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– Vous me donnez un écu par mois, et vous voudriez être servi comme par dix domestiques.

– Il m’importe peu d’être mal servi; il m’importe fort de n’être pas volé.

– Monsieur, je suis une honnête femme!

– Une honnête femme que je livrerai au commissaire de police, si, d’ici à une heure, ma montre n’est pas retrouvée.

– Au commissaire de police?

– Oui.

– Au commissaire de police, une honnête femme comme moi?

– Une honnête femme, une honnête femme!…

– Oui, et sur laquelle il n’y a rien à dire, entendez-vous!

– Allons, assez, dame Grivette.

– Ah! je me doutais déjà que vous me soupçonniez quand vous êtes sorti.

– Je vous soupçonne depuis la disparition du pommeau de ma canne.

– Eh bien, moi, je vous dirai une chose, monsieur Marat, à mon tour.

– Laquelle?

– C’est que, pendant votre absence, j’ai consulté…

– Qui cela?

– Mes voisins.

– À quel propos?

– À ce propos que vous me soupçonniez.

– Je ne vous en avais rien dit encore.

– Je le voyais bien.

– Et les voisins? Je suis curieux de savoir ce qu’ils vous ont dit, les voisins.

– Ils ont dit que, si vous me soupçonniez et que si vous aviez le malheur de faire part de vos soupçons à quelqu’un, il faudrait aller jusqu’au bout.

– Eh bien?

– C’est-à-dire prouver que la montre a été prise.

– Elle a été prise, puisqu’elle était là et qu’elle n’y est plus.

– Oui, mais par moi, prise par moi, entendez-vous! Ah! mais, c’est que, devant la justice, il faut des preuves; c’est qu’on ne vous croira pas sur parole, monsieur Marat; c’est que vous n’êtes pas plus que nous, monsieur Marat.

Balsamo, calme comme toujours, regardait toute cette scène; il voyait que, quoique la conviction de Marat n’eût point changé, il baissait le ton.

– Si bien, continuait la portière, que, si vous ne rendez pas justice à ma probité, voyez-vous, que, si vous ne me faites pas réparation, c’est moi qui irai chercher le commissaire de police, comme notre propriétaire me le conseillait encore tout à l’heure.

Marat se mordit les lèvres. Il savait qu’il y avait là un danger réel. Le propriétaire était un vieux marchand retiré riche des affaires. Il occupait l’appartement du troisième, et la chronique scandaleuse du quartier prétendait que, quelque dix ans auparavant, il avait fort protégé la portière, autrefois fille de cuisine chez sa femme.

Or, Marat, ayant des fréquentations mystérieuses; Marat, jeune homme assez peu rangé; Marat, un peu caché; Marat, un peu suspect aux gens de la police, ne se souciait pas d’une affaire avec le commissaire, affaire qui l’eût mis entre les mains de M. de Sartine, lequel aimait fort à lire les papiers des jeunes gens comme Marat, et à envoyer les auteurs de ces beaux écrits dans ces maisons de méditation qu’on appelle Vincennes, la Bastille, Charenton et Bicêtre.

Marat baissa donc le ton; mais, à mesure qu’il le baissait, la portière haussait le sien. D’accusée, elle s’était faite accusatrice. Il en résulta que cette femme nerveuse et hystérique s’emporta comme une flamme qui vient de trouver un courant d’air.

Menaces, jurements, cris, larmes, elle employa tout: ce fut une véritable tempête.

Alors Balsamo jugea qu’il était temps d’intervenir; il fit un pas vers cette femme, debout et menaçante au milieu de la chambre, et, la regardant avec un sinistre éclat, il lui présenta deux doigts à la poitrine en prononçant, non pas avec les lèvres, mais avec ses yeux, avec sa pensée, avec sa volonté tout entière, un mot que Marat ne put entendre.

Aussitôt, dame Grivette se tut, chancela, et, perdant l’équilibre, elle alla à reculons, les yeux effroyablement dilatés, écrasée sous la puissance du fluide magnétique, tomber sur le lit, sans prononcer une seule parole.

Bientôt, ses yeux se fermèrent et s’ouvrirent, mais sans que cette fois on vît la prunelle; sa langue remua convulsivement; le torse ne bougea point, et, cependant, ses mains tremblèrent comme secouées par la fièvre.

– Oh! oh! dit Marat, comme le blessé de l’hôpital!

– Oui.

– Elle dort donc?

– Silence! dit Balsamo.

Puis, s’adressant à Marat:

– Monsieur, dit-il, voici le moment où toutes vos incrédulités vont cesser, toutes vos hésitations s’évanouir; ramassez cette lettre que vous apportait cette femme et qu’elle a laissé échapper lorsqu’elle est tombée.

Marat obéit.

– Eh bien? demanda-t-il.

– Attendez.

Et, prenant la lettre des mains de Marat:

– Savez-vous de qui vient cette lettre? demanda Balsamo la présentant à la somnambule.

– Non, monsieur, répliqua-t-elle.

Balsamo approcha la lettre toute fermée de cette femme.

– Lisez-la pour M. Marat, qui désire savoir ce qu’elle contient.

– Elle ne sait pas, dit Marat.

– Oui; mais vous savez lire, vous?

– Sans doute.

– Eh bien, lisez-la, et elle lira de son côté, au fur et a mesure que les mots se graveront dans votre esprit.

Marat se mit à décacheter la lettre et à la lire, tandis que dame Grivette, debout et frissonnante sous la volonté toute-puissante de Balsamo, répétait, au fur et à mesure que Marat les lisait lui-même, les paroles suivantes:

«Mon cher Hippocrate,

«Apelles vient de faire son premier portrait; il l’a vendu cinquante francs; on mange aujourd’hui ces cinquante francs à la buvette de la rue Saint Jacques. En es-tu?

«Il est bien entendu qu’on en boit une partie.

«Ton ami,

L. DAVID»

C’était textuellement ce qui était écrit.

Marat laissa tomber le papier.

– Eh bien, dit Balsamo, vous voyez que dame Grivette a aussi une âme, et que cette âme veille lorsqu’elle dort.

– Et une âme étrange, dit Marat, une âme qui sait lire quand le corps ne le sait pas.

– Parce que l’âme sait toute chose, parce que l’âme peut reproduire par réflexion. Essayez de lui faire lire cette lettre quand elle sera réveillée, c’est-à-dire quand le corps aura enveloppé l’âme de son ombre, et vous verrez.