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– Attendez! attendez!

Il joignit les mains.

– Non, non, dit-il.

Son visage s’éclaira d’une foi sublime.

– Non, sa femme et ses enfants ont tant prié qu’ils ont obtenu grâce pour lui devant Dieu.

– Alors il guérira?

– Oui.

– Vous entendez, messieurs, dit Balsamo, il guérira.

– Demandez-lui en combien de jours, dit Marat.

– En combien de jours?

– Oui; vous avez dit qu’il indiquerait lui-même les phases et le terme de sa convalescence.

– Je ne demande pas mieux que de l’interroger là-dessus.

– Interrogez-le donc alors.

– Et quand croyez-vous que Havard sera guéri? demanda Balsamo.

– Oh! la convalescence sera longue; attendez: un mois, six semaines, deux mois; il est entré ici il y a cinq jours, il en sortira deux mois et quinze jours après y être entré.

– Et il en sortira guéri?

– Oui.

– Mais, dit Marat, incapable de travailler et, par conséquent, de nourrir sa femme et ses enfants.

– Oh! Dieu est bon, et Dieu y pourvoira.

– Et comment Dieu y pourvoira-t-il? demanda Marat. Pendant que je suis en train d’apprendre aujourd’hui, je voudrais bien apprendre cela.

– Dieu a envoyé près de son lit un homme charitable qui l’a pris en pitié, et qui a dit tout bas: «Je veux que le pauvre Havard ne manque de rien.»

Tous les assistants se regardèrent; Balsamo sourit.

– En vérité, nous assistons à un étrange spectacle, dit le chirurgien en chef, en même temps qu’il saisissait la main du malade, auscultait sa poitrine et palpait son front; cet homme rêve.

– Vous croyez? dit Balsamo.

Et lançant au blessé un regard plein d’autorité et d’énergie:

– Éveillez-vous, Havard! lui dit-il.

Le jeune homme ouvrit les yeux avec effort et regarda avec une profonde surprise tous les assistants, devenus pour lui inoffensifs, de menaçants qu’ils étaient.

– Eh bien! dit-il douloureusement, on ne m’a donc pas encore opéré? On va donc encore me faire souffrir?

Balsamo prit vivement la parole. Il craignait l’émotion du malade. Il n’était pas besoin qu’il se hâtât.

Nul ne l’eût devancé; la surprise des assistants était trop grande.

– Mon ami, lui dit-il, tranquillisez-vous. M. le chirurgien en chef a pratiqué sur votre jambe une opération qui satisfait à toutes les exigences de votre position. Il paraît, mon pauvre garçon, que vous êtes un peu faible d’esprit, car vous vous êtes évanoui devant la première attaque.

– Oh! tant mieux, dit gaiement le Breton, je n’ai rien senti; mon sommeil a même été doux et réparateur. Quel bonheur! on ne me coupera pas la jambe.

Mais, en ce moment, le malheureux porta ses regards sur lui-même; il vit le lit plein de sang, il vit sa jambe mutilée.

Il jeta un cri et, cette fois, s’évanouit véritablement.

– Interrogez-le maintenant, dit froidement Balsamo à Marat, et vous verrez s’il répond.

Puis, entraînant le chirurgien en chef dans un coin de la chambre, tandis que les infirmiers reportaient le malheureux jeune homme dans son lit:

– Monsieur, dit Balsamo, vous avez entendu ce qu’a dit votre pauvre malade?

– Oui, monsieur, qu’il guérirait.

– Il a dit encore autre chose: il a dit que Dieu le prendrait en pitié, et lui enverrait de quoi nourrir sa femme et ses enfants.

– Eh bien?

– Eh bien, monsieur, il a dit la vérité, sur ce point comme sur l’autre; seulement, chargez-vous d’être un intermédiaire de charité entre votre malade et Dieu: voici un diamant qui vaut vingt mille livres, à peu près; quand vous verrez votre malade guéri, vous le vendrez et vous lui en remettrez l’argent; en attendant, comme l’âme, ainsi que me le disait fort judicieusement votre élève, M. Marat, comme l’âme a une grande influence sur le corps, dites bien à Havard, aussitôt que la connaissance sera revenue, dites-lui bien que son avenir et celui de ses enfants est assuré.

– Mais, monsieur, dit le chirurgien hésitant à prendre la bague que lui offrait Balsamo, s’il ne guérit point?

– Il guérira!

– Encore faut-il que je vous en donne un reçu.

– Monsieur!…

– Ce n’est qu’à cette condition que je prendrai un bijou d’une pareille valeur.

– Faites comme il vous plaira, monsieur.

– Votre nom, s’il vous plaît?

– Le comte de Fœnix.

Le chirurgien passa dans la chambre voisine, tandis que Marat, anéanti, confondu, mais luttant encore contre l’évidence, se rapprochait de Balsamo.

Au bout de cinq minutes, le chirurgien rentra, tenant à la main un papier qu’il remit à Balsamo.

C’était un reçu conçu en ces termes:

«J’ai reçu de M. le comte de Fœnix un diamant qu’il a déclaré lui-même être d’une valeur de vingt mille livres, pour le prix en être remis au nommé Havard, le jour où il sortira de l’Hôtel-Dieu.

«GUILLOTIN, D. M.»

«Le 15 septembre 1771.»

Balsamo salua le docteur, prit le reçu et sortit suivi de Marat.

– Vous oubliez votre tête, dit Balsamo, pour lequel la distraction du jeune élève en chirurgie était un triomphe.

– Ah! c’est vrai, dit celui-ci.

Et il ramassa son funèbre fardeau.

Une fois dans la rue, tous deux marchèrent fort vite et sans se dire un seul mot; puis, arrivés à la rue des Cordeliers, ils remontèrent ensemble le rude escalier qui conduisait à la mansarde.

Devant la loge de la portière, si toutefois le trou qu’elle habitait méritait le nom de loge, Marat, qui n’avait pas oublié la disparition de sa montre, s’était arrêté et avait demandé dame Grivette.

Un enfant de sept à huit ans, maigre, chétif et étiolé, lui avait répondu de sa voix criarde:

– Maman, elle est sortie; elle a dit que, si monsieur rentrait, on lui donnât cette lettre.

– Non, mon petit ami, dit Marat, tu lui diras qu’elle me l’apporte elle même.

– Bien, monsieur.

Marat et Balsamo avaient continué leur chemin.

– Ah! dit Marat en indiquant une chaise à Balsamo et en tombant lui même sur un escabeau, je vois que le maître a de beaux secrets.

– C’est que je suis entré plus avant qu’un autre, peut-être, dans la confidence de la nature et de Dieu, répondit Balsamo.