– Ah! par curiosité, dites, maréchal; j’ai du rouge, on n’en verra rien.
– Eh bien, dit Richelieu, voici ce à quoi j’ai pensé. Prenez garde, comtesse, je jette mon bonnet par-dessus les moulins.
– Jetez, duc, je vous le renverrai.
– Oh! c’est que vous m’allez battre tout à l’heure, si je dis ce que je veux dire.
– Vous n’êtes pas accoutumé à être battu, monsieur le duc, dit Balsamo au vieux maréchal enchanté du compliment.
– Eh bien, donc, reprit-il, voici: n’en déplaise à madame, à Sa Majesté… Comment vais-je dire cela?
– Qu’il est mortel de lenteurs! s’écria la comtesse.
– Vous le voulez donc?
– Oui.
– Absolument?
– Mais oui, cent fois oui.
– Alors, je me risque. C’est une chose triste à dire, monsieur le comte, mais Sa Majesté n’est plus amusable. Le mot n’est pas de moi, comtesse, il est de madame de Maintenon.
– Il n’y a rien là qui me blesse, duc, dit madame du Barry.
– Tant mieux mille fois, alors je serai à mon aise. Eh bien, il faudrait que M. le comte, qui trouve de si précieux élixirs…
– En trouvât un, dit Balsamo, qui rendît au roi la faculté d’être amusé.
– Justement.
– Eh! monsieur le duc, c’est là un enfantillage, l’a b c du métier. Le premier charlatan trouvera un philtre.
– Dont la vertu, continua le duc, sera mise sur le compte du mérite de madame?
– Duc! s’écria la comtesse.
– Eh! je le savais bien, que vous vous fâcheriez; mais c’est vous qui l’avez voulu.
– Monsieur le duc, répliqua Balsamo, vous avez eu raison: voici madame la comtesse qui rougit. Mais, tout à l’heure nous le disions, il ne s’agit pas de blessure ici, non plus que d’amour. Ce n’est pas avec un philtre que vous débarrasserez la France de M. de Choiseul. En effet, le roi aimât-il madame dix fois plus qu’il ne le fait, et c’est impossible, M. de Choiseul conserverait sur son esprit le prestige et l’influence que madame exerce sur le cœur.
– C’est vrai, dit le maréchal. Mais c’était notre seule ressource.
– Vous croyez?
– Dame! trouvez-en une autre.
– Oh! je crois la chose facile.
– Facile, entendez-vous, comtesse? Ces sorciers ne doutent de rien.
– Pourquoi douter, quand il s’agit tout simplement de prouver au roi que M. de Choiseul le trahit? – au point de vue du roi, bien entendu, car M. de Choiseul ne croit pas trahir en faisant ce qu’il fait.
– Et que fait-il?
– Vous le savez aussi bien que moi, comtesse; il soutient la révolte du parlement contre l’autorité royale.
– Certainement; mais il faudrait savoir par quel moyen.
– Par le moyen d’agents qui les encouragent en leur promettant l’impunité.
– Quels sont ces agents? Voilà ce qu’il faudrait savoir.
– Croyez-vous, par exemple, que madame de Grammont soit partie pour autre chose que pour exalter les chauds et étouffer les timides?
– Certainement qu’elle n’est point partie pour autre chose, s’écria la comtesse.
– Oui; mais le roi ne voit dans ce départ qu’un simple exil.
– C’est vrai.
– Comment lui prouver qu’il y a dans ce départ autre chose que ce qu’on veut y laisser voir?
– En accusant madame de Grammont.
– Ah! s’il ne s’agissait que d’accuser, comte!… dit le maréchal.
– Il s’agit malheureusement de prouver l’accusation, dit la comtesse.
– Et si cette accusation était prouvée, bien prouvée, croyez-vous que M. de Choiseul resterait ministre?
– Assurément non! s’écria la comtesse.
– Il ne s’agit donc que de prouver une trahison de M. de Choiseul, poursuivit Balsamo avec assurance, et de la faire surgir claire, précise et palpable aux yeux de Sa Majesté.
Le maréchal se renversa dans son fauteuil en riant aux éclats.
– Il est charmant! s’écria-t-il; il ne doute de rien! Trouver M. de Choiseul en flagrant délit de trahison!… voilà tout!… pas davantage!
Balsamo demeura impassible et attendit que l’accès d’hilarité du maréchal fût bien passé.
– Voyons, dit alors Balsamo, parlons sérieusement et récapitulons.
– Soit.
– M. de Choiseul n’est-il pas soupçonné de soutenir la rébellion du parlement?
– C’est convenu; mais la preuve?
– M. de Choiseul ne passe-t-il pas, continua Balsamo, pour ménager une guerre avec l’Angleterre, afin de se conserver un rôle d’homme indispensable?
– On le croit; mais la preuve?…
– Enfin, M. de Choiseul n’est-il pas l’ennemi déclaré de madame la comtesse que voici et ne cherche-t-il pas par tous les moyens possibles à la renverser du trône que je lui ai promis?
– Ah! pour cela, c’est bien vrai, dit la comtesse; mais encore faudrait-il le prouver… Oh! si je le pouvais!
– Que faut-il pour cela? Une misère.
Le maréchal se mit à souffler sur ses ongles.
– Oui, une misère, dit-il ironiquement.
– Une lettre confidentielle, par exemple, dit Balsamo.
– Voilà tout… peu de chose.
– Une lettre de madame de Grammont, n’est-ce pas, monsieur le maréchal? continua le comte.
– Sorcier, mon bon sorcier, trouvez-en donc une! s’écria madame du Barry. Voilà cinq ans que j’y tâche, moi; j’y ai dépensé cent mille livres par an, et je ne l’ai jamais pu.
– Parce que vous ne vous êtes pas adressée à moi, madame, dit Balsamo.
– Comment cela? fit la comtesse.
– Sans doute, si vous vous fussiez adressée à moi…
– Eh bien?
– Je vous eusse tirée d’embarras.
– Vous?
– Oui, moi.
– Comte, est-il trop tard?
Le comte sourit.
– Jamais.
– Oh! mon cher comte…, dit madame du Barry en joignant les mains.
– Donc, vous voulez une lettre?
– Oui.
– De madame de Grammont?
– Si c’est possible.
– Qui compromette M. de Choiseul sur les trois points que j’ai dits.