œil et l’affinité mystérieuse de l’intelligence.

Mais son regard, qui commençait à devenir rebelle, rencontra le clair regard de madame du Barry. Richelieu possédait comme personne l’art précieux des transitions: il passa du ton ironique au ton admiratif, et choisit la belle comtesse comme point d’intersection entre les diagonales et ces deux extrêmes.

Ce fut donc un sourire de félicitations et de galanterie qu’il adressa en passant à madame du Barry; mais celle-ci n’en fut pas dupe, d’autant plus que le vieux maréchal, qui avait commencé d’entamer sa correspondance avec les parlementaires et les princes opposants, fut forcé de la continuer pour ne pas paraître ce qu’il était bien réellement.

Que de perspective dans une goutte d’eau, cet océan pour l’observateur! Que de siècles dans une seconde, cette éternité indescriptible! Tout ce que nous disons là se passa dans le temps que Sa Majesté Louis XV mit à se préparer à parler et à ouvrir la bouche.

– Vous avez entendu, dit-il d’une voix ferme, ce que mon chancelier vous a fait savoir de mes volontés. Songez donc à les exécuter, car telles sont mes intentions et je ne changerai jamais!

Louis XV laissa tomber ces derniers mots avec le fracas et la vigueur de la foudre.

Aussi toute l’assemblée fut-elle littéralement foudroyée.

Un frisson passa sur tous les parlementaires, frisson de terreur qui se communiqua immédiatement à la foule, comme l’étincelle électrique court rapide au bout du cordon. Ce même frisson effleura aussi les partisans du roi. La surprise et l’admiration étaient sur tous les fronts, dans tous les cœurs.

La dauphine remercia involontairement le roi par un éclair parti de ses beaux yeux.

Madame du Barry, électrisée, ne put s’empêcher de se lever, et elle eût battu des mains, sans la crainte bien naturelle qu’elle eut d’être lapidée en sortant ou de recevoir le lendemain cent couplets plus odieux les uns que les autres.

Louis XV put jouir dès ce moment de son triomphe.

Les parlementaires inclinèrent leurs fronts toujours avec le même ensemble.

Le roi se souleva sur ses coussins fleurdelisés.

Aussitôt le capitaine des gardes, le commandant de la maison militaire et tous les gentilshommes se levèrent.

Le tambour battit, les trompettes sonnèrent au dehors. Ce frémissement presque silencieux du peuple à l’arrivée se changea en un mugissement qui s’éteignait au lointain, refoulé par les soldats et les archers.

Le roi traversa fièrement la salle, sans voir autre chose sur son passage que des fronts humiliés.

M. d’Aiguillon continua de précéder Sa Majesté sans abuser de son triomphe.

Le chancelier, arrivé à la porte de la salle, vit au loin tout ce peuple, s’effraya de tous ces éclairs, qui, malgré la distance, arrivaient jusqu’à lui; il dit aux archers: