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Il semblait demander à chacun des chirurgiens, des élèves et des infirmiers, une consolation, un sourire, une caresse; mais il ne rencontrait partout que l’indifférence avec son cœur, que l’acier avec ses yeux.

Un reste de courage et d’orgueil le rendait muet. Il réservait toutes ses forces pour les cris qu’allait bientôt lui arracher la douleur.

Cependant, quand il sentit sur son épaule la main pesamment complaisante du gardien, quand il sentit les bras des aides l’envelopper comme les serpents de Lacoon, quand il entendit la voix de l’opérateur lui dire: «Du courage!» il se hasarda, le malheureux, à rompre le silence et à demander d’une voix plaintive:

– Souffrirai-je beaucoup?

– Eh non, soyez tranquille, répondit Marat avec un sourire faux qui fut caressant pour le malade, ironique pour Balsamo.

Marat vit que Balsamo l’avait compris: il se rapprocha de lui et dit tout bas:

– C’est une opération épouvantable, dit-il; l’os est plein de gerçures et sensible à faire pitié. Il mourra, non du mal, mais de la douleur: voilà ce que lui vaudra son âme, à ce vivant.

– Pourquoi l’opérez-vous alors? pourquoi ne le laissez-vous pas tranquillement mourir?

– Parce qu’il est du devoir du chirurgien de tenter la guérison, même quand la guérison lui semble impossible.

– Et vous dites qu’il souffrira?

– Effroyablement.

– Par la faute de son âme?

– Par la faute de son âme, qui a trop de tendresse pour son corps.

– Alors pourquoi ne pas opérer sur l’âme? La tranquillité de l’une serait peut-être la guérison de l’autre.

– C’est aussi ce que je viens de faire…, dit Marat tandis que l’on continuait à lier le patient.

– Vous avez préparé son âme?

– Oui.

– Comment cela?

– Comme on fait, par des paroles. J’ai parlé à l’âme, à l’intelligence, à la sensibilité, à la chose qui faisait dire au philosophe grec: «Douleur, tu n’es pas un mal!» le langage qui convient à cette chose. Je lui ai dit: «Vous ne souffrirez pas.» Reste maintenant à l’âme à ne point souffrir, cela la regarde. Voilà le remède connu jusqu’à présent. Quant aux questions de l’âme: mensonge! Pourquoi aussi cette diablesse d’âme est-elle attachée au corps? Tout à l’heure, quand j’ai coupé cette tête, le corps n’a rien dit. L’opération cependant était grave. Mais, que voulez-vous! le mouvement avait cessé, la sensibilité s’était éteinte, l’âme s’était envolée, comme vous dites, vous autres spiritualistes. Voilà pourquoi cette tête que je coupais n’a rien dit, voilà pourquoi ce corps que je décapitais m’a laissé faire; tandis que ce corps que l’âme habite encore va pousser des cris effroyables dans un instant. Bouchez bien vos oreilles, maître! Bouchez-les, vous qui êtes sensible à cette connexité des âmes et des corps, qui tuera toujours votre théorie, jusqu’au jour où votre théorie sera parvenue à isoler le corps de l’âme.

– Vous croyez qu’on n’arrivera jamais à cet isolement?

– Essayez, dit Marat, l’occasion est belle.

– Eh bien, oui, vous avez raison, dit Balsamo, l’occasion est belle, et j’essaye.

– Vous essayez?

– Oui.

– Comment cela?

– Je ne veux pas que ce jeune homme souffre, il m’intéresse.

– Vous êtes un illustre chef, dit Marat, mais vous n’êtes ni Dieu le père, ni Dieu le fils, et vous n’empêcherez pas ce gaillard-là de souffrir.

– Et, s’il ne souffrait point, croiriez-vous à sa guérison?

– Elle serait plus probable, mais elle ne serait pas sûre.

Balsamo jeta sur Marat un inexprimable regard de triomphe, et, se plaçant devant le jeune malade, dont il rencontra les yeux effarés et déjà noyés dans les angoisses de la terreur:

– Dormez, dit-il non seulement avec sa bouche, mais encore avec son regard, avec sa volonté, avec toute la chaleur de son sang, avec tout le fluide de son corps.

En ce moment, le chirurgien en chef commençait à palper la cuisse malade et à faire observer aux élèves l’intensité du mal.

Mais à ce commandement de Balsamo, le jeune homme, qui s’était relevé sur son séant, oscilla un instant dans les bras des aides, sa tête se pencha, ses yeux se fermèrent.

– Il se trouve mal, dit Marat.

– Non, monsieur.

– Mais ne voyez-vous pas qu’il perd connaissance?

– Non, il dort.

– Comment, il dort?

– Oui.

Chacun se tourna vers l’étrange médecin, que l’on prit pour un fou.

Un sourire d’incrédulité passa sur les lèvres de Marat.

– Est-il d’habitude que l’on parle pendant l’évanouissement? demanda Balsamo.

– Non.

– Eh bien, interrogez-le, et il vous répondra.

– Eh! jeune homme! cria Marat.

– Oh! vous n’avez pas besoin de crier si haut, dit Balsamo; parlez avec votre voix ordinaire.

– Dites-nous un peu ce que vous avez.

– On m’a ordonné de dormir, et je dors, répondit le patient.

La voix était parfaitement calme et faisait un contraste étrange avec la voix qu’on avait entendue quelques instants auparavant.

Tous les assistants se regardèrent.

– Maintenant, dit Balsamo, détachez-le.

– Impossible, dit le chirurgien en chef, un seul mouvement, et l’opération peut être manquée.

– Il ne bougera pas.

– Qui me l’assure?

– Moi, et puis lui. Demandez-lui plutôt.

– Peut-on vous laisser libre, mon ami?

– On le peut.

– Et promettez-vous de ne pas bouger?

– Je le promets, si vous me l’ordonnez.

– Je vous l’ordonne.

– Ma foi, dit le chirurgien en chef, vous parlez avec une telle certitude, monsieur, que je suis tenté de faire l’expérience.

– Faites, et ne craignez rien.

– Déliez-le, dit le chirurgien en chef.

Les aides obéirent.

Balsamo passa au chevet du lit.

– À partir de ce moment, dit-il, ne bougez plus que je ne l’ordonne.