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– Enfin, duc, songes-y, dit Taverney, l’enfant n’est pas si déraisonnable.

– C’est-à-dire que c’est toi et non pas l’enfant qui parle?

– Oh! mais je sais si bien ce qu’elle dira ou fera!

– Les Chinois sont bien heureux, dit Richelieu.

– Pourquoi cela? dit Taverney stupéfait.

– Parce qu’ils ont beaucoup de canaux et de rivières dans leur pays.

– Duc, tu changes la conversation, ne me mets pas au désespoir; parle moi.

– Je te parle, baron, et ne change pas du tout la conversation.

– Pourquoi parler des Chinois? quel rapport leurs rivières ont-elles avec ma fille?

– Un fort grand… Les Chinois, te disais-je, ont le bonheur de pouvoir noyer, sans qu’on leur dise rien, les filles qui sont trop vertueuses.

– Allons, voyons, duc, dit Taverney, il faut être juste aussi. Suppose que tu aies une fille.

– Pardieu! j’en ai une… et si l’on vient me dire qu’elle est trop vertueuse, celle-là… c’est qu’on sera bien méchant!

– Enfin, tu l’aimerais mieux autrement, n’est-ce pas?

– Oh! moi, je ne me mêle plus de mes enfants lorsqu’ils ont passé huit ans.

– Au moins, écoute-moi. Si le roi me chargeait d’aller offrir un collier à ta fille et que ta fille se plaignît à toi?

– Oh! mon ami, pas de comparaison… Moi, j’ai toujours vécu à la cour; toi, tu as vécu en Huron: cela ne peut se ressembler. Ce qui est vertu pour toi pour moi est sottise; rien n’est plus disgracieux, vois-tu, sache-le pour ta gouverne, que de venir dire aux gens: «Que feriez-vous en telle ou telle circonstance?» Et puis tu te trompes dans tes comparaisons, mon cher. Il ne s’agit pas du tout que j’aille offrir un collier à ta fille.

– Tu me l’as dit…

– Moi, je n’en ai pas dit un mot. J’ai annoncé que le roi m’avait ordonné de prendre chez lui un écrin pour mademoiselle de Taverney, dont la voix lui a plu; mais je n’ai pas dit une fois que Sa Majesté m’eut chargé de l’offrir à la jeune personne.

– Alors, vraiment, dit le baron au désespoir, je ne sais plus où donner de la tête. Je ne comprends pas un mot, tu parles par énigmes. Pourquoi donner ce collier, si ce n’est pour le donner? pourquoi t’en charger, si ce n’est pour que tu le remettes?

Richelieu poussa un grand cri, comme s’il apercevait une araignée.

– Ah! fit-il, pouah! pouah! le Huron! fi! la vilaine bête!

– Qui cela, donc?

– Mais toi, mon bon ami; toi, mon féal… Tu tombes de la lune, mon pauvre baron.

– Je ne sais plus…

– Non, tu ne sais rien. Mon cher, quand un roi fait un présent à une femme, et qu’il charge M. de Richelieu de cette commission, le présent est noble et la commission bien faite, rappelle-toi cela… Je ne remets pas les écrins, mon cher; c’était la charge de M. Lebel. As-tu connu M. Lebel?

– Qui donc charges-tu alors?

– Mon ami, dit Richelieu en frappant l’épaule de Taverney et en accompagnant ce geste amical d’un sourire diabolique, lorsque j’ai affaire à une aussi admirable vertu que mademoiselle Andrée, je suis moral comme pas un; lorsque j’approche une colombe, comme tu dis, rien en moi ne sent le corbeau; lorsque je suis député vers une demoiselle, je parle au père… Je te parle, Taverney, et te remets l’écrin pour que tu le donnes à ta fille… Maintenant, veux-tu?…

Il tendit l’écrin.

– Ou ne veux-tu pas?

Il retira sa main.

– Oh! mais, mais, s’écria le baron, dis donc cela tout de suite; dis que c’est moi qui suis chargé par Sa Majesté de remettre ce présent: il est tout légitime et devient tout paternel, il s’épure.

– Il faudrait pour cela que tu soupçonnasses Sa Majesté de mauvaises intentions, dit Richelieu sérieusement. Or, tu ne l’oserais, n’est-ce pas?

– Dieu m’en préserve! Mais le monde… c’est-à-dire ma fille…

Richelieu haussa les épaules.

– Prends-tu, oui ou non? dit-il.

Taverney allongea rapidement sa main.

– Comme cela, tu es moral? dit-il au duc avec un sourire jumeau de celui que Richelieu venait de lui adresser.

– Ne trouves-tu pas, baron, dit le maréchal, qu’il soit d’une moralité pure de faire entremettre le père, le père qui purifie tout, comme tu le disais, entre l’enchantement du monarque et le charme de ta fille?… Que M. Jean-Jacques Rousseau de Genève, qui rôdait par ici tout à l’heure, nous juge; il te dira que feu Joseph était impur auprès de moi.

Richelieu prononça ce peu de mots avec un flegme, une noblesse saccadée, un précieux qui imposèrent silence aux observations de Taverney, et l’aidèrent à croire qu’il devait être convaincu.

Il saisit donc la main de son illustre ami et la serrant:

– Grâce à ta délicatesse, dit-il, ma fille va pouvoir accepter ce présent.

– Source et origine de cette fortune dont je te parlais au début de notre ennuyeuse discussion sur la vertu.

– Merci, cher duc, merci de tout mon cœur.

– Un mot; cache bien soigneusement aux amis de du Barry là nouvelle de cette faveur. Madame du Barry serait capable de quitter le roi et de s’enfuir.

– Le roi nous en voudrait?

– Je ne sais, mais la comtesse ne nous en saurait pas gré. Quant à moi, je serais perdu… sois discret.

– Ne crains rien. Mais porte bien mes humbles remerciements au roi.

– Et ceux de ta fille, je n’y manquerai pas… Mais tu n’es pas au bout de la faveur… C’est toi qui remercieras le roi, mon cher; Sa Majesté t’invite à souper ce soir.

– Moi?

– Toi, Taverney; nous sommes en famille. Sa Majesté, toi, moi, nous causerons de la vertu de ta fille. Adieu, Taverney, je vois du Barry avec M. d’Aiguillon; il ne faut pas qu’on nous aperçoive ensemble.

Il dit et, léger comme un page, il disparut au bout de la galerie, laissant Taverney, avec son écrin, pareil à un enfant saxon qui se réveille avec les jouets que Noël lui a mis dans la main pendant qu’il dormait.

Chapitre CXIII Le petit souper du roi Louis XV

Le maréchal trouva Sa Majesté dans le petit salon, où quelques courtisans l’avaient suivi, aimant mieux se passer de souper que de laisser tomber sur d’autres que sur eux le regard distrait de leur souverain.