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Là, ils entendirent ce que peu de gens pouvaient entendre.

Madame du Barry disant au roi:

– Attendrai-je Votre Majesté à souper ce soir?

Et le roi répondant:

– Je me sens fatigué, comtesse; excusez-moi.

Au même instant le dauphin arrivait et, marchant presque sur les pieds de la comtesse sans paraître la voir:

– Sire, dit-il, Votre Majesté nous fera-t-elle l’honneur de souper à Trianon?

– Non, mon fils; je le disais à l’instant même à madame; je me sens fatigué; toute votre jeunesse m’étourdirait… Je souperai seul.

Le dauphin s’inclina et partit. Madame du Barry salua jusqu’à la ceinture et se retira, tremblante de colère.

Le roi fit alors un signe à Richelieu.

– Duc, dit-il, j’ai à vous parler de certaine affaire qui vous regarde.

– Sire…

– Je n’ai pas été content… Je veux que vous m’expliquiez… Tenez… Je soupe seul, vous me tiendrez compagnie.

Et le roi regardait Taverney.

– Vous connaissez, je crois, ce gentilhomme, duc?

– M. de Taverney? Oui, sire.

– Ah! le père de la charmante chanteuse.

– Oui, sire.

– Écoutez-moi, duc.

Le roi se baissa pour parler à l’oreille de Richelieu.

Taverney s’enfonça les ongles dans la peau, pour ne pas donner signe d’émotion.

Un moment après, Richelieu passa devant Taverney et lui dit:

– Suis-moi sans affectation.

– Où cela? dit Taverney de même.

– Viens toujours.

Le duc partit. Taverney le suivit à vingt pas jusqu’aux appartements du roi.

Le duc entra dans la chambre; Taverney demeura dans l’antichambre.

Chapitre CXII L’écrin

M. de Taverney n’attendit pas longtemps. Richelieu, ayant demandé au valet de chambre de Sa Majesté ce que le roi avait laissé sur sa toilette, ressortit bientôt avec un objet que le baron ne put distinguer d’abord sous l’enveloppe de soie qui le couvrait.

Mais le maréchal tira son ami d’inquiétude, il l’entraîna du côté de la galerie.

– Baron, dit-il aussitôt qu’il se vit seul avec lui, tu m’as paru douter quelquefois de mon amitié pour toi?

– Pas depuis notre réconciliation, répliqua Taverney.

– Alors tu as douté de ta fortune et de celle de tes enfants?

– Oh! pour cela, oui.

– Eh bien, tu avais tort. Ta fortune et celle de tes enfants se fait avec une rapidité qui devrait te donner le vertige.

– Bah! fit Taverney, qui entrevoyait une partie de la vérité, mais qui ne se fût pas livré à Dieu et, par conséquent, se gardait bien du diable; comment la fortune de mes enfants se fait-elle si vite?

– Mais nous avons déjà M. Philippe capitaine, avec une compagnie payée par le roi.

– Oh! c’est vrai… et je te le dois.

– Nullement. Ensuite nous allons avoir mademoiselle de Taverney marquise peut-être.

– Allons donc! s’écria Taverney; comment, ma fille?…

– Écoute, Taverney, le roi est plein de goût; la beauté, la grâce et la vertu, lorsqu’elles sont accompagnées du talent, enchantent Sa Majesté… Or, mademoiselle de Taverney réunit tous ces avantages à un point éminent… Le roi est donc enchanté de mademoiselle de Taverney.

– Duc, répliqua Taverney en prenant un air de dignité plus que grotesque pour le maréchal, duc, comment expliques-tu ce mot: enchanté?

Richelieu n’aimait pas la prétention; il répliqua sèchement à son ami:

– Baron, je ne suis pas fort sur la linguistique, je sais même fort peu l’orthographe. Enchanté, pour moi, a toujours signifié content outre mesure, voilà… Si tu es marri outre mesure de voir ton roi content de la beauté, du talent, du mérite de tes enfants, tu n’as qu’à parler… je m’en vais retourner près de Sa Majesté.

Et Richelieu pivota sur ses talons avec une aisance toute juvénile.

– Duc, tu ne m’as pas bien compris, s’écria le baron en l’arrêtant. Vertubleu! tu es vif.

– Pourquoi me dis-tu que tu n’es pas content?

– Eh! je n’ai pas dit cela.

– Tu me demandes des commentaires sur le bon plaisir du roi… La peste soit du sot!

– Encore un coup, duc, je n’ai pas ouvert la bouche de cela. Il est bien certain que je suis content, moi.

– Ah! toi… Eh bien, qui sera mécontent?… Ta fille?

– Eh! eh!

– Mon cher, tu as élevé ta fille comme un sauvage que tu es.

– Mon cher, mademoiselle ma fille s’est élevée toute seule; tu comprends bien que je n’ai pas été m’exténuer à cela. J’avais assez de vivre dans mon trou de Taverney… La vertu lui est poussée toute seule.

– Et l’on dit que les gens de campagne savent arracher les mauvaises herbes. Bref, ta fille est une bégueule.

– Tu te trompes, c’est une colombe.

Richelieu fit la grimace.

– Eh bien, la pauvre enfant n’a qu’à chercher un bon mari, car les occasions de fortune lui deviendront rares avec ce défaut-là.

Taverney regarda le duc avec inquiétude.

– Heureusement pour elle, continua-t-il, que le roi est si éperdument amoureux de la du Barry, que jamais il ne fera attention sérieusement à d’autres.

L’inquiétude de Taverney se changea en angoisses.

– Ainsi, continua Richelieu, ta fille et toi, vous pouvez vous rassurer. Je vais faire à Sa Majesté les objections nécessaires et le roi n’y tiendra pas le moins du monde.

– Mais à quoi, bon Dieu? s’écria Taverney tout pâle, en secouant le bras de son ami.

– À faire un petit présent à mademoiselle Andrée, mon cher baron.

– Un petit présent!… Qu’est-ce donc? dit Taverney plein de convoitise et d’espoir.

– Oh! presque rien, fit négligemment Richelieu; ceci… tiens.

Et il développa un écrin de la soie.

– Un écrin?

– Une misère… un collier de quelques milliers de livres que Sa Majesté, flattée de lui avoir entendu chanter sa chanson favorite, voulait faire accepter à la chanteuse; c’est dans l’ordre. Mais, puisque ta fille est effarouchée, n’en parlons plus.

– Duc, tu n’y penses pas, ce serait offenser le roi.

– Sans doute que ce serait offenser le roi; mais est-ce que ce n’est pas toujours le propre de la vertu d’offenser quelqu’un ou quelque chose?