Выбрать главу

Une statue couchée sur un tombeau n’eût pas été plus immobile que ne le devint le malade à cette injonction.

– Maintenant, opérez, monsieur, dit Balsamo; le malade est parfaitement disposé.

Le chirurgien prit son bistouri; mais, au moment de s’en servir, il hésita.

– Taillez, monsieur, taillez, vous dis-je, fit Balsamo avec l’air d’un prophète inspiré.

Le chirurgien, dominé comme Marat, comme le malade, comme tout le monde, approcha l’acier de la chair.

La chair cria, mais le malade ne poussa pas un soupir, ne fit pas un mouvement.

– De quel pays êtes-vous, mon ami? demanda Balsamo.

– Je suis Breton, monsieur, répondit le malade en souriant.

– Et vous aimez votre pays?

– Oh! monsieur, il est si beau!

Le chirurgien faisait pendant ce temps les incisions circulaires à l’aide desquelles, dans les amputations, on commence par mettre l’os à découvert.

– L’avez-vous quitté jeune? demanda Balsamo.

– À dix ans, monsieur.

Les incisions étaient faites, le chirurgien approchait la scie de l’os.

– Mon ami, dit Balsamo, chantez-moi donc cette chanson que les sauniers de Batz chantent en rentrant le soir, après la journée faite. Je ne me rappelle que le premier vers:

À mon sel couvert d’écume.

La scie mordait les os.

Mais, à l’invitation de Balsamo, le malade sourit et commença de chanter mélodieusement, lentement, en extase, comme un amant ou comme un poète:

À mon sel couvert d’écume,

À mon lac couleur du ciel,

À mon four, tourbe qui fume;

À mon sarrasin de miel;

À ma femme, à mon vieux père,

À mes enfants bien-aimés;

À la tombe où dort ma mère,

Sous les genêts parfumés;

Salut! la journée est faite,

Et me voici de retour:

Après le labeur, la fête,

Après l’absence, l’amour.

La jambe tomba sur le lit que le malade chantait encore.

Chapitre CVI L’âme et le corps

Chacun regardait le patient avec étonnement, le médecin avec admiration.

Il en fut qui dirent que tous deux étaient fous.

Marat traduisit cette opinion à l’oreille de Balsamo:

– La terreur a fait perdre l’esprit au pauvre diable, dit-il; voilà pourquoi il ne souffre plus.

– Je ne crois pas, dit Balsamo, et, bien loin qu’il ait perdu l’esprit, je suis sûr, si je l’interrogeais, qu’il nous dirait, s’il doit mourir, le jour de sa mort; s’il doit vivre, le temps que durera sa convalescence.

Marat fut près de partager l’opinion générale, c’est-à-dire de croire Balsamo aussi fou que le patient.

Cependant le chirurgien liait activement les artères, d’où s’échappaient des flots de sang.

Balsamo tira de sa poche un flacon, versa sur un tampon de charpie quelques gouttes de l’eau que ce flacon renfermait, et pria le chirurgien en chef d’appliquer cette charpie sur les artères.

Celui-ci obéit avec une certaine curiosité.

C’était un des plus célèbres praticiens de cette époque, un homme vraiment amoureux de la science, qui ne répudiait aucun de ses mystères, et pour qui le hasard n’était que le pis-aller du doute.

Il appliqua le petit tampon sur l’artère, qui frémit, bouillonna, et ne laissa plus passer le sang que goutte à goutte.

Dès lors il put lier l’artère avec la plus grande facilité.

Pour le coup, Balsamo obtint un véritable triomphe, et chacun lui demanda où il avait étudié et de quelle école il était.

– Je suis un médecin allemand de l’école de Gœttingue, dit-il, et j’ai fait la découverte que vous voyez. Je désire cependant, messieurs et chers confrères, que cette découverte demeure encore un secret, car j’ai grand-peur du fagot, et le parlement de Paris se déciderait peut-être à juger encore une fois pour le plaisir de condamner un sorcier au feu.

Le chirurgien en chef demeurait rêveur.

Marat rêvait et réfléchissait.

Cependant il reprit le premier la parole.

– Vous prétendiez, dit-il, tout à l’heure que, si vous interrogiez cet homme sur le résultat de cette opération, il répondrait sûrement, quoique ce résultat soit encore caché dans l’avenir?

– Je le prétends encore, dit Balsamo.

– Eh bien, voyons.

– Comment s’appelle ce pauvre diable?

– Il s’appelle Havard, répondit Marat.

Balsamo se retourna vers le patient, dont la bouche fredonnait encore les dernières notes du plaintif refrain.

– Eh bien, mon ami, lui demanda-t-il, qu’augurez-vous de l’état de ce pauvre Havard?

– Ce que j’augure de son état? répondit le malade. Attendez, il faut que je revienne de la Bretagne, où j’étais, à l’Hôtel-Dieu, où il est.

– C’est cela; entrez-y, regardez-le, et dites-moi la vérité sur lui.

– Oh! il est malade, bien malade: on lui a coupé la jambe.

– En vérité? dit Balsamo.

– Oui.

– Et l’opération a-t-elle bien réussi?

– À merveille; mais…

La figure du malade s’assombrit.

– Mais? reprit Balsamo.

– Mais, continua le malade, il y a une terrible épreuve à passer, la fièvre.

– Et quand viendra-t-elle?

– Ce soir, à sept heures.

Tous les assistants se regardèrent:

– Et cette fièvre? demanda Balsamo.

– Oh! elle le rendra bien malade; il surmontera cependant ce premier accès.

– Vous en êtes sûr?

– Oh! oui.

– Mais, après ce premier accès, sera-t-il sauvé?

– Hélas! non, dit le blessé en soupirant.

– La fièvre reviendra donc?

– Oh! oui, et plus terrible que jamais. Pauvre Havard, continua-t-il, pauvre Havard, il a une femme et des enfants!

Et ses yeux se remplirent de larmes.

– Sa femme doit-elle donc être veuve, et ses enfants doivent-ils donc être orphelins? demanda Balsamo.