– Non, non, ce n’est pas vrai, répliqua-t-elle ardemment. Tu vois bien que je t’aime trop, moi, pour te nuire comme toutes ces femmes sans raison et sans cœur.
Balsamo se laissa enlacer par les bras de son enchanteresse.
Tout à coup un double tintement de la sonnette de Fritz résonna deux fois.
– Deux visites, dit Balsamo.
Un violent coup de sonnette acheva la phrase télégraphique de Fritz.
Et, se dégageant des bras de Lorenza, Balsamo sortit de la chambre, laissant la jeune femme toujours endormie.
Il rencontra le courrier sur son chemin: celui-ci attendait les ordres du maître.
– Voilà la lettre, dit-il.
– Qu’en faut-il faire?
– La remettre à son adresse.
– C’est tout?
– C’est tout.
L’adepte regarda l’enveloppe et le cachet, et, les voyant aussi intacts qu’il les avait apportés, manifesta sa joie et disparut dans les ténèbres.
– Quel malheur de ne pas garder un pareil autographe! dit Balsamo, et quel malheur surtout de ne pas pouvoir le faire passer par des mains sûres entre les mains du roi!
Fritz apparut alors devant lui.
– Qui est là? demanda-t-il.
– Une femme et un homme.
– Sont-ils déjà venus ici?
– Non.
– Les connais-tu?
– Non.
– La femme est-elle jeune?
– Jeune et jolie.
– L’homme?
– Soixante à soixante-cinq ans.
– Où sont-ils?
– Au salon.
Balsamo entra.
Chapitre LXXXIV Évocation
La comtesse avait complètement caché son visage sous une mante; comme elle avait eu le temps de passer à l’hôtel de famille, son costume était celui d’une petite bourgeoise.
Elle était venue en fiacre avec le maréchal qui, plus timide, s’était habillé de gris, comme un valet supérieur de bonne maison.
– Monsieur le comte, dit madame du Barry, me reconnaissez-vous?
– Parfaitement, madame la comtesse.
Richelieu restait en arrière.
– Veuillez vous asseoir, madame, et vous aussi, monsieur.
– Monsieur est mon intendant, dit la comtesse.
– Vous faites erreur, madame, répliqua Balsamo en s’inclinant; monsieur est M. le duc de Richelieu, que je reconnais à merveille, et qui serait bien ingrat s’il ne me reconnaissait pas.
– Comment cela? demanda le duc tout déferré, comme disait Tallemant des Réaux.
– Monsieur le duc, on doit un peu de reconnaissance à ceux qui nous ont sauvé la vie, je pense.
– Ah! ah! duc, dit la comtesse en riant; entendez-vous, duc?
– Eh! vous m’avez sauvé la vie, à moi, monsieur le comte? fit Richelieu étonné.
– Oui, monseigneur, à Vienne, en 1725, lors de votre ambassade.
– En 1725! mais vous n’étiez pas né, mon cher monsieur.
Balsamo sourit.
– Il me semble que si, monsieur le duc, dit-il, puisque je vous ai rencontré mourant, ou plutôt mort sur une litière; vous veniez de recevoir un coup d’épée au beau travers de la poitrine, à telles enseignes que je vous ai versé sur la plaie trois gouttes de mon élixir… Là, tenez, à l’endroit où vous chiffonnez votre point d’Alençon, un peu riche pour un intendant.
– Mais, interrompit le maréchal, vous avez trente à trente-cinq ans à peine, monsieur le comte.
– Allons donc, duc! s’écria la comtesse en riant aux éclats, vous voilà devant le sorcier. Y croyez-vous?
– Je suis stupéfait, comtesse. Mais alors, continua le duc s’adressant de nouveau à Balsamo… Mais alors, vous vous appelez…
– Oh! nous autres sorciers, monsieur le duc, vous le savez, nous changeons de nom à toutes les générations… et, en 1725, c’était la mode des noms en us, en os et en as, et il ne m’étonnerait pas quand, à cette époque, il m’aurait pris la fantaisie de troquer mon nom contre quelque nom grec ou latin… Ceci posé, je suis à vos ordres, madame la comtesse, à vos ordres, monsieur le duc…
– Comte, nous venons vous consulter, le maréchal et moi.
– C’est beaucoup d’honneur que vous me faites, madame, surtout si c’est naturellement que cette idée vous est venue.
– Le plus naturellement du monde, comte; votre prédiction me court par la tête; seulement, je doute qu’elle se réalise.
– Ne doutez jamais de ce que dit la science, madame.
– Oh! oh! fit Richelieu, c’est que notre couronne est bien aventurée, comte… Il ne s’agit pas ici d’une blessure que l’on guérit avec trois gouttes d’élixir.
– Non, mais d’un ministre que l’on renverse avec trois paroles…, répliqua Balsamo. Eh bien! ai-je deviné? Dites, voyons.
– Parfaitement, dit la comtesse toute tremblante. En vérité, duc, que dites vous de tout cela?
– Oh! ne vous étonnez pas pour si peu, madame, dit Balsamo, qui voit madame du Barry et Richelieu inquiets doit deviner pourquoi, sans sorcellerie.
– Aussi, ajouta le maréchal, vous adorerai-je, si vous nous indiquez le remède.
– À la maladie qui vous travaille?
– Oui, nous avons le Choiseul.
– Et vous voudriez bien en être guéris.
– Oui, grand magicien, justement.
– Monsieur le comte, vous ne nous laisserez pas dans l’embarras, dit la comtesse; il y va de votre honneur.
– Je suis tout prêt à vous servir de mon mieux, madame; cependant, je voudrais savoir si M. le duc n’avait pas d’avance quelque idée arrêtée en venant ici.
– Je l’avoue, monsieur le comte… Ma foi, c’est charmant d’avoir un sorcier que l’on peut appeler M. le comte: cela ne vous change pas de vos habitudes.
Balsamo sourit.
– Voyons, reprit-il, soyez franc.
– Sur l’honneur, je ne demande pas mieux, dit le duc.
– Vous aviez quelque consultation à me demander?
– C’est vrai.
– Ah! sournois, dit la comtesse; il ne m’en parlait pas.
– Je ne pouvais dire cela qu’à M. le comte, et dans le creux le plus secret de l’oreille encore, répondit le maréchal.
– Pourquoi, duc?
– Parce que vous eussiez rougi, comtesse, jusqu’au blanc des yeux.