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– Allons, allons, dit Thérèse pour le tenter et l’amener par insinuation à sa volonté, ne vous butez pas, Jacques, et ne faites pas une sottise… Vos habits sont là… votre rasoir est tout prêt; j’ai fait avertir le barbier, si vous avez vos nerfs aujourd’hui…

– Merci, ma bonne, répondit Rousseau, je me donnerai seulement un coup de brosse, et je prendrai mes souliers parce que l’on ne sort pas en pantoufles.

– Aurait-il de la volonté par hasard? se demanda Thérèse.

Et elle l’excita tantôt par la coquetterie, tantôt par la persuasion, tantôt par la violence de ses railleries. Mais Rousseau la connaissait; il voyait le piège; il sentait qu’aussitôt après avoir cédé, il serait impitoyablement honni et berné par sa gouvernante. Il ne voulut donc pas céder et s’abstint de regarder les beaux habits qui relevaient ce qu’il appelait sa bonne mine naturelle.

Thérèse le guettait. Elle n’avait plus qu’une ressource: c’était le coup d’œil que Rousseau ne négligeait jamais de donner au miroir en sortant, car le philosophe était propre à l’excès, si l’on peut trouver de l’excès dans la propreté.

Mais Rousseau continua de se tenir en garde, et, comme il avait surpris le regard anxieux de Thérèse, il tourna le dos au miroir. L’heure arriva; le philosophe s’était farci la tête de tout ce qu’il pourrait dire de désagréablement sentencieux au roi.

Il en récita quelques bribes tout en attachant les boucles de ses souliers, jeta son chapeau sous son bras, prit sa canne, et, profitant d’un moment où Thérèse ne pouvait le voir, il détira son habit et sa veste avec les deux mains pour en effacer les plis.

Thérèse rentra et lui offrit un mouchoir qu’il enfouit dans sa vaste poche, et le reconduisit jusqu’au palier en lui disant:

– Voyons, Jacques, soyez raisonnable; vous êtes affreux ainsi, vous avez l’air d’un faux-monnayeur.

– Adieu, dit Rousseau.

– Vous avez l’air d’un coquin, monsieur, dit Thérèse, prenez bien garde!

– Prenez garde au feu, répliqua Rousseau; ne touchez pas à mes papiers.

– Vous avez l’air d’un mouchard, je vous assure, dit Thérèse au désespoir.

Rousseau ne répliqua rien; il descendait les degrés en chantonnant, et, en profitant de l’obscurité, il brossait son chapeau avec sa manche, secouait son jabot de toile avec sa main gauche, et s’improvisait une rapide mais intelligente toilette.

En bas, il affronta la boue de la rue Plâtrière, mais sur la pointe de ses souliers, et gagna les Champs-Élysées, où stationnaient ces honnêtes voitures que, par purisme, nous nommerons des pataches, et qui voituraient ou plutôt assommaient encore il y a douze ans, de Paris à Versailles, les voyageurs réduits à l’économie.

Chapitre CX Les coulisses de Trianon

Les circonstances du voyage sont indifférentes. Nécessairement Rousseau dut faire la route avec un Suisse, un commis aux aides, un bourgeois et un abbé.

Il arriva vers cinq heures et demie du soir. Déjà la cour était rassemblée à Trianon; l’on préludait en attendant le roi, car, pour l’auteur, il n’en était pas question le moins du monde.

Certaines personnes savaient bien que M. Rousseau, de Genève, viendrait diriger la répétition; mais il n’était pas plus intéressant de voir M. Rousseau que M. Rameau, ou M. Marmontel, ou toute autre de ces bêtes curieuses dont les gens de cour se payaient la vue dans leur salon ou dans leur petite maison.

Rousseau fut reçu par l’officier de service, à qui M. de Coigny avait enjoint de le faire avertir sitôt que le Genevois arriverait.

Le gentilhomme accourut avec sa courtoisie ordinaire et accueillit Rousseau par le plus aimable empressement. Mais à peine eut-il jeté les yeux sur le personnage, qu’il s’étonna et ne put s’empêcher de recommencer l’examen.

Rousseau était poudreux, fripé, pâle, et sur sa pâleur tranchait une barbe de solitaire, telle que jamais maître des cérémonies n’avait vu sa pareille se refléter dans les glaces de Versailles.

Rousseau devint fort gêné sous le regard de M. de Coigny, et plus gêné encore lorsque, s’approchant de la salle de spectacle, il vit la profusion de beaux habits, de dentelles boursouflées, de diamants et de cordons bleus qui faisaient, sur les dorures de la salle, l’effet d’un bouquet de fleurs dans une immense corbeille.

Rousseau se trouva mal à l’aise aussi quand il eut respiré cette atmosphère ambrée, fine et enivrante pour ses sens plébéiens.

Cependant, il fallait marcher et payer d’audace. Bon nombre de regards se fixaient sur lui, qui faisait tache dans cette assemblée.

M. de Coigny, toujours le précédant, le conduisit à l’orchestre, où les musiciens l’attendaient.

Là, il se trouva un peu soulagé, et, pendant qu’on exécutait sa musique, il pensa sérieusement qu’il était au plus fort du danger, que c’en était fait, et que tous les raisonnements du monde n’y pouvaient rien.

Déjà madame la dauphine était en scène avec son costume de Colette; elle attendait son Colin.

M. de Coigny, dans sa loge, changeait de costume.

Tout à coup, on vit entrer le roi au milieu d’un cercle de têtes courbées.

Louis XV souriait et semblait animé de la meilleure humeur.

Le dauphin s’assit à sa droite, et M. le comte de Provence arriva s’asseoir à sa gauche.

Les cinquante personnes qui formaient l’assemblée, assemblée intime s’il en fut, s’assirent sur un geste du roi.

– Eh bien, ne commence-t-on pas? dit Louis XV.

– Sire, dit la dauphine, les bergers et les bergères ne sont pas encore habillés; nous les attendons.

– On pouvait figurer en habit de ville, dit le roi.

– Non sire, répliqua la dauphine du théâtre même, parce que nous voulons essayer les habits et les costumes aux lumières, pour en connaître sûrement l’effet.

– Très juste, madame, dit le roi; alors, promenons-nous.

Et Louis XV se leva pour faire le tour du corridor et de la scène. Il était, d’ailleurs, assez inquiet de ne pas voir arriver madame du Barry.

Quand le roi fut parti de sa loge, Rousseau considéra mélancoliquement et avec un serrement de cœur cette salle vide et son propre isolement.

C’était un bien singulier contraste avec l’accueil qu’il avait redouté.

Il s’était figuré que, devant lui, tous les groupes s’ouvriraient, que la curiosité des gens de cour serait plus importune et plus significative que celle des Parisiens; il avait craint les questions, les présentations; et voilà que nul ne faisait attention à lui.