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Marat restait sans parole; toute sa philosophie matérialiste se révoltait en lui, mais ne trouvait pas une réponse.

– Maintenant, continua Balsamo, nous allons passer à ce qui vous intéresse le plus, c’est-à-dire à ce qu’est devenue votre montre.

– Dame Grivette, dit Balsamo, qui a pris la montre de M. Marat?

La somnambule fit un geste de violente dénégation.

– Je ne sais pas, dit-elle.

– Vous le savez parfaitement, insista Balsamo, et vous le direz.

Puis, avec une volonté plus forte encore:

– Qui a pris la montre de M. Marat? Dites.

– Dame Grivette n’a pas volé la montre de M. Marat. Pourquoi M. Marat croit-il que c’est dame Grivette qui a volé sa montre?

– Si ce n’est pas elle qui a volé la montre, dites qui.

– Je l’ignore.

– Vous voyez, dit Marat, la conscience est un refuge impénétrable.

– Eh bien, puisque vous n’avez plus que ce dernier doute, monsieur, dit Balsamo, vous allez bientôt être convaincu.

Puis, se retournant vers la portière:

– Dites qui, je le veux!

– Allons, allons, dit Marat, n’exigez pas l’impossible.

– Vous avez entendu, dit Balsamo; j’ai dit que je voulais.

Alors, sous l’expression de cette impérieuse volonté, la malheureuse femme commença, comme une folle, à se tordre les mains et les bras; un frémissement pareil à celui de l’épilepsie commença de lui courir par tout le corps; sa bouche prit une expression hideuse de terreur et de faiblesse; elle se renversa en arrière, se raidit comme dans une convulsion douloureuse, et tomba sur le lit.

– Non, non! dit-elle, j’aime mieux mourir!

– Eh bien, s’écria Balsamo avec une colère qui fit jaillir la flamme de ses yeux, tu mourras s’il le faut, mais tu parleras. Ton silence et ton obstination seraient pour nous de suffisants indices; mais, pour un incrédule, il faut la preuve la plus irréfragable. Parle, je le veux: qui a pris la montre?

L’exaspération nerveuse était portée à son comble; tout ce que la somnambule avait de force et de pouvoir réagissait contre la volonté de Balsamo; des cris inarticulés sortaient de sa bouche, une écume rougeâtre frangea ses lèvres.

– Elle va tomber en épilepsie, dit Marat.

– Ne craignez rien, c’est le démon du mensonge qui est en elle et qui ne veut pas sortir.

Puis, se tournant vers la femme en lui jetant à la face tout ce que sa main pouvait contenir de fluide:

– Parlez, dit-il, parlez; qui a pris la montre?

– Dame Grivette, répondit la somnambule d’une voix à peine intelligible.

– Et quand l’a-t-elle prise?

– Hier au soir.

– Où était-elle?

– Sous le chandelier.

– Et qu’en a-t-elle fait?

– Elle l’a portée rue Saint-Jacques.

– Et à quel endroit de la rue Saint-Jacques?

– Au n° 29.

– À quel étage?

– Au cinquième.

– Chez qui?

– Chez un garçon cordonnier.

– Comment s’appelle-t-il?

– Simon.

– Qu’est-ce que cet homme?

La somnambule se tut.

– Qu’est-ce que cet homme? répéta Balsamo.

Même silence.

Balsamo étendit vers elle sa main imprégnée de fluide et la malheureuse, écrasée par cette attaque terrible, n’eut que la force de murmurer:

– Son amant.

Marat poussa un cri d’étonnement.

– Silence! dit Balsamo; laissez la conscience parler.

Puis, continuant de s’adresser à la femme toute tremblante et tout inondée de sueur:

– Et qui a conseillé ce vol à dame Grivette? demanda-t-il.

– Personne. Elle a soulevé le chandelier par hasard; elle a vu la montre, alors le démon l’a tentée.

– Était-ce par besoin?

– Non, car la montre, elle ne l’a pas vendue.

– Elle l’a donc donnée?

– Oui.

– À Simon?

La somnambule fit un effort.

– À Simon.

Puis elle couvrit son visage de ses deux mains et versa un torrent de larmes.

Balsamo jeta un regard sur Marat, qui, la bouche béante, les cheveux en désordre, les paupières dilatées, contemplait cet effrayant spectacle.

– Eh bien, monsieur, dit-il, vous voyez enfin la lutte de l’âme avec le corps. Voyez-vous la conscience forcée comme dans une redoute qu’elle croyait inexpugnable? Voyez-vous enfin que Dieu n’a rien oublié dans ce monde et que tout est dans tout? Ne niez donc plus la conscience; ne niez donc plus l’âme; ne niez donc plus l’inconnu, jeune homme! surtout ne niez pas la foi, qui est le pouvoir suprême; et, puisque vous avez de l’ambition, étudiez, monsieur Marat; parlez peu, pensez beaucoup, et ne vous laissez plus aller à juger légèrement vos supérieurs. Adieu, vous avez un champ bien vaste ouvert par mes paroles; fouillez ce champ qui renferme des trésors. Adieu. Heureux, bien heureux si vous pouvez vaincre le démon de l’incrédulité qui est en vous, comme j’ai vaincu celui des mensonges qui est dans cette femme.

Et il partit sur ces mots, qui firent monter aux joues du jeune homme la rougeur de la honte.

Marat ne songea même point à prendre congé de lui.

Mais, après la première stupeur, il s’aperçut que dame Grivette dormait toujours.

Ce sommeil lui parut épouvantable. Marat eût préféré avoir un cadavre sur son lit, dût M. de Sartine interpréter cette mort à sa façon.

Il regarda cette atonie, ces yeux retournés, ces palpitations, et il eut peur.

Sa peur s’accrut encore quand le cadavre vivant se leva, vint lui prendre la main et lui dire:

– Venez avec moi, monsieur Marat.

– Où cela?

– Rue Saint-Jacques.

– Pourquoi?

– Venez, venez; il m’ordonne de vous y conduire.

Marat, qui était tombé sur une chaise, se leva.

Alors dame Grivette, toujours endormie, ouvrit la porte, descendit l’escalier comme eût fait un oiseau ou une chatte, c’est-à-dire en effleurant à peine les marches.

Marat la suivit, craignant qu’elle ne tombât et qu’en tombant elle ne se brisât la tête.

Arrivée au bas de l’escalier, elle franchit le seuil de la porte, traversa la rue, toujours suivie du jeune homme, qu’elle guida ainsi jusque dans la maison au grenier signalé.