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«Messieurs, messieurs, abandonnons ces hauteurs trop sublimes et redescendons sur la terre.

«Messieurs, je vous le dis avec simplicité et avec conviction, il n’est pas temps encore; le roi qui règne est un dernier reflet du grand roi que le peuple vénère encore, et il y a dans cette majesté qui s’efface quelque chose d’assez éblouissant encore pour balancer les éclairs de vos petits ressentiments.

«Celui-là est un roi, il mourra roi; sa race est insolente, mais pure. Son origine, vous pouvez la lire sur son front, dans un geste, dans sa voix. Il sera toujours le roi, celui-là. Abattons-le, et il arrivera ce qui est arrivé à Charles Ier; ses bourreaux se prosterneront devant lui, et les courtisans de son malheur, comme Lord Capell, baiseront la hache qui aura tranché la tête de leur maître.

«Or, messieurs, vous le savez tous, l’Angleterre s’est hâtée. Le roi Charles Ier est mort sur l’échafaud c’est vrai; mais le roi Charles II, son fils, est mort sur le trône.

«Attendez, attendez, messieurs; car voilà que les temps vont devenir propices.

«Vous voulez détruire les lis. C’est notre devise à tous: Lilia pedibus destrue; mais il ne faut pas qu’une seule racine permette à la fleur de saint Louis l’espoir de refleurir encore. Vous voulez détruire la royauté? Pour que la royauté soit détruite à jamais, il faut qu’elle soit affaiblie de prestige et d’essence. Vous voulez détruire la royauté? Attendez que la royauté ne soit plus un sacerdoce, mais un emploi; qu’elle ne s’exerce plus dans un temple, mais dans une boutique. Or, ce qu’il y a de plus sacré dans la royauté, c’est-à-dire la légitime transmission du trône autorisée depuis des siècles par Dieu et par les peuples, s’en va, perdue pour jamais! Écoutez! écoutez! cette invincible, cette infranchissable barrière placée entre nous, gens de rien, et ces créatures quasi divines, cette limite que les peuples n’ont jamais osé franchir et qu’on appelle la légitimité, ce mot brillant comme un phare, et qui jusqu’aujourd’hui a garanti la royauté du naufrage, ce mot va s’éteindre sous le souffle de la mystérieuse fatalité.

«La dauphine, appelée en France pour perpétuer la race des rois par le mélange du sang impérial, la dauphine, mariée depuis un an à l’héritier du trône de France… Approchez-vous, messieurs, car je crains de faire passer au delà de votre cercle le bruit de mes paroles.

– Eh bien? demandèrent avec anxiété les six chefs.

– Eh bien, messieurs, la dauphine est encore vierge!

Un murmure sinistre qui eût fait fuir tous les rois du monde, tant il renfermait de joie haineuse et de triomphe vengeur, s’échappa comme une vapeur mortelle de ce cercle étroit des six têtes, qui se touchaient presque, dominées qu’elles étaient par celle de Balsamo, penché sur elles du haut de son estrade.

– Dans cet état de choses, continua Balsamo, il se présente deux hypothèses, toutes deux également profitables à notre cause.

«La première, c’est que la dauphine reste stérile, et alors la race s’éteint, alors l’avenir ne laisse à nos amis ni combats, ni difficultés, ni troubles. Il en arrivera de cette race marquée d’avance pour la mort, ce qui est arrivé en France chaque fois que trois rois se sont succédé; ce qui est arrivé aux fils de Philippe le Beclass="underline" Louis le Hutin, Philippe le Long et Charles IV, morts sans postérité, après avoir régné tous trois; ce qui est arrivé aux trois fils de Henri II: François II, Charles IX et Henri III, morts sans postérité après avoir régné tous trois. Comme eux, M. le dauphin, M. le comte de Provence et M. le comte d’Artois régneront tous trois et tous trois mourront sans enfants, comme les autres sont morts: c’est la loi de la destinée.

«Puis, comme après Charles IV, le dernier de la race capétienne, est venu Philippe VI de Valois, collatéral des rois précédents; comme, après Henri III, le dernier de la race des Valois, est venu Henri IV de Bourbon, collatéral de la race précédente; après le comte d’Artois, inscrit au livre de la fatalité comme le dernier des rois de la branche aînée, viendra peut-être quelque Cromwell ou quelque Guillaume d’Orange, étranger soit à la race, soit à l’ordre naturel de succession.

«Voilà ce que nous donne la première hypothèse.

«La seconde, c’est que madame la dauphine ne reste pas stérile. Et voilà le piège où nos ennemis vont se précipiter en croyant nous y jeter nous-mêmes. Oh! si la dauphine ne reste pas stérile, si la dauphine devient mère, alors que tous se réjouiront à la cour et croiront la royauté consolidée en France, nous pourrons nous réjouir aussi, nous; car nous posséderons un secret si terrible, que nul prestige, nulle puissance, nuls efforts ne tiendront contre les crimes que ce secret renfermera, près des malheurs qui résulteront pour la future reine de cette fécondité; car cet héritier qu’elle donnera au trône, nous le ferons facilement illégitime, car cette fécondité, nous la déclarerons facilement adultère. Si bien que, près de ce bonheur factice que semblera leur avoir accordé le ciel, la stérilité eût été un bienfait de Dieu. Voilà pourquoi je m’abstiens, messieurs; voilà pourquoi j’attends, mes frères; voilà pourquoi, enfin, je juge inutile de déchaîner aujourd’hui les passions populaires, que j’emploierai efficacement lorsque le temps sera venu.

«Maintenant, messieurs, vous connaissez le travail de cette année; vous voyez le progrès de nos mines. Persuadez-vous donc que nous ne réussirons qu’avec le génie et le courage des uns, qui seront les yeux et le cerveau; qu’avec la persévérance et le labeur des autres, qui représenteront les bras; qu’avec la foi et le dévouement des autres encore, qui seront le cœur.

«Pénétrez-vous surtout de cette nécessité d’une obéissance aveugle qui fait que votre chef lui-même s’immolera à la volonté des statuts de l’ordre, le jour où les statuts l’exigeront.

«Sur ce, messieurs et frères bien-aimés, je lèverais la séance, s’il ne me restait un bien à faire, un mal à indiquer.

«Le grand écrivain qui est venu à nous ce soir, et qui eût été des nôtres sans le zèle intempestif d’un de nos frères, qui a effrayé cette âme timide, ce grand écrivain, disons-nous, a eu raison de notre assemblée, et je déplore comme un malheur qu’un étranger ait raison devant une majorité de frères qui connaissent mal nos règlements et ne connaissent pas du tout notre but.